Ils m’emmènent au milieu du désert. Sans l’enceinte au loin, je penserais que c’est le lieu de mon repos éternel.
Mais ils me libèrent les mains et me poussent hors du véhicule. Je n’ai pas besoin de demander où nous sommes. Je connais bien cette zone. C’est le complexe où j’ai vécu le reste de mon enfance. Celui où Ray m’a emmené quand j’ai quitté l’asile.
Ici, j’ai été formé à l’informatique, aux maths, au meurtre.
Ray cherche sur mon visage le moindre signe d’émotion. Mais il n’y en a aucune. Je ne pense qu’à ma Bella, en cet instant. À l’enfant qu’elle porte. Je ferai tout pour les protéger. Je ferai tout pour qu’ils reviennent. Et pour cela, je dois jouer selon les règles de Ray.
Il récite un nombre à treize chiffres et me demande de le lui répéter.
Les yeux de River se déplacent anxieusement. Je sais qu’il s’agit de lui. C’est ce qu’il obtient pour m’avoir trahi et rempli sa part du marché.
— Efface tout ce qui est dans le dossier, me dit Ray. Ramène-moi la fille quand tu auras fini. Et peut-être que je pourrai trouver un peu de miséricorde dans mon cœur. Peut-être que l’enfant que ma fille mettra au monde sera adopté dans une gentille famille au lieu de finir dans une benne à ordures.
Je serre les poings le long du corps et les gardes brandissent leurs armes.
— Je te donne une dernière chance, Javi, dit Ray. Ne sous-estime pas ma portée. J’en connais beaucoup qui accepteraient volontiers cette tâche et l’accompliraient bien plus rapidement que toi. Et ils ont beaucoup moins à perdre.
Je reste muet, inébranlable dans ma résolution. Je fais ça pour Bella. Même en sachant que, quand je reviendrai, ce sera sûrement avec une balle dans le crâne.
Je ne peux pas faire confiance à Ray. Mais je le connais. Je ne doute pas de ses paroles. Il va détruire cet enfant qui est le mien. Il se persuadera que c’est le mieux pour Isabella. Je dois trouver un autre moyen d’en finir.
Je me tourne vers l’enceinte, mais la voix de Ray m’arrête.
— Profite bien de ce voyage dans le passé.
Encore une fois, je réfrène l’envie de le tuer en pensant à ma Bella. Je pense à ce que je dois faire et je me concentre uniquement sur la mission.
Je commence à marcher, en silence à travers le désert, laissant Ray et River derrière moi. S’ils m’ont choisi pour cette tâche, ce n’est pas sans raison. Malgré ce que dit Ray, cette mission ne peut être accomplie par personne d’autre.
Je suis le seul agent qui a réussi à désactiver tout le système de sécurité du complexe. Pas une fois, mais deux. Aujourd’hui, ce sera la troisième.
Cela fait de nombreuses années que je ne suis pas revenu dans ce complexe, mais certaines choses n’ont pas changé. Notamment les gardes qui surveillent la salle de contrôle. Ils sont plus âgés, maintenant, mais je me souviens très bien d’eux. La peur se reflète brièvement dans leurs yeux lorsqu’ils me voient.
Je les tue avec leurs propres armes, satisfait de savoir qu’ils ne respireront plus l’air de cette terre brûlée.
Le système de sécurité a également été mis à jour avec le temps. Il est bien plus sophistiqué que lors de mon séjour. Mais à l’image du système, je m’adapte, moi aussi.
Ce n’est pas facile d’y naviguer. Cela fait déjà trente minutes. À chaque minute qui passe, j’ai plus de risques de me faire prendre. C’est trop long. La patience de Ray n’est pas infinie.
Alors que je trouve mon chemin dans le système, une ombre passe dans le couloir devant la porte. Un autre garde. Il dégaine son arme, mais je tire en premier.
Le nombre de corps augmente. C’est plus brouillon que je ne l’aurais voulu. Enfin, après quelques clics supplémentaires, j’y suis enfin.
Je trouve le fichier de l’agent que Ray m’a donné, je jette un bref coup d’œil à sa photo pour l’identifier et la localiser, puis je le supprime.
Je supprime tout.
Le processus prend encore cinq minutes. À la fin, j’hésite avant de partir. Ray voudrait sûrement que je laisse le système comme je l’ai trouvé. Il aime la discrétion.
Je souris. L’ironie ne me déplaît pas. Je déverrouille les portes des cellules. Toutes sauf la sienne. Ensuite, je coupe le courant de tout le bâtiment. C’est à eux de s’échapper maintenant, de maîtriser les gardes et de prendre ce qui leur revient de droit.
La liberté.
Je quitte la salle de contrôle et j’emprunte le couloir que je connais par cœur. C’est le même que j’ai arpenté pendant tant d’années. J’ouvre manuellement la porte de sa cellule et j’éclaire l’intérieur avec ma lampe de poche. Elle est assise sur son lit. Petite et d’apparence fragile.
— Viens, lui dis-je. Nous quittons cet endroit.
Elle lève les yeux vers moi et secoue la tête.
— Je ne veux pas partir.
Sa voix est douce.
Il est évident qu’elle a été brisée, comme l’a dit River. Je crois comprendre pourquoi il tient à elle. Elle a un joli visage, mais je ne lui trouve rien de spécial. Elle n’est pas comme ma Bella. Cela dit, personne ne lui arrive à la cheville.
— Je n’ai pas le temps, dis-je. Et je préférerais ne pas te faire de mal.
Elle se lève du lit et marche dans ma direction. C’est bien. Elle va se soumettre et nous pourrons y aller. Mais ce n’est pas ce qui se produit. Au lieu de ça, la fille me frappe à la gorge.
Elle s’échine pour essayer de me contourner, mais je l’arrête avec une main autour du cou. Elle riposte par un coup dans le ventre.
De toutes les choses que je devais faire dans cette enceinte, un combat contre une fille était celle qui m’attirait le moins.
Je la libère et le pugilat reprend. Ses coups sont nets et précis. J’avais tort à son sujet. Elle n’est pas du tout fragile. Ni de corps, ni d’esprit. Elle m’assène de nombreux coups douloureux qui m’auraient immobilisé si j’avais été plus jeune et moins rompu à la douleur. Mais je ne le suis pas.
Et aussi entraînée qu’elle soit, j’ai plus d’années d’expérience. J’ai identifié sa faiblesse presque immédiatement et je l’ai placée dans une prise d’étranglement.
— Je suis désolé. Mais pour l’instant, tu dois dormir.
Dans la minute qui suit, elle sombre.