Avoir, faire et être sont les catégories cardinales de la réalité humaine. Elles subsument sous elles toutes les conduites de l'homme. Le connaître, par exemple, est une modalité de l'avoir. Ces catégories ne sont pas sans liaison entre elles, et plusieurs auteurs ont insisté sur ces rapports. C'est une relation de cette espèce que Denis de Rougemont met au jour lorsqu'il écrit dans son article sur Don Juan : « Il n'était pas assez pour avoir. » Et c'est encore une semblable liaison qu'on indique lorsqu'on montre un agent moral faisant pour se faire et se faisant pour être.
Cependant, la tendance antisubstantialiste ayant vaincu dans la philosophie moderne, la plupart des penseurs ont tenté d'imiter sur le terrain des conduites humaines ceux de leurs prédécesseurs qui avaient remplacé en physique la substance par le simple mouvement. Le but de la morale a été longtemps de fournir à l'homme le moyen d'être. C'était la signification de la morale stoïcienne ou de l'Ethique de Spinoza. Mais si l'être de l'homme doit se résorber dans la succession de ses actes, le but de la morale ne sera plus d'élever l'homme à une dignité ontologique supérieure. En ce sens, la morale kantienne est le premier grand système éthique qui substitue le faire à l'être comme valeur suprême de l'action. Les héros de L'Espoir sont pour la plupart sur le terrain du faire et Malraux nous montre le conflit des vieux démocrates espagnols, qui tentent encore d'être, avec les communistes dont la morale se résout en une série d'obligations précises et circonstanciées, chacune de ces obligations visant un faire particulier. Qui a raison ? La valeur suprême de l'activité humaine est-elle un faire ou un être ? Et, quelle que soit la solution adoptée, que devient l'avoir ? L'ontologie doit pouvoir nous renseigner sur ce problème ; c'est d'ailleurs une de ses tâches essentielles, si le pour-soi est l'être qui se définit par l'action. Nous ne devons donc pas terminer cet ouvrage sans esquisser, dans ses grands traits, l'étude de l'action en général et des relations essentielles du faire, de l'être et de l'avoir.