Au Moyen Age :

Temps de l'Église

et temps du marchand

Le marchand n'a pas été au Moyen Age aussi communément méprisé qu'on l'a dit, à la suite notamment des remarques de Henri Pirenne qui s'est trop fié sur ce point à des textes surtout théoriques1. Il reste que, si l'Église a très tôt protégé et favorisé le marchand, elle a longtemps laissé peser de graves soupçons sur la légitimité d'aspects essentiels de son activité. Certains de ces aspects engagent profondément la vision du monde qu'avait l'homme du Moyen Age, disons plutôt, pour ne pas sacrifier au mythe d'un individu collectif abstrait, qu'avaient en Occident, des gens qui, entre XIIe et XVe siècle, possédaient une culture et un outillage mental suffisants pour réfléchir sur les problèmes professionnels et leurs incidences sociales, morales, religieuses.

Au premier rang de ces griefs faits aux marchands, figure le reproche que leur gain suppose une hypothèque sur le temps qui n'appartient qu'à Dieu. Voici, par exemple, ce qu'écrit dans une question disputée dans les premières années du XIVe siècle un lecteur général de l'Ordre franciscain : « Question : les marchands peuvent-ils pour une même affaire commerciale se faire davantage payer par celui qui ne peut régler tout de suite que par celui qui règle tout de suite ? La réponse argumentée est : non, car ainsi il vendrait le temps et commettrait une usure en vendant ce qui ne lui appartient pas »2.

Avant de dégager la conception du temps qui se cache derrière cet argument, il convient de souligner l'importance du problème. Toute la vie économique à l'aube du capitalisme commercial est, ici, mise en question. Refuser un bénéfice sur le temps, y voir un des vices fondamentaux de l'usure, c'est non seulement attaquer l'intérêt dans son principe, mais ruiner toute possibilité de développement du crédit. Au temps du marchand qui est occasion primordiale de gain, puisque celui qui a l'argent estime pouvoir tirer profit de l'attente du remboursement de celui qui n'en a pas à son immédiate disposition, puisque le marchand fonde son activité sur des hypothèses dont le temps est la trame même – stockage en prévision des famines, achat et revente aux moments favorables, déduits de la connaissance de la conjoncture économique, des constantes du marché des denrées et de l'argent, ce qui implique un réseau de renseignements et de courriers3 – à ce temps s'oppose le temps de l'Église, qui, lui, n'appartient qu'à Dieu et ne peut être objet de lucre.

Au vrai, c'est le problème même qui, à ce tournant essentiel de l'histoire de l'Occident, se pose de façon si aiguë à propos de l'enseignement : peut-il vendre la science qui, elle aussi, saint Bernard l'a rappelé avec sa force coutumière, n'appartient qu'à Dieu4 ? Ici est donc mis en cause tout le processus de laïcisation de domaines humains capitaux, des fondements mêmes et des cadres de l'activité humaine : temps du travail, données de la production intellectuelle et économique.

L'Église, sans doute, jette du lest. Elle accepte d'abord, favorise bientôt l'évolution historique des structures économiques et professionnelles. Mais l'élaboration théorique, au niveau canonique ou théologique, de cette adaptation, se fait lentement, difficilement.

Le conflit du temps de l'Église et du temps des marchands s'affirme donc, au cœur du Moyen Age, comme un des événements majeurs de l'histoire mentale de ces siècles, où s'élabore l'idéologie du monde moderne, sous la pression du glissement des structures et des pratiques économiques. Nous voudrions en préciser, ici, les données majeures.

 

I

 

On a souvent estimé que le christianisme avait fondamentalement renouvelé le problème du temps et de l'histoire. Les clercs médiévaux, nourris d'Écriture Sainte, habitués à prendre la Bible pour point de départ de leur réflexion, ont considéré le temps à partir des textes bibliques et de la tradition léguée, au-delà du Livre saint, par le christianisme primitif, les Pères et les exégètes du haut Moyen Age.

Le temps de la Bible et du christianisme primitif est avant tout un temps théologique. Il « commence avec Dieu » et il est « dominé par Lui ». Par conséquent l'action divine, dans sa totalité, est si naturellement liée au temps que celui-ci ne saurait donner lieu à un problème ; il est, au contraire, la condition nécessaire et naturelle de tout acte « divin ». Oscar Cullmann, que nous citons, a sans doute raison en soutenant contre Gerhard Delling que le christianisme primitif est proche du judaïsme à cet égard et n'a pas amené une « irruption de l'éternité dans le temps qui aurait été ainsi “vaincu” »5. L'éternité n'est pas pour les premiers chrétiens opposée au temps, elle n'est pas, comme pour Platon par exemple, « l'absence de temps ». L'éternité n'est pour eux que la dilatation du temps à l'infini, « la succession infinie des aiônes », pour reprendre un terme du Nouveau Testament, aussi bien des « espaces de temps délimités avec précision » que d'une durée illimitée et incalculable6. Nous reviendrons sur cette notion du temps quand il faudra l'opposer à la tradition héritée de l'hellénisme. Dans cette perspective, entre le temps et l'éternité, il y a donc différence quantitative et non qualitative.

Le Nouveau Testament apporte, ou précise, par rapport à la pensée judaïque, une nouvelle donnée. L'apparition du Christ, la réalisation de la promesse, l'Incarnation donnent au temps une dimension historique, ou mieux un centre. Désormais « depuis la création jusqu'au Christ l'histoire tout entière du passé, telle qu'elle est relatée dans l'Ancien Testament, fait déjà partie de l'histoire du salut »7.

Il y a là pourtant engagement ambigu. Le temps, pour les chrétiens comme pour les Juifs, a un but, un « télos ». L'Incarnation est déjà un événement décisif à cet égard. « L'avenir n'est plus, comme dans le judaïsme, le “télos” donnant un sens à toute l'histoire8. » L'eschatologie se situe dans une perspective nouvelle, en un sens elle est secondaire, elle appartient comme paradoxalement au passé elle aussi, puisque le Christ l'a en quelque sorte abolie par la certitude apportée du salut. Mais il s'agit d'achever ce que le Christ a une fois pour toutes engagé. La parousie n'a pas été seulement préfigurée le jour de la Pentecôte, elle a déjà commencé – mais doit être achevée avec le concours de l'Église, clercs et laïcs, apôtres, saints et pécheurs. Le « devoir missionnaire de l'Église, la prédication de l'Évangile, donne au temps compris entre la résurrection et la parousie son sens dans l'histoire du salut »9. Le Christ a apporté la certitude de l'éventualité du salut, mais il reste à l'histoire collective et à l'histoire individuelle de l'accomplir pour tous et pour chacun. D'où le fait que le chrétien doit à la fois renoncer au monde qui n'est que sa demeure transitoire et opter pour lui, l'accepter et le transformer puisqu'il est le chantier de l'histoire présente du salut. O. Cullmann offre à ce propos une interprétation très convaincante d'un passage difficile de saint Paul (I Cor. 7-30 sqq.)10.

Soulignons, avant de le retrouver dans un contexte médiéval concret, que le problème de la fin des temps va se poser comme un des aspects essentiels de la notion de temps, à ce grand tournant des XIe-XIIe siècles où s'affirme aussi dans certains groupes sociaux – parmi lesquels on trouvera des marchands – la renaissance d'hérésies eschatologiques, une poussée de millénarisme où s'engagent profondément, en même temps que le destin individuel, des réactions de classe inconscientes. Histoire à faire qui éclairera le joachimisme et tant d'autres mouvements révolutionnaires pour l'âme comme pour le statut économique. A cette époque, l'Apocalypse n'est pas le hochet de groupes ou d'individus désaxés mais l'espoir, la nourriture de groupes opprimés et de gens affamés. Les cavaliers de l'Apocalypse de saint Jean, on le sait, sont quatre : trois d'entre eux figurent les « plaies », les calamités terrestres – famines, épidémies, guerres – mais le premier partit en vainqueur pour remporter la victoire. S'il est, pour saint Jean, le Missionnaire de la Parole, pour les masses médiévales, il est le guide vers une double victoire, ici-bas et dans l'au-delà11.

Délesté de cette charge explosive de millénarisme, ce temps biblique est légué aux orthodoxes, disons du début du XIIe siècle. Il est installé dans l'éternité, il est morceau d'éternité. Comme on l'a dit, « pour le chrétien du Moyen Age... se sentir exister c'était pour lui se sentir être, et se sentir être, c'était se sentir non pas changer, non pas se succéder à soi-même, mais se sentir subsister... Sa tendance au néant (habitudo ad nihil) était compensée par une tendance opposée, une tendance à la cause première (habitudo ad causam primam) ». Ce temps est d'autre part linéaire, il a un sens, une direction, il tend vers Dieu. « Le temps finalement emportait le chrétien vers Dieu12. »

Ce n'est pas le lieu d'évoquer ici, dans sa complexité et ses articulations, multiples, cette « grande coupure du XIIe siècle, une des plus profondes qui ait jamais marqué l'évolution des sociétés européennes »13. L'accélération de l'économie, capitale, sera signalée quand nous retrouverons le marchand. Laissons seulement apercevoir, dès maintenant, comment l'ébranlement des structures mentales ouvre des fissures dans les formes traditionnelles de pensée : par là s'introduiront et se répercuteront les besoins spirituels liés à des conditions économiques et sociales nouvelles.

Sans doute la disparition de l'Empire romain, la barbarisation de l'Occident, et, à un moindre degré, les restaurations impériales carolingienne puis othonienne, avaient suscité une réflexion sur l'histoire – et le christianisme s'était inséré dans une évolution historique qui, bien que dominée pour ses adeptes par la Providence, et ordonnée vers le salut, devait faire appel, pour s'éclairer, aux explications des causes secondes, structurales ou contingentes. Malheureusement pour la réflexion historique, les interprétations augustiniennes s'étaient appauvries et déformées durant le haut Moyen Age. Chez saint Augustin, le temps de l'histoire, pour reprendre un heureux terme de Henri Marrou, conservait une « ambivalence » où, dans le cadre de l'éternité et subordonnés à l'action de la Providence, les hommes avaient prise sur leur propre destin et celui de l'humanité14. Mais, comme l'ont montré Bernheim et Mgr Arquillière15, les grandes idées du De Civitale Dei, où les analyses historiques font écho aux développements théologiques, se vident d'historicité avec l'augustinisme politique, de Gélase à Grégoire le Grand et à Hincmar. La société féodale, dans laquelle s'enlise l'Église entre le IXe et le XIe siècle, fige la réflexion historique et semble arrêter le temps de l'histoire, ou, en tout cas, l'assimiler à l'histoire de l'Église. Au XIIe siècle encore Othon de Freising, l'oncle de Frédéric Barberousse, écrit : « A partir de ce temps-là (Constantin), étant donné que non seulement tous les hommes, mais même les empereurs, à quelques exceptions près, furent catholiques, il me semble que j'ai écrit l'histoire non de deux cités, mais pour ainsi dire d'une seule, que je nomme l'Église. » Autre négation de l'histoire par la société féodale, l'épopée, la chanson de geste, qui n'utilise les éléments historiques que pour les dépouiller, au sein d'un idéal intemporel, de toute historicité16.

Le P. Chenu vient de montrer lumineusement comment, au cours du XIIe siècle, ces cadres traditionnels de la pensée chrétienne sur le temps et l'histoire ont été fortement ébranlés17.

Sans doute les écoles urbaines ne jouent ici qu'un rôle secondaire et le P. Chenu note « que les maîtres scolastiques n'utilisent à peu près pas les grands textes historiques du De Civitate Dei que méditent, au contraire, les écrivains monastiques ».

Sans doute l'Ancien Testament domine encore les esprits et oppose à une conception assouplie du temps le double obstacle de la vision judaïque d'une éternité figée et d'un symbolisme qui, systématisé en méthode de recherche et d'explication, par-delà le parallélisme Ancien-Nouveau Testament, fait s'évanouir toute la réalité concrète du temps de l'histoire18.

Mais l'histoire, sur des bases modestes, démarre à nouveau avec un Hugues de Saint-Victor qui fait dans son Didascalion une large place à l'« historia ». Sa définition, « historia est rerum gestarum narratio » ne fait que reprendre celle qu'Isidore de Séville a lui-même empruntée aux grammairiens latins, commentateurs de Virgile. Mais, s'exprimant dans une « series narrationis », elle est « une succession, et une succession organisée, une continuité articulée, dont les liaisons ont un sens qui est précisément l'objet de l'intelligibilité de l'histoire ; non pas des idées platoniciennes, mais des initiatives de Dieu dans le temps des hommes, des événements de salut »19.

Cette histoire emprunte aux Anciens – et à la Bible –  la théorie des âges, périodes qui reproduisent, pour la plupart des clercs historiens, les six jours de la Création –  cet autre événement sur quoi les théologiens du XIIe siècle appesantissent leur réflexion et dont l'examen nous entraînerait trop loin. Mais le sixième âge, où est arrivée l'humanité, pose déjà ses problèmes : dans un parallélisme courant avec les six âges de la vie humaine, il est l'époque de la vieillesse. Or tant d'hommes, tant de clercs, au XIIe siècle, se sentent « modernes ». « Comment y intégrer le déroulement moderne qui ne semble pas près de finir20 ? » Classification, instrument de mise en ordre et possibilité d'articulations, cette vue de l'histoire est déjà un motif d'inquiétude et de recherche.

De même l'idée se fait jour que l'histoire est faite de transferts. Histoire des civilisations, elle est une suite de « translationes ». De cette notion de « translatio » deux aspects sont très connus : dans l'ordre intellectuel la théorie suivant laquelle la science est passée d'Athènes à Rome, puis en France, et enfin à Paris où, des écoles urbaines, va naître la plus célèbre université : « translatio studii » qu'Alcuin avait déjà cru pouvoir repérer à l'époque carolingienne21  – de façon plus générale les historiens croient assister à un mouvement de la civilisation d'Est en Ouest. Les nationalismes naissants l'arrêteront dans tel pays d'élection : Othon de Freising dans l'Empire germanique, Ordéric Vital chez les Normands et au XIVe siècle Richard de Bury en Grande-Bretagne22. Toutes ces pseudo-explications (notre siècle en a vu d'autres, de Spengler à Toynbee) sont significatives. En tout cas elles assurent la liaison entre le sens du temps et le sens de l'espace, nouveauté plus révolutionnaire qu'il n'y paraît au premier abord et dont l'importance est grande pour le marchand.

Une ébauche d'économie politique positive s'affirme avec le Polycraticus de Jean de Salisbury : « Il fait pressentir l'évolution qui... proclamera l'autonomie des formes de la nature, des méthodes de l'esprit, des lois de la société... Il dépasse le moralisme des « miroirs des princes » pour amorcer une science du pouvoir, dans un État conçu comme un corps objectif, dans une administration à base de fonctions plus que d'hommages féodaux23. » Fait significatif : dans sa conception organiste de l'État, il donne à celui-ci comme pieds qui soutiennent tout son corps et lui permettent de marcher, les travailleurs ruraux et le monde des métiers24.

 

II

 

Et le marchand ? Il devient un personnage aux opérations compliquées et étendues, dans l'espace hanséatique et, plus encore, dans l'espace méditerranéen où domine le marchand italien, dont les techniques se précisent et les tentacules s'étirent, de la Chine où va Marco Polo, à Bruges et Londres où il s'installe ou établit ses facteurs25.

Comme le paysan il est d'abord soumis, dans son activité professionnelle, au temps météorologique, au cycle des saisons, à l'imprévisibilité des intempéries et des cataclysmes naturels. Pendant longtemps il n'y a eu, en ce domaine, que nécessité de soumission à l'ordre de la nature et de Dieu et comme moyen d'action que la prière et les pratiques superstitieuses. Mais, quand s'organise un réseau commercial, le temps devient objet de mesure. La durée d'un voyage par mer ou par terre d'une place à une autre, le problème des prix qui, au cours d'une même opération commerciale, plus encore si le circuit se complique, haussent ou baissent, augmentent ou diminuent les bénéfices, la durée du travail artisanal et ouvrier, pour ce marchand qui est aussi presque toujours un donneur d'ouvrage – tout cela s'impose davantage à son attention, devient objet de réglementation de plus en plus précise. La reprise de la frappe de l'or, la multiplication des signes monétaires, la complication des opérations de change résultant aussi bien de cette sorte de bimétallisme que de la diversité des monnaies réelles et des fluctuations naissantes que créent non seulement la variabilité du cours commercial de l'argent mais déjà les premiers « remuements » monétaires, c'est-à-dire les premières mesures inflationnistes et plus rarement déflationnistes – tout cet élargissement du domaine monétaire réclame un temps mieux mesuré26. Le domaine du change, au moment où l'aristocratie des changeurs succède à celle des monnayeurs du haut Moyen Age, préfigure le temps de la Bourse où minutes et secondes feront et déferont des fortunes.

Les statuts des corporations comme les documents proprement commerciaux – comptabilités, relations de voyages, pratiques de commerce27, et ces lettres de change28 qui commencent à se répandre dans les foires de Champagne devenues aux XIIe-XIIIe siècles le « clearing-house » du commerce international29 – tout montre que la juste mesure du temps importe de plus en plus à la bonne marche des affaires.

Pour le marchand, le milieu technologique superpose un temps nouveau, mesurable, c'est-à-dire orienté et prévisible, au temps à la fois éternellement recommencé et perpétuellement imprévisible du milieu naturel.

Voici, entre autres, un texte lumineux30. Le gouverneur royal d'Artois autorise en 1355 les gens d'Aire-sur-la-Lys à construire un beffroi dont les cloches sonneront les heures des transactions commerciales et du travail des ouvriers drapiers. L'utilisation, à des fins professionnelles, d'une nouvelle mesure du temps y est indiquée avec éclat. Instrument d'une classe « puisque, ladite ville est gouvernée par le métier de draperie », et c'est l'occasion de saisir combien l'évolution des structures mentales et de leurs expressions matérielles s'insère profondément dans le mécanisme de la lutte des classes, l'horloge communale est un instrument de domination économique, sociale et politique des marchands qui régentent la commune. Et, pour les servir, apparaît la nécessité d'une mesure rigoureuse du temps, car dans la draperie « il convient que la plupart des ouvriers journaliers – le prolétariat du textile – aillent et viennent à leur travail à des heures fixes ». Débuts de l'organisation du travail, annonces lointaines du taylorisme dont Georges Friedmann a montré quel instrument de classe il fut aussi31. Et déjà se dessinent les « cadences infernales ».

Ce temps qui commence à se rationaliser se laïcise du même coup. Plus encore pour des nécessités pratiques que pour des raisons théologiques, qui d'ailleurs sont à la base, le temps concret de l'Église, c'est, adapté de l'Antiquité, le temps des clercs, rythmé par les offices religieux, par les cloches qui les annoncent, à la rigueur indiqué par les cadrans solaires, imprécis et changeants, mesuré parfois par les clepsydres grossières. A ce temps de l'Église, marchands et artisans substituent le temps plus exactement mesuré, utilisable pour les besognes profanes et laïques, le temps des horloges. C'est la grande révolution du mouvement communal dans l'ordre du temps que ces horloges partout dressées face aux clochers des églises. Temps urbain plus complexe et raffiné que le temps simple des campagnes mesuré aux cloches rustiques dont Jean de Garlande nous donne, au début du XIIIe siècle, cette étymologie fantaisiste mais révélatrice : « Campane dicuntur a rusticis qui habitant in campo, qui nesciant judicare horas nisi per campanas32. »

Changement aussi important : le marchand découvre le prix du temps dans le même instant qu'il explore l'espace, pour lui la durée essentielle est celle d'un trajet. Or, pour la tradition chrétienne, le temps n'était pas « une sorte de doublure de l'espace, ni une condition formelle de la pensée ». Nous allons retrouver cette difficulté pour les théologiens chrétiens quand, précisément à cette époque – XIIe-XIIIe siècle – l'introduction de la pensée aristotélicienne va leur soumettre les problèmes des rapports du temps et de l'espace.

Que le marchand médiéval fasse la conquête du temps, et du même coup, de l'espace, voilà qui mériterait de retenir davantage l'attention des historiens et des sociologues de l'Art. Pierre Francastel, en un livre déjà classique, a montré les liens de la peinture et de la société et sous quelles pressions techniques, économiques et sociales, un « espace plastique » peut être détruit33. En même temps que la perspective, la peinture médiévale découvre le temps du tableau. Les siècles précédents ont représenté les divers éléments sur le même plan, conformément à la vision dégagée des servitudes du temps et de l'espace excluant la profondeur comme la succession. Les différences de taille n'exprimaient que la hiérarchie des conditions sociales et des dignités religieuses. On juxtaposait, sans le respect des coupures temporelles, des épisodes successifs dont l'ensemble constituait une histoire soustraite aux caprices du temps, déterminée dès l'origine en toutes ses phases par la volonté de Dieu. Désormais la perspective, même si elle n'est qu'une schématisation nouvelle, même si elle suppose une vision qui n'est pas « naturelle » mais répond au postulat d'un œil abstrait, traduit le résultat d'une expérience scientifique, est l'expression d'une connaissance pratique d'un espace dans lequel les hommes et les objets sont atteints successivement – selon des étapes quantitativement mesurables – par les démarches humaines. De même le peintre réduit son tableau ou sa fresque à l'unité temporelle d'un moment isolé, s'attache à l'instantané (que fixera à la limite la photographie), tandis que le temps, le temps romanesque pourrait-on dire, se trouve restitué dans les cycles muraux où précisément la peinture florentine, patronnée par l'aristocratie marchande, manifeste ses plus éclatants progrès. Le portrait triomphe, qui n'est plus l'image abstraite d'un personnage représenté par des symboles, des signes matérialisant la place et le rang que Dieu lui a assignés, mais rend l'individu saisi dans le temps, dans le concret spatial et temporel, non plus dans son essence éternelle, mais dans son être éphémère que l'art précisément, dans sa fonction nouvelle, a pour but d'immortaliser. Mais aussi, et tardivement encore, combien de recherches, d'hésitations, de compromis, de délectables fantaisies, comme dans le Miracle de l'Hostie de Paolo Uccello, à Urbino, où le traitement original de l'espace de la prédelle fournit du même coup au peintre l'occasion de découper le temps du récit en sauvegardant à la fois, la continuité de l'histoire et l'unité des épisodes34.

Temps mesurable, mécanisé même, que celui du marchand, mais aussi discontinu, coupé d'arrêts, de moments morts, affecté d'accélérations ou de ralentissements – en liaison souvent avec le retard technique et le poids des données naturelles : la pluie ou la sécheresse, le calme ou la tempête, ont leurs fortes incidences sur les prix. Dans cette malléabilité du temps, qui n'exclut pas l'inexorabilité des échéances, se situent les gains et les pertes, les marges bénéficiaires ou déficitaires ; là agissent l'intelligence, l'habileté, l'expérience, la ruse du marchand.

 

III

 

Et le temps de l'Église ? Le marchand chrétien le retient comme un autre horizon de son existence. Le temps dans lequel il agit professionnellement n'est pas celui dans lequel il vit religieusement. Dans la perspective du salut il se contente d'accepter les enseignements et les directives de l'Église. De l'un à l'autre horizon les zones de rencontre ne se touchent qu'extérieurement. De ses gains le marchand retire le denier à Dieu, de quoi alimenter les œuvres de bienfaisance. Être qui dure, il sait que le temps qui l'emporte vers Dieu et l'éternité est lui aussi susceptible d'arrêts, de chutes, d'accélérations. Temps du péché et temps de la grâce. Temps de la mort au monde avant la résurrection. Tantôt il la hâte par la retraite finale dans un monastère, tantôt et plus communément il accumule les restitutions, les bonnes œuvres, les donations pieuses, à l'heure où menace le passage toujours effrayant dans l'au-delà35.

Entre le temps naturel, le temps professionnel, le temps surnaturel, il y a donc à la fois séparation essentielle et rencontres contingentes. L'inondation devient matière à spéculation raisonnée, les richesses d'iniquité ouvrent la porte du ciel. Il faut donc éliminer de la psychologie du marchand médiéval le soupçon d'hypocrisie. Aussi bien sont diversement légitimes pour lui les buts poursuivis dans des perspectives différentes : le gain et le salut. C'est cette séparation même qui permet de prier Dieu pour le succès des affaires. Ainsi, au XVIe siècle et plus tard, le marchand protestant, nourri de Bible, particulièrement attentif aux leçons de l'Ancien Testament, continuera volontiers, mais dans un monde où l'on a pris l'habitude de les distinguer, à confondre les desseins de la Providence avec la prospérité de sa fortune36.

Maurice Halbwachs, en des pages pénétrantes37, a affirmé qu'il y avait autant de temps collectifs, dans une société, que de groupes séparés, nié qu'un temps unificateur pût s'imposer à tous les groupes et réduit le temps individuel à n'être que le point de rencontre, dans la conscience, des temps collectifs. Il faut appeler de nos vœux une enquête exhaustive qui montrerait, dans une société historique donnée, le jeu, entre les structures objectives et les cadres mentaux, entre les aventures collectives et les destins individuels, de tous ces temps au sein du Temps. Ainsi commencerait à s'éclairer la matière même de l'histoire et pourraient se mettre à revivre dans la trame de leur existence les hommes, gibier de l'historien38. Contentons-nous d'esquisser, à l'intérieur de ce jeu, la démarche du marchand médiéval.

A ce marchand habitué à agir dans « des durées en quelque sorte étagées les unes au-dessus des autres »39 et qui n'est pas encore accoutumé, par la rationalisation de son comportement et de sa pensée ou par une analyse introspective, à s'harmoniser et à se sentir ou à se vouloir un, l'Église va justement ouvrir les voies d'une unification de la conscience, par l'évolution de la confession ; d'une cohérence du comportement, par le développement d'une législation canonique et d'une réflexion théologico-morale sur l'usure.

Cette inflexion décisive dans les structures mentales de l'homme occidental s'amorce au XIIe siècle. C'est Abélard qui, sous une forme élaborée, déplace le centre de la pénitence de la sanction extérieure vers la contrition intérieure et ouvre à l'homme, par l'analyse des intentions, le champ de la psychologie moderne. Mais le XIIIe siècle donne au mouvement une force irrésistible. Dans le même moment les Ordres Mendiants découvrent un espace missionnaire en Afrique et en Asie – là même où le marchand avait déjà trouvé les horizons d'un élargissement de son activité –  et un front pionnier dans la conscience de l'homme. Ils remplacent les pénitentiels du haut Moyen Age, moyens d'action pastorale extravertie, fondée sur des tarifs de sanctions, par les manuels de confesseurs, instruments introvertis d'apostolat, orientés vers la recherche des dispositions intérieures au péché et au rachat, elles-mêmes ancrées dans des situations professionnelles et sociales concrètes. Pour eux, le démon prend moins les apparences des sept péchés capitaux que d'innombrables offenses à Dieu, diversement favorisées par le milieu du métier ou du groupe. Avec eux, plus d'échappatoire pour le marchand : le temps du salut et le temps des affaires se rejoignent dans l'unité de la vie individuelle et collective.

Il n'est pas de notre compétence d'examiner en détail, comment, dans cette conjoncture, l'apport, à l'issue d'un périple où les manuscrits arabes jouent un rôle transitaire capital, de la pensée hellénique, imprègne l'élaboration d'une nouvelle approche du problème du temps40.

Le P. Chenu a magistralement décelé comment, dès le XIIe siècle, à côté des platonismes et déjà des aristotélismes, la théologie grecque, avec Jean de Damas surtout, communique à la théologie occidentale un ébranlement majeur41.

Rappelons qu'on a traditionnellement opposé la conception hellénique à la conception chrétienne du temps. Pour reprendre les termes d'O. Cullmann, « les Grecs ne concevant pas le temps comme une ligne droite, le champ d'action de la Providence ne peut être l'histoire dans son ensemble, mais seulement le destin des individus. L'histoire n'est pas soumise à un « télos ». L'homme, pour satisfaire son besoin de révélation et de délivrance, ne peut que recourir à une mystique où le temps n'existe pas et qui s'exprime à l'aide de concepts spatiaux »42. On sait que la Renaissance et, pour prendre dans l'époque moderne un exemple de penseur marqué par l'hellénisme, Nietzsche, retrouveront ce sens hellénique du temps cyclique, de l'éternel retour – ou du temps héraclitéen ou même platonicien, « temps de la pure mobilité ». Ne retenons que la fameuse définition aristotélicienne du temps : « le temps est le nombre du mouvement », que reprend saint Thomas, mais selon certains dans un sens très différent, dans la mesure où « passer de la puissance à l'acte n'avait nécessairement rien de temporel ». Cette opposition nous semble devoir être atténuée. Sans doute, comme l'a clairement montré Étienne Gilson, « dans le monde éternel d'Aristote, qui dure en dehors de Dieu et sans Dieu, la philosophie chrétienne introduit la distinction de l'essence et de l'existence »43. Mais pas plus que Bergson n'a eu raison d'accuser Aristote d'avoir « réifié » le mouvement et que Descartes ne s'est vraiment moqué de la définition aristotélicienne du mouvement puisqu'ils ne jugeaient que d'après des caricatures de la tardive scolastique, il n'est pas certain que saint Thomas ait été infidèle à Aristote en voyant dans le mouvement « un certain mode d'être » et en restituant du même coup au temps à la fois sa plasticité contingente et pourtant mesurable et son essentialité fondamentale.

Il y avait là, en tout cas, la base théorique – théologique, métaphysique et scientifique ensemble – d'une rencontre du temps de l'Église et du temps des hommes agissant dans le monde, dans l'histoire, et au premier chef dans leur profession.

Même un Franciscain, comme l'auteur du texte que nous avons cité au début de cette étude, comprend, sans en donner de raison théorique, qu'on ne peut accepter l'opinion traditionnelle que « le temps ne peut être vendu ». Toute la pratique confessionnelle et son élaboration canonique au XIIIe siècle cherche la justification vraie de l'activité du marchand – tout en s'efforçant de l'enfermer dans les limites d'une réglementation où trop souvent déjà la religion se détériore en moralisme casuistique, et de la maintenir dans le cadre d'une tradition qu'il faut bien respecter. Ainsi s'effrite, à l'occasion de cas de conscience et de problèmes mineurs mais concrets et typiques, l'immuable temps de l'Ancien Testament et de la pensée judaïque. A côté des assouplissements apportés à la condamnation de tout ce qui porte le nom d'usure44 et que recouvrent des aspects temporels évidents –  « consideranda sunt dampna quibus mercatores se exponunt et que frequenter occurunt ex hoc quod vendunt ad tempus » dit notre magister en une expression courante mais révélatrice – le temps du jeûne, de l'abstinence, du repos dominical, ne sont plus des prescriptions à la lettre, mais, face aux nécessités professionnelles, des recommandations selon l'esprit45.

Il reste que la faillite de la conception traditionnelle du temps de la théologie chrétienne va emporter aussi avec elle, aux XIVe-XVe siècles, ce nouvel équilibre que les théologiens, canonistes et moralistes du XIIIe siècle avaient commencé d'élaborer, sous l'influence majeure des ordres mendiants –  à l'intérieur d'une reconsidération plus générale de l'« homo faber » imposée par les nouvelles données socio-économiques des techniques du faire – problème qui dépasse notre propos.

Avec les scotistes et les occamistes, le temps est rejeté dans le domaine des décisions imprévisibles de Dieu omnipotent. Avec les mystiques, avec Maître Eckhart et Jean Tauler46, toute durée se trouve confondue dans un mouvement où chaque créature est « dépouillée de son aptitude à recevoir la durée qui lui est propre ».

Voilà encore où reconnaître, avec Gordon Leff47, comment la scolastique du XIVe siècle favorise l'éclatement que sera la Renaissance des XVe-XVIe siècles : déchaînement et libération à la fois. Affranchi et tyran, l'homme de la Renaissance – celui qui occupe une suffisante position de puissance économique, politique ou intellectuelle – peut, au gré de la Fortune qu'il utilise suivant les capacités de sa virtù, aller où il veut. Il est maître de son temps comme du reste. Seule la mort le limite, mais saisie – le vif s'efforce de saisir le mort avant d'être happé par lui – dans une perspective toute nouvelle où la fin devient le point de départ de la réflexion et où la décomposition corporelle suscite le sens de la durée comme, en des analyses neuves, à travers les « artes moriendi » et la pensée des humanistes français et italiens, vient de le montrer Alberto Tenenti48.

Ainsi le marchand peut désormais – à une époque où, sans que les structures économiques soient fondamentalement changées, l'essor quantitatif recule ses horizons et dilate son action – user et abuser du temps. Resté chrétien, il ne pourra dorénavant qu'au prix d'une distorsion mentale et d'habiletés pratiques, éviter les heurts violents et les contradictions entre le temps de ses affaires et le temps de sa religion – car l'Église s'accroche aux vieilles réglementations, même quand elle cède, pour l'essentiel, au capitalisme naissant et s'y insinue elle-même.

 

IV

 

Parmi les nombreux problèmes que soulève une histoire dont ces pages ne cherchent qu'à susciter l'étude approfondie, il nous semble d'une haute importance de scruter quel a pu être l'impact, sur l'évolution des idées sur le temps, des travaux des maîtres scientifiques au tournant du XIIIe au XIVe siècle. Ici encore l'école anglaise, les Mertonians au premier rang, n'a pas livré son secret, non plus que les maîtres ès arts de Paris dont on aperçoit seulement la masse impulsive derrière Nicolas d'Autrecourt, Jean de Mirecourt, Jean Buridan, Nicole Oresme, et ce Jean de Ripa récemment révélé49 par l'abbé Combes, eux-mêmes mal connus. Dans ce milieu la critique de la physique et de la métaphysique aristotéliciennes, en même temps que les spéculations mathématiques et les recherches scientifiques concrètes, ont dû faire apparaître des vues nouvelles sur le temps comme sur l'espace. On sait à peu près que la cinématique, par l'étude du mouvement uniformément accéléré en sort transformée50. N'est-ce pas suffisant pour soupçonner qu'avec le mouvement, c'est le temps qui se trouve saisi dans une perspective neuve ? Déjà chez les Arabes les recherches conjuguées dans le domaine scientifique et dans le domaine philosophique, en abordant à nouveau les notions clefs de discontinuité héritées des atomistes de l'Antiquité, avaient renouvelé la vision du temps51.

Peut-être y a-t-il une liaison plus étroite qu'on ne le croit et qu'ils ne le pensaient sans aucun doute eux-mêmes entre les leçons des maîtres d'Oxford et de Paris et les entreprises des marchands de Gênes, de Venise, de Lübeck, au déclin du Moyen Age. C'est peut-être sous leur action conjuguée que le temps se brise et que le temps des marchands se libère du temps biblique que l'Église ne sait pas maintenir dans son ambivalence fondamentale.


1 Cf. notamment H. Pirenne, Histoire économique de l'Occident médiéval (recueil posthume, 1951), p. 169.

2 Ms. Flor. Bibl. Laurent. S. Croce Plut. VII, sin. 8, fo 351. Cf. Guillaume d'Auxerre (1160-1229), Summa aurea, III, 21, fo 225 V : « L'usurier agit contre la loi naturelle universelle, car il vend le temps, qui est commun à toutes les créatures. Augustin dit que chaque créature est obligée de faire don de soi ; le soleil est obligé de faire don de soi pour éclairer ; de même la terre est obligée de faire don de tout ce qu'elle peut produire et de même l'eau. Mais rien ne fait don de soi d'une façon plus conforme à la nature que le temps ; bon gré mal gré les choses ont du temps. Puisque donc l'usurier vend ce qui appartient nécessairement à toutes les créatures, il lèse toutes les créatures en général, même les pierres d'où il résulte que même si les hommes se taisaient devant les usuriers, les pierres crieraient si elles le pouvaient ; et c'est une des raisons pour lesquelles l'Église poursuit les usuriers. D'où il résulte que c'est spécialement contre eux que Dieu dit : « Quand je reprendrai le temps, c'est-à-dire quand le temps sera dans Ma main de telle sorte qu'un usurier ne pourra le vendre, alors je jugerai conformément à la justice. » Cité par John T. Nooman Jr., The scolastic Analysis of Usury, 1957, p. 43-44, qui souligne que Guillaume d'Auxerre est le premier à produire cet argument qui est repris par Innocent IV (Apparatus, V, 39, 48 ; V, 19, 6). L'auteur, à la fin du XIIIe siècle, de la Tabula Exemplorum (éd. J. T. Welter, 1926, p. 139) développe : « Comme les usuriers ne vendent que l'espérance de l'argent, c'est-à-dire le temps, ils vendent le jour et la nuit. Mais le jour est le temps de la lumière et la nuit le temps du repos ; ils vendent donc la lumière et le repos. Aussi il ne serait pas juste qu'ils jouissent de la lumière et du repos éternels. » Cf. encore Duns Scot, In IV libros sententiarum (Op. Oxon), IV, 15, 2, 17.

3 Les données les plus précieuses se trouvent dans Giovanni di Antonio da Uzzano, La pratica della mercatura, éd. G. F. Pagnini Della Ventura, t. IV de Della Decima..., 1766, et dans El libro di mercatantie e usanze de' paesi, éd. F. Borlandi, 1936. On y trouve par exemple : « A Gênes, l'argent est cher en septembre janvier et avril, en raison du départ des bateaux... à Rome ou là où se trouve le pape, le prix de l'argent varie suivant le nombre des bénéfices vacants et les déplacements du pape qui fait monter le prix de l'argent partout où il se trouve... à Valence il est cher en juillet et en août à cause du blé et du riz..., à Montpellier il y a trois foires qui y causent une grande cherté de l'argent. » Cité par J. Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Age, 1956, p. 30. Pour les spéculations à partir de la rapidité des informations, cf. P. Sardella, Nouvelles et spéculations à Venise au début du XVIe siècle, 1949.

4 Cf. G. Post, K. Giocarinis, R. Kay, The medieval heritage of a Humanistic Ideal : « Scientia donum Dei est, unde vendi non potest », dans Traditio, II (1955), p. 196-234, et J. Le Goff, Les Intellectuels au Moyen Age, 1957, p. 104 sqq.

5 O. Cullmann, Temps et histoire dans le christianisme primitif, 1947, p. 35. Gerhard Delling, Das Zeitverständnis des Neuen Testaments, 1940, cité ibid., p. 35, note 2.

6 O. Cullmann, op. cit., p. 32.

7 Ibid., p. 93.

8 Ibid., p. 98.

9 Ibid., p. 111.

10 Ibid., p. 152.

11 Sur le millénarisme Ray C. Petry, Christian Eschatology and Social Thought. A historical essay on the social implications of some selected aspects in christian eschatology to a.d. 1500, 1956, reste théorique. On peut encore consulter E. Waldstein, Die eschatologische Ideengruppe : Antechrist, Weltsabbat, Weltende und Weltgeschichte, 1896, et même Tommaso Malvenda, De Antichristo, Rome, 1604, 3e éd., 1647. Gordon Leff a opposé des problèmes d'historien (« In search of Millenium », Past and Present, 1958, p. 89-95) à l'ouvrage abstrait de Norman Cohn, The Pursuite of the Millenium, 1957, trad. franç. Les fanatiques de l'Apocalypse, Paris, 1962. – Sur les rapports entre hérésies médiévales et classes sociales les vues divergent. Les aspects sociaux sont minimisés par le P. Ilarino da Milano, Le eresie popolari del secolo XI nell' Europa occidentale (Studi greg. raccolti da G. B. Borina, II, 1947, p. 43-101) et A. Borst, Die Katharer, 1953. En sens contraire : C. Volpe, Movimenti religiosi e sette ereticali nella società medievale italiana, 1922, et les interprétations marxistes de N. Sidorova, « Les mouvements hérétiques populaires en France aux XIe-XIIe siècles » (en russe) dans Srednie Veka (Le Moyen Age), 1953, et E. Werner, Die gesellschaftlichen Grundlagen der Klosterreform im 11. Jahrhundert, 1955. Mise au point de R. Morghen dans Medivo Cristiano, 1951, p. 212 sqq. et dans les Relazioni du Xe Congrès international des Sciences historiques, Rome, 1955, t. III, p. 333 sqq. Essai suggestif de Charles P. Bru, « Sociologie du catharisme occitan » in Spiritualité de l'hérésie : le Catharisme, 1 vol. sous la direction de R. Nelli, 1953.

12 G. Poulet, Études sur le temps humain, 1949.

13 M. Bloch in Annales d'histvire économique et sociale, 1936, p. 582.

14 H. I. Marrou, L'Ambivalence du temps de l'histoire chez saint Augustin, 1950. Sur le temps chez saint Augustin consulter dans le recueil : Augustinus Magister, Congrès international augustinien. Paris, 21-24 septembre 1954, 3 vol., 1955 : J. Chaix-Ruy, La Cité de Dieu et la structure du temps chez saint Augustin, p. 923-931 ; R. Gillet, O.S.B., Temps et exemplarisme chez saint Augustin, p. 933-941 ; J. Hubaux, Saint Augustin et la crise cyclique, p. 943-950.

15 E. Bernheim, Mittelalterliche Zeitanschauung in ihrem Einfluss auf Politik und Geschichtsschreibung, 1918 ; H. X. Arquillière, L'Augustinisme politique, 1934.

16 Cf. P. Rousset, « La conception de l'histoire à l'époque féodale », in Mélanges Halphen, p. 623-633 : « La notion de durée, de précision faisait défaut aux hommes de l'époque féodale » (p. 629) ; « ce goût du passé et ce besoin de fixer les époques s'accompagnent d'une volonté d'ignorer le temps » (p. 630) ; « à l'origine de la Croisade ce même sentiment éclate ; les chevaliers veulent, supprimant le temps et l'espace, frapper les bourreaux du Christ » (p. 631). L'auteur fait écho à M. Bloch qui a décelé, à l'époque féodale, « une vaste indifférence au temps » (La Société féodale, t. I, p. 119). – Sur Othon de Freising, cf. H. M. Klinkenberg, « Der Sinn der Chronik Ottos von Freising », in A us Mittelalter und Neuzeit. Gerhard Kullen zum 70 Geburtstag dargebracht, 1957, 63-76.

17 M.-D. Chenu, « Conscience de l'histoire et théologie », in Archives d'Histoire doctrinale et littéraire du Moyen Age, 1954, p. 107-133 ; repris dans La Théologie au XIIe siècle, 1957, p. 62-89. Rappelons E. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale, 2e éd., 1948, chap. XIX : « Le Moyen Age et l'Histoire », p. 365-382. Sur deux « historiens » du XIIe siècle, cf. R. Daly, « Peter Comestor, Master of Histories », in Speculum, 1957, p. 62-72 et H. Wolter, Ordericus Vitalis. Ein Beitrag sur Kluniazensischen Geschichtsschreibung, 1955.

18 M.-D. Chenu, op. cité, p. 210-220 : « L'Ancien Testament dans la théologie médiévale ». L'ouvrage de B. Smalley, The Study of the Bible in the Middle Ages, 1940, 2e éd., 1952, est fondamental. L'aspect symbolique de la pensée chrétienne au XIIe siècle a été présenté par M. M. Davy, Essai sur la Symbolique romane, 1955, qui ne met en valeur que le côté le plus traditionnel de la théologie du XIIe siècle.

19 M.-D. Chenu, op. cité, p. 66-67.

20 Ibid., p. 76.

21 Cf. E. Gilson, Les Idées et les lettres, p. 183 sqq. et P. Renucci, L'Aventure de l'humanisme européen au Moyen Age, p. 138 sqq. La « translatio studii » franco-italienne.

22 M.-D. Chenu, op. cité, p. 79-80.

23 Ibid., p. 86.

24 Cf. H. Liebeschutz, Medieval Humanism in the Life and Writings of John of Salisbury, 1950.

25 Sur le marchand médiéval vues d'ensemble in Y. Renouard, Les Hommes d'affaires italiens du Moyen Age, 1949 ; A. Sapori, Le Marchand italien au Moyen Age, 1952 ; J. Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Age, 1956.

26 Sur les problèmes monétaires au Moyen Age, M. Bloch, Esquisse d'une histoire monétaire de l'Europe (posthume, 1954) ; C. M. Cipolla, Money, Prices and Civilization in the Mediterranean World, Vth to XVIIth c., 1956. T. Zerbi, Moneta effettiva e moneta di conto nelle fonti contabili di storia economica, 1955 ; R.S. Lopez, Settecento anni fa : Il ritorno all'oro nell'Occidente duecentesco, 1955.

27 Cf. J. Meuvret, « Manuels et traités à l'usage des négociants aux premières époques de l'âge moderne », in Études d'Histoire moderne et contemporaine, t. V, 1953.

28 Cf. R. de Roover, L'Évolution de la lettre de change, 1953.

29 Cf. R. H. Bautier, « Les foires de Champagne. Recherches sur une évolution historique », in Recueils de la Société Jean Bodin : La Foire, 1953, p. 97-147.

30 Publié par J. Rouyer, Aperçu historique sur deux cloches du beffroi d'Aire. La bancloque et le vigneron. P.J.I., p. 253-254 ; G. Espinas et H. Pirenne, Recueil de documents relatifs à l'Histoire de l'industrie drapière en Flandre, t. I, 1906, p. 5-6.

31 G. Friedmann, « Frederic Winslow Taylor : l'optimisme d'un ingénieur » in Annales d'Histoire économique et sociale, 1935, p. 584-602.

32 Sur la mesure du temps et les horloges, idées intéressantes mais à reprendre souvent avec une information plus précise dans Lewis Mumford, Technique et Civilisation, 1934, trad. franç. 1950, p. 22 sqq. ; excellent aperçu dans Y. Renouard, op. cit., p. 190-192. On se rappellera toutefois que dans ce domaine aussi des progrès décisifs ne se produiront qu'à partir du XVIe siècle. A. P. Usher exagère cependant en sens inverse en déclarant : « The history of clocks prior the XVIth century is largely a record of essentially empirical achievements » in A History of mechanical inventions, 2e éd., 1954, p. 304. Cf. A. C. Crombie, Augustine to Galileo. The History of Science. A. D. 400-1650, 2e éd., 1957, p. 150-151, 183, 186-187. – D'une vaste littérature retenons, pour la documentation, F. A. B. Ward, Time Measurement, 1937, et, pour l'agrément, le plaisant ouvrage de vulgarisation de F. Le Lionnais, Le Temps, 1959. La phrase de Jean de Garlande est tirée de son Dictionarius, éd. Géraud, p. 590. – On sait que les psychologues ont insisté sur l'acquisition concomitante des notions temporelles et spatiales par l'enfant (J. Piaget, Le Développement de la notion de temps chez l'enfant, 1946, p. 181-203 ; P. Fraisse, Psychologie du temps, 1957, p. 277-299 ; Ph. Malrieu, « Aspects sociaux de la construction du temps chez l'enfant », Journal de Psychologie, 1956, p. 315-332).

33 P. Francastel, Peinture et Société. Naissance et destruction d'un espace plastique. De la Renaissance au Cubisme, 1951.

34 Sur les rapports entre les représentations théâtrales et le tableau d'Uccello, cf. P. Francastel, « Un mystère parisien illustré par Uccello : le miracle de l'hostie d'Urbino », in Revue archéologique, 1952, p. 180-191.

35 Exemples notamment J. Lestocquoy, Les Villes de Flandre et d'Italie sous le gouvernement des patriciens (XIe-XVe s.), 1952, p. 204 sqq. : « Les patriciens et l'Évangile ».

36 Nous ne méconnaissons pas que les études récentes de détail amènent à nuancer et à corriger considérablement les thèses classiques de Max Weber, Die protestantische Ethik und der Geist des Kapitalismus, 1920, et de R.H. Tawney, Religion and the Rise of Capitalism, 1926.

37 « La mémoire collective et le temps », Cahiers internationaux de Sociologie, 1947,p. 3-31.

38 R. Mandrou a rappelé (Annales, 1960, p. 172) les exigences de l'historien et des suggestions anciennes de M. Bloch face à des travaux récents de philosophes peu soucieux d'histoire concrète.

39 C. Poulet, op. cité, p. VI, reprenant Duns Scot, Quest. Quodl. q. 12.

40 Outre les ouvrages généraux sur l'histoire de la philosophie et des sciences, on peut, sur le rôle des Arabes, consulter A. Mieli, Panorama general de historia de la ciencia, t. II. El mundo islamico y el occidente medieval cristiano, 1946 et F. Van Steenberghen, Aristotle in the West, 1956. Sur un point précis : E. Wiedemann, Über die Uhren im Bereich der Islamischen Kultur, 1915.

41 M.-D. Chenu, op. cit., chap. XII et XIII : « L'entrée de la théologie grecque et orientale », p. 274-322.

42 O. Cullmann, op. cit., p. 36 ; cf. L. Laberthonnière, Le Réalisme chrétien et l'idéalisme grec, 1904 et J. Guitton, Le Temps et l'éternité chez Plotin et chez saint Augustin, 1933.

43 E. Gilson, L'Esprit de la philosophie médiévale, 2e éd., 1948, p. 66. Voir tout le début du chapitre IV : « Les êtres et leur contingence », p. 63 sqq.

44 Cf. G. Le Bras, Art. « Usure » in Dictionnaire de Théologie Catholique, t. XV, IIe partie, 1950, col. 2336-2372 ; B. N. Nelson, The Idea of Usury : from tribal brotherhood to universal otherhood, 1949 et l'ouvrage cité de John T. Noonan Jr.

45 Joannes Andreae (1270-1348), professeur de droit canon à Bologne, dans son traité De regulis Juris, art. « Peccatum », 12 (cité par John T. Noonan Jr, op. cit., p. 66) déclare que l'argument selon lequel le temps ne peut être vendu est « frivole », car de nombreux contrats comportent un délai de temps, sans qu'on puisse dire qu'ils impliquent une vente du temps. Le mécanisme des opérations commerciales est donc mieux connu désormais des docteurs, et saisi par eux dans une perspective proprement technique.

46 M. de Gandillac, Valeur du temps dans la pédagogie spirituelle de Jean Tauler, 1955.

47 Gordon Leff, « The XIVth century and the decline of Scholasticism », in Past and Present, no 9, avril 1956, p. 30-41. Id. Braduardine and the Pelagians, 1957.

48 A. Tenenti, La Vie et la mort à travers l'art du XVe siècle, 1952 et Il senso della morte e l'amore della vita nel Rinascimento, 1957, chap. II : « Il senso della durata », p. 48-79.

49 A. Combes, Conclusiones de Jean de Ripa. Texte critique avec introduction et notes, 1956.

50 Bibliographie la plus récente ap. A. C. Crombie, op. cit., 2e éd., 1957, p. 414-416. On consultera notamment les travaux de M. Clagett, A. Koyré, A. Maier, C. Michalsky. Y ajouter les études de G. Beaujouan et son esquisse dans Histoire générale des Sciences, t. I. La Science antique et médiévale, sous la direction de R. Taton, 1957. Sur les origines de ce courant H. Shapiro, « Motion, Time and Place according to William Ockham », Franciscan Studies, 1956.

51 S. Pines, Beiträge zur islamischen Atomenlehre, 1936, et idem « Les précurseurs musulmans de la théorie de l'impetus », in Archeion, 1938.