Cela faisait deux ans que j’en avais la certitude. Ce gouvernement férocement libéral, quasi extrémiste dans son acharnement à ignorer la volonté du peuple qui l’avait porté au pouvoir, allait un jour s’en prendre aux lois protégeant encore stoïquement le travail contre le capital dans le pays. Son idylle avec le patronat était devenue si poussée qu’un tel désir ne pouvait que finir par triompher, quels qu’en soient les éminents dangers. Depuis des mois, ce désir rôdait dans la hiérarchie de « l’Obsolète », où les « ultras » du service économie rêvaient même tout haut d’abolir le « CDI », le contrat à durée indéterminée, graal pour tout salarié au terme d’un long parcours d’études, de stages piètrement rémunérés, et autres précarités.
Le jour où le projet gouvernemental de « Loi travail » vint sur la table, je sentis que quelque chose allait casser moralement entre « l’Obsolète » et moi. Ce que j’ignorais encore c’est que, par une mise en abyme saisissante, c’est mon propre contrat de travail qui n’y résisterait pas.
Si être « de gauche » ne consistait pas à défendre le faible contre la myriade d’exploitations variées que le fort était en train de réinventer, qu’est-ce que cela pouvait donc bien être encore ? Sur ce point-là, il était impossible pour moi de céder. Ainsi que George Orwell l’avait énoncé à peu près en ces termes, l’homme est un être qui, avant toutes choses, a besoin de chaleur, de confort, de loisir et de sécurité. Rien qui n’aille dans ce sens-là ne pouvait sans mystification se voir qualifier de « progrès ». Habiles à faire passer pour archaïsme sentimental de légitimes demandes, les lieutenants du capital avaient cette fois décidé de pousser leur avantage aussi loin que possible, en s’appuyant sur un gouvernement prêt à tout solder. Ainsi dans les conversations surréalistes de certains hiérarques de « l’Obsolète », le noir souci de la précarité se voyait-il désormais repeint en expérimentation de nouvelles libertés, l’insécurité généralisée en bienfaisante fluidité, et la location de ses propres draps en libre entrepreneuriat.
Détail sordide de l’opération, c’est l’une des figures les moins discutées de la gauche, le garde des Sceaux qui fut jadis l’artisan de l’abolition de la peine capitale, qui avait été choisie pour badigeonner de respectabilité l’affreuse besogne. Ainsi, cet homme, qui n’avait jamais mis les pieds dans une entreprise et n’avait pas non plus le moindre éclairage théorique sur le sujet, s’était-il vu charger de vanter le bien-fondé d’un projet de loi visant à livrer le salarié dépouillé à ce monde d’une indiscutable férocité. Le sous-texte de l’opération était spécialement retors. Le choix d’une telle mascotte historique semblait indiquer que, de la même façon que les électeurs n’auraient pas voté il y a trente ans pour l’abolition de la peine de mort, ils ne voteraient pas davantage aujourd’hui pour une loi dont tout indiquait qu’elle alourdirait de beaucoup le poids de leurs chaînes de salariés. C’était bien la preuve que, dans son intérêt, il fallait parfois bousculer le peuple français, et même que, pour dire franchement les choses, le mieux était souvent de ne pas le consulter.
Aussitôt un immense chahut se leva dans le pays entier contre une loi dont il était clair que, chez les principaux intéressés, nul ne la voulait. Bientôt une pétition dépasserait le million de signataires, battant des records à travers le monde. Bientôt une jeunesse qu’on disait dépolitisée allait se révolter contre le sort qui lui était fait, via le web et ses vidéos virales circulant en tous sens. À toute une nouvelle génération, cette loi-là réussirait même le prodige de redonner le goût des vieilles marches « de Bastille à Nation ». Il est vrai que celle-ci dépassait toutes les bornes de l’obscénité, et qu’avec elle l’électorat de gauche se découvrait une fois de plus grossièrement dupé.
Le 31 mars 2016, jour de grande manifestation contre ce que la foule qui défilait depuis le début du mois avait rebaptisé la « Loi travaille ! », une poignée de penseurs et de militants décida que le temps du sursaut était peut-être enfin venu. Inspirée par le « mouvement des places » européen qui, en Espagne notamment, avait il y a peu culbuté la politique institutionnelle, l’idée était à la fois simple et pleine d’audace. Le 31 au soir, après la manifestation, il s’agirait de faire en sorte que chacun ne rentre pas se disperser chez soi, mais reste passer la nuit avec les autres sur la place de la République. Tenir la place, rester ensemble, se retrouver physiquement, tout cela qui était la forme primitive de la politique, à la fois évidente et oubliée depuis si longtemps. Cette idée-là, qui bientôt porterait le nom de « Nuit Debout », c’est Frédéric Lordon, mon compagnon, qui l’avait eue et mise sur pied avec quelques-uns de ses amis. Sans dissimuler notre relation, nous ne l’exhibions pas non plus, nous retrouvant malgré nous à la jonction de deux mondes étrangers qui se regardaient en chiens de faïence. Celui des haut gradés de « l’Obsolète » et celui de la gauche radicale, dont il était peu à peu devenu, depuis la dernière grande crise financière, une figure intellectuelle en vue.
Une séance publique du film Merci Patron !, projeté sur la place de la République, devait servir de point d’ancrage à la soirée. Réalisé par le fondateur de Fakir, feuille satirique imprégnée par ce souverainisme de gauche qui, depuis longtemps, m’était cher, ce film avait très tôt été identifié dans les milieux militants comme porteur d’une énergie collective à propager dans le pays entier. À l’écran, on y voyait un couple de prolétaires du nord de la France rouler dans la farine divers émissaires de Bernard Arnault, patron milliardaire du groupe LVMH, leader mondial du luxe qui les avait autrefois jetés au chômage. Lors des projections de cette version modernisée de Robin des bois, fable parfaite dans laquelle rien n’avait pourtant été inventé, le public explosait littéralement de joie. Par un étrange signe du destin, Bernard Arnault, allégorie constamment moquée à l’écran de la loi aveugle du capital écrasant les petites gens, était le père de la compagne de l’ogre des télécoms qui présidait désormais aux destinées de « l’Obsolète ». Détail piquant, même si j’étais alors sincèrement convaincue que l’ogre ignorait jusqu’à mon existence ou, au pire, me voyait comme l’une des soutières anonymes œuvrant sur l’un des confettis de son empire.
Ce fameux 31 mars, je ne pus toutefois rejoindre la place de la République que tard dans la soirée. Des tests de lectorat avaient été organisés par « l’Obsolète » ce même jour, à l’initiative du factotum des actionnaires qui avait lui aussi besoin de s’agiter pour prouver à ses maîtres qu’il ne restait pas les bras ballants devant le désastre économique qui s’annonçait au journal. De tels tests, régulièrement organisés dans la presse, consistaient à rassembler une dizaine d’acheteurs réguliers et à leur faire commenter le journal sous toutes les coutures, sans leur dire qu’ils étaient observés. Cachés derrière une glace sans tain comme dans un peep-show, la hiérarchie du journal les écouta ce soir-là plusieurs heures durant mettre en pièces « l’Obsolète » dans un silence sépulcral, à peine interrompu par quelques rires embarrassés. Pour Matthieu Lunedeau, la soirée fut une torture sans fin. Tous ses principes directeurs, toutes ses innovations, sans même parler de ses propres éditoriaux, se virent impitoyablement déchiquetés.
Ce que voulaient les lecteurs au bout du compte, c’était assez prévisiblement de l’indémodable, des débats d’idées, de l’engagement vrai, et non le clinquant ringard que, semaine après semaine, on lui vendait sous couvert de « modernité ». Tout ce que nous avions été quelques-uns au sein de la hiérarchie à répéter à Matthieu Lunedeau et au factotum depuis des mois se vit, ce soir-là, validé, frappé du sceau de l’expertise, et ce qui était étrange, c’est que nous eûmes néanmoins le sentiment que les conclusions salutaires n’en seraient nullement tirées.
Le traitement de la politique y était entre autres vigoureusement dénoncé, les lecteurs rejetant par-dessus tout « l’incantation vertueuse » de responsables socialistes totalement discrédités que « l’Obsolète » leur livrait en guise d’analyse. Une couverture fit l’objet de moqueries toutes particulières, celle où l’on apercevait en plan serré les visages du Premier ministre, Manuel Valls, et du président de la République, François Hollande, avec cette question : « Qui va tuer l’autre ? ». Une lectrice se chargea de répondre spontanément à cette interrogation : « On s’en fout, parce qu’ils sont tous les deux cramés. »
Lorsque je quittai ce soir-là mes camarades du journal pour rejoindre « Nuit Debout », j’eus l’impression en trois stations de métro à peine de passer d’un monde à un autre. Dans le caveau de « l’Obsolète », on s’obstinait à ne pas vouloir donner aux lecteurs ce qu’ils avaient envie de lire, à river le journal à la vieille politique morte des appareils, à éviter par tous les moyens de tenir un discours quelconque sur le monde, quitte à en crever. Dans l’autre, un espoir s’était levé, qui se chercherait maladroitement pendant des mois, mais qui était là désormais, qui existait, qui semblait indiquer à la France qu’un jour, peut-être, la démocratie redeviendrait pour elle autre chose que le passage à échéance fixe dans un isoloir.
Le succès de « Nuit Debout », cet improbable barnum faits d’irréconciliables espoirs fut en tout cas immédiat. Dès le second soir, et tous les autres soirs, la place de la République se remplirait de milliers de badauds, jeunes babas cool, austères professeurs venus en observateurs, mères de famille écolos avec poussettes, salariés de banlieue en K-Way, tous venus pour humer l’air d’une époque nouvelle, et parfois même le parfum entêtant des lacrymos, sur un campement constamment balayé par le mauvais temps. Chaque soir la police le rasait, chaque matin il remontait miraculeusement à l’assaut du ciel, grâce à la patience industrieuse de quelques-uns.
Aussi exagéré que cela paraisse avec le recul, maintenant que les sortilèges de « Nuit Debout » semblaient évanouis, le pouvoir prit peur, et même extrêmement peur, face à cette simple promesse démocratique. Le président fanfaronnait certes encore devant des journalistes à l’Élysée : « À côté des 3 millions du 11 janvier, les 3000 de Nuit Debout ne sont pas grand-chose. » Comme si la douleur collective consécutive aux attentats lui appartenait du reste en quoi que ce soit. Le cœur n’y était pas, cependant, et la police était sur les dents. Depuis des années déjà, chacun s’était installé dans l’idée que jamais un phénomène tel que les « Indignés » en Espagne ne prendrait chez nous, où le parti de la fille du Diable semblait bloquer l’ensemble du jeu, et tirer seul les bénéfices politiques de la désintégration du système français. C’était un vrai mystère d’ailleurs, dans un pays aux certificats révolutionnaires autrefois exemplaires.
Cette fois pourtant, c’était autre chose. La « grande peur » était revenue au sommet de l’État. La fameuse poudrière parisienne était peut-être en train de se réenflammer, et le PS français voyait surtout avec anxiété se profiler le scénario qu’avaient connu ses jumeaux espagnol et grec, partis de masse qui avaient été fortement déstabilisés, quand ils ne s’étaient entièrement volatilisés en quelques années. Il fallait agir, vite et surtout discrètement. Ne pas laisser cette verrue s’installer au pied de la statue de la République.
De plutôt bienveillante au départ, la couverture de « Nuit Debout » par les médias changea radicalement de tonalité en quelques semaines. Bientôt, sur les écrans, on ne vit plus que des « casseurs ». Des mises en scène à grand spectacle de guérillas nocturnes tinrent lieu de seul commentaire à ces événements. Des tribunes et des interviews d’une violence hallucinée circulaient sur les « manipulateurs » en quoi étaient rétrospectivement travestis les organisateurs. Ainsi Frédéric se vit sans rire comparé par Alain Finkielkraut à Pol Pot, leader khmer responsable de la mort d’un million et demi d’êtres humains, sur la chaîne d’information la plus écoutée du pays. Comme toujours, les derniers ralliés à la réaction furent les plus déchaînés. Pascal Bruckner irait jusqu’à élucubrer dans Le Figaro un possible basculement de « Nuit Debout » vers la lutte armée, et même une énigmatique « jonction avec les fous de Dieu ».
Toutes sortes d’idiots utiles du système emploieraient également leurs forces à démasquer l’inquiétant projet de « Nuit Debout ». Ne pas être venu pour « apporter la paix », qui n’appelait à rien d’autre qu’à retrouver le goût du conflit politique, deviendrait sous leur plume l’aveu de complots contre l’État extraordinairement dangereux. Par un singulier hommage du vice, le pouvoir et ses ordonnances médiatiques avaient, depuis quelques années, recommencé à prendre l’intellectualité tout à fait au sérieux, usant au besoin d’actions spectaculaires pour frapper les esprits. Les penseurs radicaux les affolaient littéralement, leur ôtant tout bon sens. L’inquiétante affaire Julien Coupat l’avait déjà amplement démontré.
C’est peu dire qu’à « l’Obsolète » aussi, tous les regards étaient anxieusement tournés vers « Nuit Debout ». « Nous avons entendu des choses innovantes hier à la République, mais aussi de vieilles choses », pontifiait Matthieu Lunedeau, pour donner le sentiment de dominer des désordres publics qui le dépassaient cette fois de très loin. S’il est une chose qu’il eût été vain de chercher à faire entendre à mon camarade, c’était bien le caractère atemporel des grandes idées. Progressiste à la manière naïve du Pangloss de Voltaire, il eût même été tout à fait irrité d’apprendre que les innovations dont il parlait étaient aussi anciennes que la démocratie athénienne, aussi anciennes que les « vieilles choses » communistes qui lui blessaient l’oreille, et que toutes, comme toutes les grandes idées, étaient indestructibles et ne disparaîtraient jamais de la surface de la terre.
Les semaines passant et l’affluence à « Nuit Debout » ne faiblissant pas, en dépit des trombes d’eau qui balayaient presque chaque nuit la place de la République, je fis l’objet au journal de déplaisantes manœuvres. Les deux journalistes chargées du suivi du mouvement exprimèrent à la hiérarchie leur « profond malaise » d’avoir à écrire sur « Nuit Debout », alors même que la directrice adjointe de la rédaction avait pour compagnon l’un de ses organisateurs. Ce soi-disant émoi ne manquait pas de sel, l’une de ces dames étant l’ex-épouse d’un ministre socialiste de l’Éducation nationale, l’autre celle d’un des présentateurs les plus célèbres de la télévision. Des souvenirs qui auraient pu au moins leur permettre de comprendre qu’il était pour le moins peu digne d’instrumentaliser la vie privée d’une femme pour jeter le soupçon sur l’intégrité de son travail.
Pendant près de deux décennies, l’un des chefs historiques du service politique de « l’Obsolète » avait été l’époux d’une attachée de presse du PS, véritable pilier de la rue de Solférino, sans que cela n’ait jamais suscité le moindre « malaise », posé à quiconque le moindre cas de conscience dans la maison, ni jeté le moindre doute sur son objectivité. Là, c’était autre chose. Les faits étaient commentés dans les couloirs par toutes sortes de jésuites. Certains en venaient à dérailler entièrement, allant jusqu’à soupçonner que « Nuit Debout » ne fût qu’un écran de fumée pour préparer une candidature à l’élection présidentielle. Une faribole absolue, ainsi que je dus l’expliquer à l’un des rédacteurs en chef, qui semblait aussi paniqué que le PS par la perspective de voir naître à la République un Pablo Iglesias français. « Que dira-t-on si l’on apprend que “l’Obsolète” a servi de plateforme à une telle opération ? », demandait-il gravement, comme si tout Paris ne savait pas que la gauche radicale avait toujours été le seul ennemi véritable à « l’Obsolète », celui qui s’y voyait inlassablement persécuté. Au même moment, c’est sans sourciller, ni susciter bien sûr le moindre « malaise », que le journal offrait à ses lecteurs un grand entretien « exclusif » de Jean-François Copé, ex-patron de la droite aussi reluisant qu’indispensable, qui comptait se relancer en politique.
Quoi qu’il en soit, les deux journalistes en proie au trouble obtinrent de la hiérarchie que jamais la directrice adjointe de la rédaction ne puisse ne serait-ce que lire la copie sur « Nuit Debout » avant sa publication. Pendant plusieurs semaines, les pages ne furent même insérées qu’au tout dernier moment dans le serveur informatique général, juste avant l’envoi à l’imprimerie, afin de les tenir éloignées de ma vue aussi longtemps que possible.
C’était tout à fait inouï. D’une part le mouvement « Nuit Debout » se fichait complètement de ce que « l’Obsolète » écrirait ou non sur lui, ensuite j’aurais évidemment mis un point d’honneur à ne jamais changer une virgule à de tels articles. Les faits devenant, pour le coup, franchement insultants, je pris rendez-vous avec Matthieu Lunedeau pour lui faire part de ma stupéfaction et régler une fois pour toutes cette affaire pénible.
À ma demande, donc, nous nous vîmes un quart d’heure en fin de journée le 7 avril. Je commençai par l’informer de ma relation avec Frédéric Lordon, quoiqu’étant assurée qu’il n’apprenait rien, puisque nombreux étaient ceux qui, au journal, la commentaient du matin au soir. Le directeur de la rédaction me confirma, en effet, qu’il était au courant, « depuis peu », ajouta-t-il. Je poursuivis en regrettant que certains membres du journal en soient venus à dissimuler de la copie et à me soupçonner d’intentions prosélytes en faveur d’un mouvement dont j’étais au bout du compte, comme eux, la simple spectatrice. Il me donna ses assurances qu’il ferait cesser ces comportements aberrants. La discussion s’acheva sur le constat de Matthieu Lunedeau que notre relation s’était effilochée au fil du temps et que tous les deux nous devions sans doute y remédier, en organisant pourquoi pas quelque déjeuner. Je le quittai presque entièrement libérée d’un poids que je traînais depuis des semaines, tel un boulet.
Rien ne se passa de la sorte. Nous ne déjeunâmes pas. Peu à peu, après cette discussion, je disparus mystérieusement des boucles collectives de mails envoyés à la direction du journal. Plus jamais je n’eus de conversation avec Matthieu Lunedeau, hormis lors de réunions où la situation même l’obligeait à m’adresser quelques mots formels. Un mois jour pour jour après cette entrevue, Matthieu Lunedeau me fit monter un soir au dernier étage du journal, sous un prétexte futile, pour m’annoncer, en présence d’une tierce personne qui faisait apparemment office de greffière, qu’il souhaitait « réorganiser la direction », expression qui n’annonçait rien de bon. Le lendemain même, je reçus une convocation pour un entretien préalable à un licenciement.
Pendant tout le temps que dura la procédure, Frédéric Lordon cessa de s’exprimer publiquement, pour ne pas me nuire alors qu’une négociation était encore espérée avec les actionnaires, et que la base de « l’Obsolète » entière s’était soulevée pour obtenir de ces derniers que, dégradée de tous mes titres, je conserve au moins la possibilité d’exercer mon métier au journal. Jamais le trio des propriétaires n’accorda à nos représentants un seul rendez-vous, ni ne consentit à répondre aux innombrables interpellations publiques qui lui furent adressées. Tycoons jonglant avec des dizaines de milliers de vies et banquiers d’affaires brassant des millions d’euros, tous se cachèrent derrière l’imposante stature de Lunedeau pour justifier une décision qu’il aurait prise « absolument seul », tels des seigneurs expliquant que leur palefrenier, devenu forcené, faisait désormais seul la loi au château. Durant ces mêmes semaines, « Nuit Debout » périclita irréversiblement, jusqu’à disparaître de la surface de la République.