À la foire

Robinson adore la foire, les attractions fortes, ces petites voitures folles dans lesquelles on est secoué comme à l’intérieur d’une machine à laver le linge, les chenilles chevauchant d’inertes collines, les vaisseaux spatiaux qui demeurent à quelques mètres du sol, le bruit, la foule, les lumières clignotantes, criardes et multicolores.

Malgré mon estomac fragile, je l’accompagne dans ces éprouvants voyages immobiles. Sa joie est ma récompense. Nul ne rit autant que lui parmi les milliers d’enfants qui s’appliquent ici à s’amuser. Mais, avant d’accéder à une attraction, il faut faire la file pour acheter les tickets. Il faut attendre son tour puis patienter encore jusqu’à ce que la chenille s’arrête et qu’il soit enfin possible de grimper à son bord. Robinson tire sur mon bras, en me regardant droit dans les yeux d’un air désespéré, inquiet de mon attitude, comme si je ne comprenais pas son désir. « Que fais-tu, papa ? lis-je dans ses yeux pleins d’anxiété. Je ne veux pas regarder le manège tourner, mais y monter, papa, de grâce ! Par pitié ! » Il n’écoute pas ma réponse, reste sourd à toutes mes explications. Seul le mot-phrase « Attends ! » a une chance d’être compris, mais pas dans un contexte aussi émotif. Et je serre très fort sa main en imaginant avec horreur la boucherie spectaculaire qui nous serait infligée s’il parvenait à se libérer de mon étreinte.