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Isabella

La sécurité m’escorte dans la loge, où Luke m’accueille à la porte.

— Stratosphérique, putain ! dit-il. Bébé, tu étais stratosphérique.

— Merci, Luke.

— Dis-moi...

Il s’attarde sur place, me barrant le passage.

— Quoi ?

— Parlons du prochain concert. Une tournée mondiale. Isabella, tu dois leur en donner plus.

Il a des dollars dans les yeux, mais je secoue déjà la tête.

— Tu connaissais le marché, Luke. Un seul show. Une seule fois. Et c’est tout. J’ai fini. Je me retire pour de bon.

Ses épaules s’affaissent, il ne veut toujours pas l’accepter.

— Poupée, enfin, tu n’as pas vu la foule là-bas ? Ils étaient fous de toi. Tu dois surfer sur la vague.

— Il n’y a pas de vague. C’était tout, Luke.

— Alors c’est tout ? répète-t-il. Tu vas abandonner tout ça et retourner dans ton trou pour pouponner ?

Je souris malgré son expression atterrée.

— C’est exactement ce que je vais faire.

— Incroyable, marmonne-t-il. Incroyable. Ça va te manquer, Isabella. Tu vas vouloir retrouver ça, ce sentiment. Mais tu ne pourras pas l’avoir. Pas si tu attends trop longtemps.

— C’est bon, lui assuré-je. Je pourrai vivre avec ça.

Il soupire, passant d’une jambe à l’autre.

— Tu m’appelleras si tu changes d’avis ?

— Tu seras le premier numéro que je composerai.

Il s’approche pour un câlin, mais je préfère lui tendre la main. Il la serre, puis s’en va à contrecœur. J’ouvre enfin la porte de ma loge et m’assois. Là, je ferme les yeux et prends une profonde inspiration.

C’est alors que ça me frappe.

Le parfum. Ce parfum inimitable de roses sauvages. J’ouvre les paupières pour découvrir les fleurs étalées sur ma coiffeuse.

Rouge cramoisi.

J’en ai les larmes aux yeux. Je n’ose pas espérer. Je n’ose pas avoir peur. Mais il y a un couteau, juste à côté. Un couteau qui m’est trop familier.

— Ma douce Bella.

La voix vient de derrière moi, si faible que je crois presque devenir folle. Je ne peux pas bouger. Je n’ose pas. J’ai trop peur, si je cligne des paupières, si je bouge ne serait-ce qu’un peu, que l’illusion dans le reflet disparaisse. Son visage s’estompera et je serai de nouveau plongée dans mon cauchemar éveillé.

— Tu as deux choix, me dit-il. Tu peux me garder ou tu peux me tuer. Parce que je ne peux pas continuer à vivre sans toi. Et je ne peux pas continuer à vivre en te gardant captive. Tu dois décider par toi-même, choisir d’être ma captive volontaire, choisir de rester à mes côtés jusqu’à la fin de tes jours, ou m’accorder ta clémence et te venger en me saignant à blanc.

Une larme coule sur ma joue, suivie d’une autre. Puis une autre. Bientôt, Javi est à genoux devant moi, à mes pieds, mon visage dans ses paumes. Elles sont si réelles. Si chaudes.

Je le vois, je le sens. Soit c’est le produit de mon imagination cruelle, soit c’est le plus beau jour de ma vie.

Javi essuie mes larmes.

— Ne pleure pas pour moi, ma Bella.

— Tu ne peux pas être réel, chuchoté-je. Ça ne peut pas être réel. Je dois être en train de rêver.

— Ce n’est pas un rêve, m’assure-t-il.

Je ferme les yeux et les ouvre à nouveau. Il est toujours là. Il respire encore. Son cœur bat toujours quand je le sens sous ma paume.

— Javi ?

— Oui, mon amour, répond-il. C’est moi. Je suis bien réel. Je suis ici. Et je n’irai nulle part.

Je lui saute dans les bras et il me rattrape.

— Javi.

Je répète son nom sans relâche, comme une prière. Il m’embrasse, me serre dans ses bras. Et il ne me lâche pas. Ses yeux parcourent mon corps, le renflement qui se trouve maintenant entre nous.

— La grossesse te va si bien, ma Bella.

Sa main reste en suspens. Il est nerveux. Il a envie de me toucher le ventre, mais je crois qu’il a peur.

— Tu peux, lui dis-je. Ce bébé est le nôtre, Javi.

Alors, il me touche, plus délicatement que jamais.

— Je n’en reviens toujours pas, dit-il.

— Tu le savais ?

Il y a tant de questions. Tant de choses dont nous devons parler. Je ne sais pas où il était ni ce qui lui est arrivé. Mais je crois que je ne suis pas encore prête à l’entendre et je pense que Javi l’a compris.

— Je le savais, Bella, répond-il. Il y a beaucoup de choses dont nous devons discuter.

— Oui. Chaque chose en son temps. Je viens juste de te récupérer.

— Alors, dit-il avec espoir, j’en déduis que tu ne veux pas me tuer ?

— Ne me quitte plus jamais. Jamais.

— C’est promis, ma Bella. Mais ton père...

Je secoue la tête et ferme les yeux.

— Non. Pas maintenant.

Peut-être même jamais.

Je ne sais pas comment donner un sens à tout ce que je ressens pour mon père. Mon chagrin et ma haine envers l’homme qu’il était. Je crois que je serai toujours partagée.

Je le pleure, parce que je suis toujours sa fille. Mais j’ai aussi tellement de colère. Une colère que je n’ai jamais eu l’occasion d’exprimer. Enfin, rien de tout cela n’a d’importance maintenant.

Rien d’autre ne compte parce que Javi est bien réel, et il est juste ici, à côté de moi.

C’est ce que je lui dis.

Après quoi, je lui demande de me ramener à la maison.