Préface


En filant la métaphore arboricole de la « greffe » dont Paul Ricœur se sert à la première page de l’essai liminaire du présent volume pour caractériser le croisement imprévu, mais non contre nature, de la phénoménologie et de l’herméneutique, je dirai que la qualité de l’arbre qu’il a planté dans le paysage de la philosophie du XXe siècle ne se mesure pas seulement au nombre et à la robustesse des branches porteuses que forment ses ouvrages majeurs, mais aussi à celle de ses fruits, rassemblés dans plusieurs volumes d’essais.

D’Histoire et vérité à Lectures I-III, en passant par Du texte à l’action, chacun de ces volumes marque un jalon important dans la genèse de l’œuvre. C’est ce qu’attestent les relectures « réfléchies » des ouvrages principaux précédents (en l’occurrence, il s’agit de la trilogie de la Philosophie de la volonté parue entre 1950 et 1960) dont le lecteur pourra se servir comme fil d’Ariane permettant de s’orienter dans le dédale des grandes œuvres. En même temps, on trouve dans ces essais un certain nombre d’intuitions qui préfigurent déjà le cycle suivant d’une pensée jamais au repos, toujours prête à affronter les vents contraires qui, alors même qu’ils semblaient compromettre la croissance de l’arbre, ont contribué à le rendre plus fort, fût-ce en lui imposant une courbure imprévue.

 

Jamais sans doute le vent ne soufflait plus fortement en tempête que dans les années soixante du dernier siècle, la décennie du structuralisme qui, sous ses différentes formes – la linguistique d’inspiration saussurienne, l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss, le marxisme d’Althusser et la psychanalyse lacanienne –, lançait un défi considérable à la philosophie. Ricœur n’a pas voulu s’y dérober, payant pour cela plus d’une fois le prix fort de l’incompréhension, voire du rejet.

Pour prendre la pleine mesure du climat nouveau dans lequel les études rassemblées ici ont vu le jour, il est bon de relire la préface d’Histoire et Vérité. J’en extrais une déclaration relative à l’essai « Travail et parole », qui, à lui seul, marque la transition à une nouvelle époque où « le problème du langage » retient de plus en plus fortement, et parfois même exclusivement, l’attention des penseurs.

Ce passage forme une sorte de credo philosophique en miniature : « Je crois à l’efficacité de la réflexion, parce que je crois que la grandeur de l’homme est dans la dialectique du travail et de la parole ; le dire et le faire, le signifier et l’agir sont trop mêlés pour qu’une opposition durable et profonde puisse être instituée entre “théoria” et “praxis”. La parole est mon royaume et je n’en ai point honte ; ou plutôt j’en ai honte dans la mesure où ma parole participe de la culpabilité d’une société injuste qui exploite le travail ; je n’en ai point honte originairement, je veux dire par égard pour sa destination. Comme universitaire, je crois à l’efficacité de la parole enseignante ; comme enseignant l’histoire de la philosophie, je crois à la puissance éclairante, même pour une politique, d’une parole consacrée à élaborer notre mémoire philosophique ; comme membre de l’équipe d’Esprit, je crois à l’efficacité de la parole qui reprend réflexivement les thèmes générateurs d’une civilisation en marche ; comme auditeur de la prédication chrétienne, je crois que la parole peut changer le “cœur”, c’est-à-dire le centre jaillissant de nos préférences – et de nos prises de position1. »

Ici n’est pas le lieu d’analyser en détail chacun des « articles de foi » dont se compose cet éloge « de la parole qui réfléchit efficacement et qui agit pensivement ». Tout au plus peut-on se demander ce qui reste de ce « royaume », à peine dix années plus tard, à l’époque charnière du Conflit des interprétations. Le titre même de l’ouvrage suggère une réponse : rien qu’un vaste champ de bataille, où ceux qui croient encore à l’existence d’un tel royaume sont soupçonnés, et parfois bruyamment accusés, de se livrer à un pitoyable combat d’arrière-garde.

Le volume est dédié au philosophe italien Enrico Castelli, initiateur des colloques internationaux d’herméneutique qui, depuis plus de cinquante ans, se tiennent tous les deux ans, début janvier, à Rome2. L’hommage personnel que Ricœur rend à cette grande figure de la philosophie italienne attire en même temps l’attention sur l’un des rares lieux universitaires qui ont permis au « conflit des interprétations » de prendre forme et de se développer par-delà les frontières linguistiques et culturelles.

Le fait que Ricœur n’ait pas publié ces études dans leur ordre chronologique, mais les ait réparties en cinq groupes thématiques, n’est pas seulement une concession « formelle » à l’esprit structuraliste, où la « synchronie » prime toujours sur la « diachronie ». Il s’agissait surtout de dégager les grands chantiers dans lesquels une philosophie herméneutique critique, more gallico demonstrata, doit faire ses preuves.

En quoi celle-ci se distingue de l’herméneutique philosophique de Heidegger et de Gadamer, qui atteint ses lettres de noblesse en 1960 avec la publication de Vérité et Méthode, c’est ce que montre l’étude liminaire « Existence et herméneutique », initialement parue dans un ouvrage de Mélanges offerts à Romano Guardini, dont Ricœur avait traduit La Mort de Socrate.

Pour contextuelle qu’elle soit, cette étude a valeur de préface et se lit presque comme un « manifeste » philosophique, même si Ricœur, comme à son habitude, n’élève pas le ton, contrairement à ce que Sartre aurait fait à sa place. Il n’empêche que la décision de préférer la voie longue (et parfois tortueuse) de l’interprétation à la voie courte d’une « ontologie de la compréhension » a une portée fondatrice, jamais reniée. On en trouve encore l’écho en 1985, dans le deuxième volume d’Essais d’herméneutique, édité sous le titre Du texte à l’action.

Tout aussi fondatrice pour ce qu’on pourrait qualifier de « première herméneutique de Ricœur » est la décision de traiter le symbole et l’interprétation comme des concepts indissociables. En achevant son étude liminaire par la thèse « que l’existence dont peut parler une philosophie herméneutique reste toujours une existence interprétée »3 et en assignant au travail de l’interprétation la tâche de découvrir les multiples modalités de la dépendance du soi, Ricœur fixe le cap de sa première herméneutique, focalisée sur les expressions symboliques. Pour ce faire, il se dote d’un premier trépied : le désir (archéologie du sujet), l’esprit (téléologie), et le sacré (eschatologie). Ce trépied jouera un rôle décisif dans sa relecture philosophique de Freud, où le fondateur de la psychanalyse a pour compagnon de route Hegel et sa Phénoménologie de l’esprit d’une part, Mircea Eliade de l’autre. Si l’on compare ce trépied inaugural avec le trépied terminal de Soi-même comme un autre, où les figures de la passivité-altérité constitutives d’une herméneutique du soi se trouvent réparties sur le corps propre, l’altérité d’autrui et la voix de la conscience, on prend immédiatement la mesure du chemin parcouru.

Malgré l’importance de ces déplacements, une conviction forte relie les deux ouvrages. Elle trouve son expression dans une belle image, empruntée à la postface de Husserl à ses Ideen I, dans laquelle le fondateur de la phénoménologie transcendantale se comparait à Moïse, contemplant du haut du mont Nebo la terre promise dans laquelle il lui est interdit d’entrer de son vivant. Comme en écho, Ricœur confesse : « L’ontologie est bien la terre promise pour une philosophie qui commence par le langage et la réflexion ; mais, comme Moïse, le sujet parlant et réfléchissant peut seulement l’apercevoir avant de mourir4. »

 

Jamais sans doute cette terre promise et même les routes qui pourraient y mener ne furent plus inaccessibles que dans les années où les études rassemblées dans ce volume ont vu le jour. De toutes parts, se dressaient des obstacles que Ricœur s’efforçait d’affronter, en s’interdisant la désinvolture méprisante de ceux qui, plus tard, considéreront « la pensée 68 » comme une massa damnata monolithique qu’il s’agit de rejeter en bloc.

C’est ce dont on s’aperçoit immédiatement en revisitant la première ligne de front sur laquelle se situent les trois études de la première section. Elles montrent pourquoi une philosophie de l’interprétation comme celle de Ricœur ne pouvait et ne voulait pas éluder la confrontation avec le structuralisme, dont il ne cesse de rappeler l’origine linguistique. Ce n’est qu’après avoir pris la pleine mesure de la linguistique saussurienne que Ricœur se sent armé pour engager le dialogue et le débat avec l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss. D’entrée de jeu, il découvre un allié capital, qui l’accompagnera également plus tard dans ses travaux sur la métaphore vive et sur la narrativité : il s’agit d’Émile Benveniste, qui remplace l’opposition ruineuse de la langue et de la parole par la notion de discours.

En s’interrogeant sur la différence entre l’« intelligence herméneutique » (illustrée par ce que, dans son dialogue avec Lévi-Strauss, il désigne comme « type kérygmatique ») et l’« intelligence structurale » (focalisée sur le « type totémique »), qui se complètent plus qu’elles ne se contredisent, Ricœur jette les bases de ce qui, dans Temps et Récit II, sera désigné comme « intelligence narrative » et « rationalité narratologique ». Relue dans l’optique de Temps et Récit I-III, la question initiale, traitée lors du Colloque Castelli en 1963, de savoir comment le temps de l’interprétation s’inscrit dans celui de la tradition devait en effet, tôt ou tard, déboucher sur une vaste enquête relative aux multiples formes de la « mise en intrigue narrative », tant dans le récit historique que dans le récit de fiction.

 

La deuxième ligne de front, qui a également donné naissance à De l’interprétation. Essai sur Freud, est composée de cinq études qui illustrent l’âpreté de la confrontation avec la psychanalyse freudienne. « Ébranlement considérable », « détresse phénoménologique » sont les tournures révélatrices qui accompagnent la tentative de jeter les bases d’une anthropologie philosophique capable d’assumer la dialectique du conscient et de l’inconscient. Même si Ricœur sait qu’il est impossible d’additionner Hegel et Freud pour donner à chacun une moitié de l’homme, il n’hésite pas à mettre en dialogue une phénoménologie de l’esprit d’inspiration hégélienne et une archéologie de l’inconscient d’inspiration freudienne, persuadé que les deux sont également nécessaires pour qui veut comprendre la totalité de l’homme.

S’y ajoute le fait que Freud lui-même a franchi le seuil de la philosophie dans ses écrits sur la psychanalyse de la culture. C’est cette « transgression » qui permet à Ricœur, emboîtant le pas à Michel Foucault, de regrouper Freud, Marx et Nietzsche sous le vocable de « maîtres du soupçon ». La formule fera fortune, au risque de faire oublier les différences abyssales entre ces trois génies incommensurables.

La troisième étude de cette section, qui reproduit une conférence prononcée en 1966 devant la Société française de philosophie, mérite une attention particulière, pour autant qu’elle éclaire bien la fonction de « fil d’Ariane », ou de « Sésame, ouvre-toi ! » de certains des textes rassemblés dans ce volume. C’est un exposé succinct des raisons qui ont conduit Ricœur à s’intéresser à Freud, et aussi un aveu lucide des limites de cette tentative, qui fut, ne l’oublions pas, la première lecture intégrale de l’œuvre de Freud tentée par un philosophe français. Même si le philosophe privilégie les écrits de Freud qui relèvent de la philosophie de la culture et de la religion, l’étude sur la technique et la non-technique dans l’interprétation montre que les questions « techniques » de la clinique analytique ne lui sont pas indifférentes.

 

Pour comprendre l’idée que Ricœur se faisait à l’époque de la philosophie herméneutique, les trois études regroupées sous le titre « Herméneutique et phénoménologie », ainsi que les textes afférents à « La symbolique du mal » de la quatrième section dessinent la ligne de crête du livre.

Elles montrent d’abord l’un des points de départ jamais reniés du philosophe : la philosophie réflexive dans l’expression que lui a donnée Jean Nabert, dont Ricœur éditera le magnifique ouvrage posthume Le Désir de Dieu. « L’inquiétude du se comprendre »5 dont parle Nabert dans l’un de ses manuscrits est manifestement aussi celle de Ricœur qui, dans son autobiographie intellectuelle, se définit comme « esprit curieux et inquiet ». La formule entre en résonance avec le refus d’assimiler la réflexion à une intuition de soi par soi, impliquant la tâche interminable de « nous approprier ce que nous sommes à travers les expressions multiples de notre désir d’être ».

C’est le même pari philosophique fondamental en faveur d’une réflexion concrète, celle d’un cogito médiatisé par tout l’univers des signes, qui explique pourquoi, malgré toute la fascination que Sein und Zeit – ouvrage frappé de l’estampille du Reichsadler (l’aigle impérial), que Ricœur avait ramené de la bibliothèque du camp de prisonniers de Poméranie, comme une sorte de trophée de guerre – exerce sur lui, il plaide en faveur d’une autre herméneutique du « je suis » que l’analytique heideggérienne du souci. C’est une herméneutique qui ne cesse de tenir ensemble l’affirmation sereine : je suis et le doute poignant : qui suis-je ?

Cette thèse illustre bien à quel point Ricœur a « de la suite dans les idées » – souvent sans s’en apercevoir lui-même –, ce qui confirme l’actualité de la maxime herméneutique, souvent mal comprise, qui exige que l’interprète comprenne l’auteur mieux que celui-ci ne se comprend lui-même. On trouve en effet l’équivalent presque textuel de la formule citée à l’instant dans une page de Soi-même comme un autre, où Ricœur juxtapose le « Me voici » éthique et les « nuits de l’identité personnelle », où la question « qui suis-je ? » devient indécidable.

 

La quatrième section s’ouvre sur l’étude critique de la notion de péché originel qui, d’après Ricœur, est un simple mythe rationalisé lequel, contrairement à ce que pensait Schelling, ne se prête à aucune spéculation. À plus forte raison, il faut tenir la notion à l’écart des pseudo-rationalisations gnostiques.

Les deux longues études suivantes, qu’on peut lire comme une introduction à « La symbolique du mal », abordent une question aussi inéluctable que difficile, qu’on pourrait comparer aux difficultés que rencontrait Ferdinand de Saussure lors de sa tentative d’universaliser le modèle de la linguistique structurale afin de jeter les bases d’une théorie générale de la signification, autrement dit d’une sémiologie.

Ricœur savait évidemment que dans le vaste univers des symboles et des mythes, ceux sur lesquels il s’était focalisé pour achever sa philosophie de la volonté n’étaient qu’une toute petite île. Cela ne l’empêchait pas, pressé par ses lecteurs et ses auditeurs, de se demander sous quelles conditions ses analyses sont susceptibles d’être généralisées. S’agissant de la possibilité de déployer les concepts et catégories dont Ricœur s’était servi dans « La symbolique du mal » pour donner un sens philosophique aux symboles qu’on rencontre à même le langage de l’aveu de la faute (complété ultérieurement par le langage de la plainte), puis dans les mythes qui répondent à la question de l’origine du mal, on ne peut en effet qu’être impressionné par le fait que Ricœur préfère passer par la petite porte d’une réflexion sur la symbolique élémentaire de la souillure, du péché et de la culpabilité directement impliquée dans le langage de la faute.

De même, s’agissant de la symbolique de deuxième degré que forment les mythes, il choisit de s’en tenir à un échantillon extrêmement réduit de quatre réponses idéal-typiques : le drame babylonien de la création, le mythe adamique, la tragédie grecque et le mythe gnostique de l’âme exilée dans la prison du corps.

À partir du moment où se pose la question de la vérité du mythe, le choix se restreint encore. Rejetant vigoureusement la tentation du « donjuanisme culturel », Ricœur indique sous quelles conditions il lui est possible d’intégrer le mythe adamique dans sa propre conscience philosophique et critique.

Ce qui justifie toutes ces précautions et les mises en garde répétées à l’encontre d’extrapolations abusives, c’est la conviction que toutes les généralisations ne sont pas également fécondes. Certaines peuvent devenir des chemins qui ne mènent nulle part, ou, pire, n’être que des régressions pour une philosophie réflexive qui se donne pour tâche, pour citer l’une des formules récurrentes du volume, de nous approprier notre effort pour exister et notre désir d’être grâce à l’interprétation des œuvres qui en témoignent.

Si, à cet égard aussi, il y a matière à conflit, c’est parce que Ricœur partage avec Gadamer un même refus, ou plutôt un même renoncement. C’est le renoncement au savoir absolu hégélien, dont il n’admet qu’une seule approximation, qui s’estompera de plus en plus dans ses écrits ultérieurs : l’eschatologie du sacré, dont Mircea Eliade lui avait fait comprendre l’importance à l’époque où ils enseignaient ensemble à l’université de Chicago.

 

À première vue plus hétéroclites, les textes rassemblés dans la cinquième et dernière section du volume ont pour dénominateur commun le vaste chantier d’une « philosophie herméneutique de la religion »6. Ils montrent à quel point Ricœur était au fait des travaux des théologiens allemands comme Bultmann, Moltmann et Bonhoeffer, sans pour autant gommer, contrairement à ce que certains ont pu lui reprocher, la différence qui sépare les questionnements philosophiques et théologiques.

C’est ce que montre la préface au « Jésus » de Bultmann, dans laquelle Ricœur s’efforce en quelque sorte de comprendre Bultmann mieux qu’il ne s’est compris lui-même, en distinguant soigneusement entre une démythisation qui refuse de confondre kérygme et mythe et une démythologisation qui repose sur une conception erronée de la différence entre le mythe et la science.

Plus décisive encore pour l’orientation d’ensemble de la philosophie herméneutique de Ricœur est l’étude sur la qualité de liberté qui appartient au phénomène religieux comme tel7. En la définissant comme « liberté selon l’espérance », Ricœur ne se donne pas seulement un puissant outil conceptuel pour engager le dialogue avec les philosophies et les théologies de l’espérance d’Ernst Bloch, de Jürgen Moltmann et de Johann Baptist Metz, il montre aussi à quel point son herméneutique de la religion demeure tributaire de la question kantienne : « Que m’est-il permis d’espérer ? »

En plaçant son interrogation sur la possible signification religieuse de l’athéisme sous l’égide de la formule « de la résignation au consentement et du consentement à un mode d’habiter sur terre réglé par la poésie et par la pensée », il arrime son interrogation à la conclusion du Volontaire et l’Involontaire, dans laquelle il définissait le profil d’une « liberté seulement humaine », « qui est humaine et non pas divine » et qui « ne se pose point absolument parce qu’elle n’est pas la Transcendance »8. En même temps, il lève une ambiguïté qui grevait l’idée même de consentement, qu’on risque toujours de confondre avec une simple résignation désabusée. La notion de « liberté selon l’espérance » montre que le rêve d’une « poétique de la volonté » n’est pas abandonné, mais qu’il s’est métamorphosé, comme il le fera tout au long de l’œuvre ultérieure.

 

Il est incontestable que, à une époque où le mot de « contestation » était sur toutes les lèvres, le souci affiché par Ricœur d’arbitrer les conflits des interprétations en cours irritait et agaçait plus d’un. Peut-être même lui arrivait-il, de temps en temps, d’oublier que, dans ce conflit, lui-même était juge et partie. Il n’empêche que, ce faisant, il a éclairé la lanterne d’un grand nombre de contemporains.

Au regard de l’œuvre de Ricœur tout entière, on peut même dire plus. Ces premiers essais d’herméneutique, qui seront suivis par bien d’autres, donnent corps à une tâche qui, depuis Kant ne cesse d’être à l’ordre du jour : ils montrent ce que veut dire « s’orienter dans la pensée ».

Jean GREISCH


1.

Histoire et Vérité, Paris, Le Seuil, « Points Essais », p. 11.

2.

Sur le rôle joué par ces colloques, dont Ricœur fut un ouvrier de la première heure, voir le cahier spécial de la revue Archivo di Filosofia, LXXXIX, n° 2, 2011.

3.

Le Conflit des interprétations, « Existence et herméneutique », p. 49.

4.

Le Conflit des interprétations, « Existence et herméneutique », p. 50.

5.

Jean Nabert, « La conscience peut-elle se comprendre ? », dans Le Désir de Dieu, préface par Paul Ricœur, édité par Emmanuel Doucy, Paris, Le Cerf, 1996, p. 381-446.

6.

Pour une analyse fouillée de la contribution de Ricœur au développement d’un paradigme herméneutique de la philosophie de la religion, voir Jean Greisch, Le Buisson ardent et les Lumières de la raison, vol. III : Vers un paradigme herméneutique, Paris, Le Cerf, 2004, p. 735-917.

7.

Sur le même thème, voir Jean Greisch, « Difficile liberté religieuse », dans Mary Ann Glendon, Hans F. Zacher (dir.), Universal Rights in a World of Diversity. The Case of Religious Freedom, Rome, Vatican City, 2012, p. 134-154.

8.

Philosophie de la volonté 1. Le Volontaire et l’Involontaire (1950), rééd., Paris, Le Seuil, « Points Essais », 2009, p. 605.