Toute société a sa hiérarchie sociale – révélatrice de ses structures et de sa mentalité. Ce n'est pas mon dessein d'esquisser ici le schéma sociologique de la Chrétienté médiévale et de ses métamorphoses1. D'une façon ou d'une autre, les métiers y ont trouvé leur place, large ou étroite selon les époques. Mon dessein est d'étudier la hiérarchie des métiers dans la société de l'Occident médiéval. Métiers nobles, métiers vils, métiers licites, métiers illicites, ces catégories recouvrent des réalités économiques et sociales – plus encore des mentalités. Ce sont celles-ci qui m'intéressent surtout ici – étant bien entendu que le rapport entre les situations concrètes et les images mentales ne sera pas négligé. Sans doute la mentalité est ce qui change le plus lentement dans les sociétés et les civilisations – mais force lui est bien de suivre, malgré ses résistances, ses retards, ses décalages, de s'adapter aux transformations des infrastructures. Ce n'est pas un tableau statique qui sera donc ici présenté, mais une évolution dont on cherchera les stimulants, les agents, les modalités. Tel est méprisé en l'An Mille qui tiendra le haut du pavé à l'aube de la Renaissance. Suivre les mouvements de la roue de fortune des métiers médiévaux, c'est la tentative esquissée ici.
Parmi ces métiers, certains furent condamnés sans restriction – telle l'usure ou la prostitution –, d'autres ne le furent que dans certains cas2 – eu égard aux circonstances (tel l'ensemble des « occupations serviles » – opera servilia, interdites le dimanche), aux motifs (le commerce, proscrit quand il est exercé en vue du profit – lucri causa – est autorisé quand il a pour but le service du prochain ou l'utilité commune), ou surtout aux personnes – et il s'agit essentiellement des activités interdites aux clercs3. Mais il est évident que, dans ces derniers cas aussi, les métiers, ainsi occasionnellement prohibés, étaient, en fait, méprisés – soit que le mépris dont ils étaient habituellement l'objet les ait fait mettre sur la liste noire, soit au contraire que leur présence sur cette liste, survivance de mépris oubliés, incitât pour ce seul motif à les mépriser. Il est clair qu'interdire une profession à un clerc dans une société religieuse et « cléricale », comme celle de l'Occident médiéval, n'est pas une recommandation pour cette profession, mais lui vaut au contraire un discrédit qui rejaillit sur les laïcs qui l'exercent. Chirurgiens et notaires l'ont, entre autres, éprouvé.
Sans doute y a-t-il des nuances, juridiques ou pratiques, entre les métiers interdits – « negotia illicita » – et les occupations simplement déshonnêtes ou viles – « inhonesta mercimonia »4, « artes indecorae »5 « vilia officia »6. Mais, les uns et les autres forment ensemble cette catégorie des professions méprisées qui nous occupe ici en tant que fait de mentalité. En dresser la liste exhaustive, ce serait risquer de dénombrer presque tous les métiers médiévaux – le fait est d'ailleurs significatif7 –, car ils varient selon les documents, les régions, les époques et parfois se multiplient. Citons ceux qui reviennent le plus souvent : aubergistes, bouchers, jongleurs, histrions, magiciens, alchimistes, médecins, chirurgiens, soldats8, souteneurs, prostituées, notaires, marchands9, en première ligne. Mais aussi foulons, tisserands, bourreliers, teinturiers, pâtissiers, cordonniers10 ; jardiniers, peintres, pêcheurs, barbiers11 ; baillis, gardes champêtres, douaniers, changeurs, tailleurs, parfumeurs, tripiers, meuniers, etc.12 sont mis à l'index13.
A l'arrière-plan de ces interdictions, nous trouvons les survivances de mentalités primitives très vivaces dans les esprits médiévaux : les vieux tabous des sociétés primitives.
Tabou du sang d'abord. S'il joue surtout contre les bouchers et les bourreaux, il touche aussi les chirurgiens et les barbiers, ou apothicaires pratiquant saignée – tous plus durement traités que les médecins ; il atteint enfin les soldats. Cette société sanguinaire qu'a été celle de l'Occident médiéval semble osciller entre la délectation et l'horreur du sang versé.
Tabou de l'impureté, de la saleté, qui retombe sur les foulons, les teinturiers, les cuisiniers. Mépris pour les ouvriers textiles, les « ongles bleus » des émeutes du XIVe siècle, que Jean de Garlande, au début du XIIIe siècle, nous montre en butte à l'hostilité de leurs semblables, à celle des femmes surtout, qui les trouvent repoussants14. Mépris pour les cuisiniers et les blanchisseurs, que l'on trouve naïvement exprimé vers l'An Mille par l'évêque Adalbéron de Laon qui, faisant l'éloge des clercs exempts des travaux serviles, déclare : « Ils ne sont ni bouchers, ni aubergistes..., ignorent la cuisante chaleur d'une marmite graisseuse..., ils ne sont pas blanchisseurs et dédaignent de faire bouillir le linge... »15. Aversion que l'on retrouve, avec quelque étonnement, chez saint Thomas d'Aquin qui, au moyen d'une argumentation philosophique et théologique, finit par mettre curieusement au bas de l'échelle professionnelle, pour leur contact avec la saleté, les laveurs de vaisselle16 !
Tabou de l'argent, qui a joué un rôle important dans la lutte des sociétés vivant dans un cadre d'économie naturelle contre l'envahissement de l'économie monétaire. Ce recul panique devant la pièce de métal précieux anime les malédictions contre l'argent des théologiens médiévaux – d'un saint Bernard par exemple – et stimule l'hostilité à l'égard des marchands, surtout attaqués en tant qu'usuriers ou changeurs, et plus généralement de tous les manieurs d'argent17, comme de tous les salariés groupés sous le nom de mercenaires ; les textes sont particulièrement sévères envers les champions qui affrontent les ordalies à la place des intéressés, et les prostituées, cas extrême du « turpe lucrum », de l'argent mal gagné.
A ce vieux fond atavique, le christianisme a ajouté ses propres condamnations.
Notons d'abord qu'il habille souvent les tabous primitifs de son idéologie nouvelle. Les militaires sont condamnés, comme le fait la question I de la cause 23 du Décret de Gratien, non pas directement en tant que verseurs de sang, mais indirectement comme contrevenant au commandement « Tu ne tueras point » et tombant sous le coup du jugement de saint Matthieu (26, 52) : « Quiconque prendra une épée périra par l'épée. »
Remarquons encore que le christianisme est ici souvent dans la ligne de son double héritage de culture et de mentalité : l'héritage juif et l'héritage gréco-romain, idéologiquement dominés par la suprématie morale des activités originelles des ancêtres. Les métiers non agricoles trouvent difficilement grâce devant ces descendants d'agriculteurs et de pasteurs, et l'Église reprendra souvent les anathèmes d'un Platon et d'un Cicéron18, interprètes des aristocraties foncières de l'Antiquité.
Mais surtout le christianisme enrichit, c'est-à-dire allonge, selon son optique particulière, la liste des professions interdites ou méprisées.
Sont ainsi condamnés les métiers qu'on peut difficilement exercer sans tomber dans l'un des péchés capitaux.
La luxure, par exemple, sera le motif de la condamnation des aubergistes et tenanciers d'étuves dont les maisons étaient souvent mal famées, des jongleurs qui incitent à des danses lascives et obscènes (ce que souligne le rapprochement avec la danse impie de Salomé), des taverniers qui vivent de la vente de la triple volupté maudite du vin, du jeu et de la danse ; et même des ouvrières du textile, accusées de fournir des contingents importants à la prostitution19, ce qui doit être en partie vrai, si l'on songe aux salaires misérables qu'elles recevaient.
L'avarice – c'est-à-dire la cupidité – n'est-elle pas le péché, en quelque sorte professionnel, aussi bien des marchands que des hommes de loi – avocats, notaires, juges ?
La condamnation de la gourmandise entraîne naturellement celle du cuisinier.
L'orgueil et l'avarice ne viennent-ils pas renforcer la comdamnation du soldat, déjà mis hors la loi pour le sang répandu ? Albert Le Grand rappelle les trois dangers majeurs du métier militaire : « le meurtre des innocents », « l'appât de gains supérieurs », « le vain étalage de la force ».
Il n'est pas jusqu'à la paresse qui ne justifie la mise à l'index de la profession de mendiant – plus précisément du mendiant valide, de ceux « qui ne veulent pas travailler par paresse »20.
Plus profondément sont condamnés les métiers opposés à certaines des tendances ou des dogmes les plus essentiels du christianisme.
Les professions lucratives sont frappées au nom du « contemptus mundi », du mépris du monde que doit manifester tout chrétien, et les juristes sont ainsi condamnés, l'Église soulignant souvent l'opposition entre le droit canonique légitime et le droit civil néfaste21. Plus généralement il y a [dans le christianisme une tendance à condamner tout « negotium », toute activité séculière, à privilégier au contraire un certain « otium », une oisiveté qui est confiance en la Providence.
Les hommes étant enfants de Dieu participent à sa divinité, et le corps est un tabernacle vivant. Tout ce qui le souille est péché. Aussi les métiers luxurieux – ou prétendus tels – sont-ils spécialement stigmatisés.
La fraternité entre les hommes – ou en tout cas entre chrétiens – est à la base de la condamnation des usuriers qui enfreignent le précepte du Christ : « Prêtez sans rien espérer en retour » – « inde nihil sperantes » (Luc, VI, 34-35).
Plus profondément encore, l'homme doit travailler à l'image de Dieu22. Or le travail de Dieu, c'est la Création. Toute profession qui ne crée pas est donc mauvaise ou inférieure. Il faut, comme le paysan, créer la moisson, ou, à tout le moins, transformer comme l'artisan la matière première en objet. A défaut de créer, il faut transformer – « mutare » –, modifier – « emendare » –, améliorer – « meliorare »23. Ainsi est condamné le marchand qui ne crée rien. C'est là une structure mentale essentielle de la société chrétienne, nourrie d'une théologie et d'une morale épanouies en régime précapitaliste. L'idéologie médiévale est matérialiste au sens strict. Seule a valeur la production de matière. La valeur abstraite définie par l'économie capitaliste lui échappe, lui répugne, est condamnée par elle.
Le tableau esquissé jusqu'ici vaut surtout pour le Haut Moyen Age. La société occidentale, à cette époque essentiellement rurale, englobe dans un mépris presque général la plupart des activités qui ne sont pas liées directement à la terre. Encore l'humble travail paysan se trouve-t-il humilié par le biais des « opera servilia », des tâches serviles interdites le dimanche, et par l'éloignement où se tiennent les classes dominantes – aristocratie militaire et foncière, clergé – de tout travail manuel. Sans doute quelques artisans – des artistes plutôt – sont-ils auréolés de singuliers prestiges où la mentalité magique se satisfait de façon positive : l'orfèvre, le forgeron, le forgeur d'épées surtout... Numériquement, ils comptent peu. A l'historien des mentalités, ils apparaissent plus comme des sorciers que comme des hommes de métier. Prestige des techniques du luxe, ou de la force, dans les sociétés primitives...
Or ce contexte, entre le XIe et le XIIIe siècle, change. Une révolution économique et sociale se produit dans l'Occident chrétien, dont l'essor urbain est le symptôme le plus éclatant, et la division du travail l'aspect le plus important. De nouveaux métiers naissent ou se développent, de nouvelles catégories professionnelles apparaissent ou s'étoffent, des groupes socio-professionnels nouveaux, forts de leur nombre, de leur rôle, réclament et conquièrent une estime, voire un prestige appropriés à leur force. Ils veulent être considérés et y réussissent. Le temps du mépris est révolu.
Une révision s'opère dans les attitudes à l'égard des métiers. Le nombre des professions interdites ou déconsidérées décroît, les causes d'excuse à l'exercice de tel ou tel métier, jusqu'alors condamné, se multiplient.
Le grand instrument intellectuel de cette révision, c'est la scolastique. Méthode de distinction, elle bouleverse la classification grossière, manichéenne, obscure, de la mentalité préscolastique. Casuistique – c'est, aux XIIe et XIIIe siècles, son grand mérite avant de devenir son grand défaut – elle sépare les occupations illicites en soi, par nature – « ex natura » – de celles qui sont condamnables selon les cas, par occasion – « ex occasione ».
Le phénomène capital, c'est que la liste des métiers condamnés sans rémission, « ex natura », s'amenuise à l'extrême, s'amenuise sans cesse.
L'usure, par exemple, encore maudite sans recours au milieu du XIIe siècle, dans le Décret de Gratien, se différenciera insensiblement en diverses opérations dont certaines, de plus en plus nombreuses, seront peu à peu tolérées24.
Bientôt seuls jongleurs et prostituées seront bannis de la société chrétienne. Encore la tolérance de fait dont ils jouiront s'accompagnera-t-elle de complaisances théoriques à leur égard, et même de tentatives de justification.
Berthold von Regensburg, au XIIIe siècle, ne rejettera de la société chrétienne que le ramassis des vagabonds, des errants, des « vagi ». Ils formeront la « familia diaboli », la famille du diable, en face de tous les autres métiers, de tous les autres « états » désormais admis dans la famille du Christ, la « familia Christi »25.
Les causes de condamnation mettent des conditions de plus en plus strictes, exceptionnelles, à l'interdiction de telle ou telle occupation qui se trouve réhabilitée dans son exercice normal, désormais légitime.
Ainsi la mauvaise intention entraîne-t-elle la condamnation des seuls marchands qui agissent par cupidité – « ex cupiditate » –, par amour du gain – « lucri causa ». C'est laisser un large champ libre aux « bonnes » intentions, c'est-à-dire à tous les camouflages. Les procès d'intention sont un premier pas dans la voie de la tolérance.
A côté de ces condamnations « ex causa », « ex intentione », interviennent les prohibitions en raison des personnes, des temps ou des lieux.
Signe du changement des mentalités, les interdictions frappant les clercs « ex personna » apparaissent moins désormais comme les marques de l'éminente dignité de la cléricature que comme des brimades à leur égard, une limitation de leur empire. Ils laissent dorénavant le champ libre aux laïcs dans la médecine et le droit civil (Alexandre III interdit en 1163 aux réguliers de quitter leur couvent « ad physicam legesve mundanas legendas », pour enseigner la médecine ou le droit civil) et, définitivement, le commerce – non sans protestations de leur part, protestations qui attestent la diminution de profits mais aussi de prestige que ces interdictions leur imposent.
Certaines interdictions sont liées au temps : la prohibition du travail de nuit, par exemple, protège en définitive les métiers, lutte contre les malfaçons.
Les condamnations enfin découlant du lieu, qu'il s'agisse de l'interdiction d'exercer une activité professionnelle dans un mauvais lieu – « ex loci vilitate » –, ou au contraire dans une église, « ex loci eminentia », consacrent la promotion du lieu professionnel, de l'atelier spécialisé, comme les prohibitions faites aux clercs assurent le monopole des spécialistes, des techniciens laïcs.
Plus importants encore, les motifs d'excuse, les moyens de justification témoignent d'une évolution radicale.
Il y a d'abord – traditionnelle, mais étendue à des cas plus nombreux – la « nécessité », qui excuse aussi bien le clerc indigent contraint à exercer un métier, à l'exclusion de certains, que le paysan qui rentre sa récolte un dimanche devant la menace de la pluie.
Il y a la bonne intention, « recta intentio », qui peut justifier aussi bien le fabricant d'armes qui ne pense qu'à équiper les combattants d'une juste cause – « ad usum licitum » – que les fabricants et marchands de jeux conçus pour le seul loisir, comme remède contre la tristesse et les idées noires – « ad recreationem vel remedium tristitiae vel noxiarum cogitationum ». Ainsi la subjectivation de la vie psychologique substitue à la seule considération de comportements extérieurs l'appréciation des dispositions intérieures ; les tabous professionnels reculent avec l'affirmation de la conscience individuelle.
Plus encore, deux justifications majeures s'imposent à partir de la fin du XIIe siècle.
La première, c'est le souci de l'utilité commune – notion qui vient au premier plan avec la croissance de l'administration publique, urbaine ou princière, et qui reçoit sa consécration de la philosophie aristotélicienne. Ainsi reçoivent droit de cité « les métiers mécaniques, comme ceux du textile, de l'habillement ou autres semblables, qui sont nécessaires aux besoins des hommes »26. Ainsi, surtout, est justifié le marchand, grâce auquel les produits introuvables dans un pays y sont amenés de l'étranger – cas particulier de l'utilité commune qui se relie aussi à la reprise du commerce « international » à long rayon d'action, à l'esquisse d'une « Weltwirtschaft », d'une économie « mondiale ».
La seconde, c'est le labeur, le travail. Loin de demeurer motif de mépris, marque d'infériorité, le travail devient mérite. La peine prise justifie non seulement l'exercice d'un métier, mais le gain qu'il rapporte. Ainsi se trouvent admis les professeurs, les maîtres des nouvelles écoles urbaines qui prolifèrent au XIIe siècle et deviendront les universités du XIIIe siècle. Ces nouveaux enseignants – au contraire des moines des écoles monastiques – se font payer leur enseignement, sous forme de salaires des autorités publiques, de prébendes ecclésiastiques spéciales, ou, plus souvent encore, de sommes payées par les étudiants. Ce salariat intellectuel – qui vient grossir la catégorie traditionnellement méprisée des « mercenaires » – se heurte à une vive opposition qui condamne la vente de la science, « don de Dieu qui ne peut être vendu »27. Mais bientôt l'universitaire voit sa rémunération justifiée par le travail qu'il fournit au service de ses étudiants – salaire de son labeur, et non prix de son savoir.
On peut suivre dans trois cas, trois métiers pris comme exemples, le développement de la nouvelle attitude face à l'activité professionnelle. Il s'agit de trois cas particulièrement délicats – de ces métiers que l'on continue à considérer comme spécialement « dangereux », dont l'exercice peut difficilement s'opérer sans pécher.
Les jongleurs d'abord28. Au début du XIIIe siècle nous voyons distinguer trois sortes de jongleurs : les acrobates, qui se livrent à de honteuses contorsions, se déshabillent sans pudeur ou revêtent des déguisements affreux ; les parasites des cours et de l'entourage des grands, qui se répandent en propos calomnieux, errants, inutiles, propres à rien, sinon à déchirer et à calomnier ; les musiciens dont le but est de charmer leur auditoire. Les deux premières catégories sont condamnées, mais dans la troisième on distingue à nouveau entre ceux qui hantent les bals et beuveries publiques et incitent au laisser-aller, et ceux qui chantent les chansons de geste et les vies des saints, et consolent les tristes et les angoissés. Ces derniers seuls ont une activité licite, mais cette approbation est une porte ouverte par où tous les jongleurs vont s'insinuer dans le monde sans cesse élargi des professions permises.
On voit encore comment s'opère l'intégration, non plus théorique, mais pratique, des nouveaux venus dans la société des gens « comme il faut » :
Par le moyen d'abord de l'anecdote, devenue « exemplum », que l'on retrouve de façon stéréotypée dans les sermons et ouvrages édifiants. On rapporte ainsi l'histoire du jongleur qui interroge le pape Alexandre (Alexandre III) sur la possibilité de faire son salut. Le pontife lui demande s'il connaît un autre métier et, sur réponse négative du jongleur, l'assure qu'il peut vivre sans crainte de son métier, à condition d'éviter les comportements équivoques et obscènes29.
Le cas du marchand est le plus célèbre, le plus chargé de conséquences. Pour ce métier si longtemps décrié, les causes d'excuse, puis de justification, d'estime enfin, se multiplient. Certaines, devenues classiques dans les exposés scolastiques, sont bien connues. Ce sont celles qui découlent des risques courus par les marchands : dommages effectivement subis – « damnum emergens » –, immobilisation de l'argent dans de longues entreprises – « lucrum cessans » –, dangers dus aux hasards – « periculum sortis ». Ainsi les incertitudes de l'activité commerciale – « ratio incertitudinis » – justifient les gains du marchand, mieux même, l'intérêt qu'il prend sur l'argent engagé dans certaines opérations, donc, dans une mesure de plus en plus large, l'« usure », l'usure maudite.
Mais surtout, ce qui justifie le marchand, c'est son travail et l'utilité commune. Théologiens, canonistes, poètes sont d'accord30.
Thomas de Chobham écrit dans son Manuel de confession du début du XIIIe siècle : « Il y aurait une grande indigence en beaucoup de pays si les marchands n'apportaient ce qui abonde en un lieu dans un autre où ces mêmes choses font défaut. Aussi, ils peuvent à juste titre recevoir le prix de leur travail. »
Saint Thomas d'Aquin : « Si on se livre au commerce en vue de l'utilité publique, si on veut que les choses nécessaires à l'existence ne manquent pas dans le pays, le lucre, au lieu d'être visé comme fin, est seulement réclamé comme rémunération du travail. »
Et, au début du XIVe siècle, Gilles le Muisit, le chanoine de Tournai, dans son « Dit des Marchands » :
Nul pays ne se poet de li seus gouvrener ;
Pour chou vont marchéant travillier et pener
Chou qui faut ès pays, en tous règnes mener ;
Se ne les doit-on mie sans raison fourmener.
Carités et amours par les pays nouriscent ;
Pour chou doit on moult goïr s'il enrikiscent.
C'est pités, quant en tière boin marchéant povriscent
Or en ait Dieus les âmes quant dou siècle partiscent !
Il n'est pas jusqu'aux prostituées en faveur de qui l'on ne voie – au moins dans un texte étonnant – s'ébaucher une justification. Le problème posé par la légitimité du gain des prostituées, catégorie la plus infâme du groupe des mercenaires, et traditionnellement résolu par la négative, prenait une application pratique dans le cas de la recevabilité des aumônes et des dons faits par les « folles femmes ». Ce cas se présenta avec éclat à Paris à la fin du XIIe siècle. Lors de la construction de Notre-Dame de Paris, nous dit-on, un groupe de prostituées demanda à l'évêque la permission d'offrir un vitrail à la Vierge, exemple très particulier du vitrail de corporation, qui devait en tout cas exclure toute représentation des activités du métier. L'évêque, embarrassé, consulta et finalement refusa. Nous avons conservé l'avis émis par l'auteur d'un des premiers Manuels de confession, Thomas de Chobham. Or le raisonnement du savant chanoine est curieux. « Les prostituées, écrit-il, doivent être comptées parmi les mercenaires. Elles louent en effet leur corps et fournissent un travail... D'où ce principe de la justice séculière : elle agit mal en étant une prostituée, mais elle n'agit pas mal en recevant le prix de son travail, étant admis qu'elle est une prostituée. D'où le fait qu'on peut se repentir de se prostituer, et toutefois garder les bénéfices de la prostitution pour en faire des aumônes. Mais si on se prostitue par plaisir et si on loue son corps pour qu'il connaisse la jouissance, alors on ne loue pas son travail, et le bénéfice est aussi honteux que l'acte. De même si la prostituée se parfume et se pare de façon à attirer par de faux attraits et fait croire à une beauté et à des appâts qu'elle ne possède pas, le client achetant ce qu'il voit, et qui, dans ce cas, est mensonge, la prostituée commet par là un péché, et elle ne doit pas garder le bénéfice qu'elle en retire. Si en effet le client la voyait telle qu'elle est vraiment, il ne lui donnerait qu'une obole, mais, comme elle lui paraît belle et brillante, il lui donne un denier. Dans ce cas elle ne doit garder qu'une obole et rendre le reste au client qu'elle a trompé, ou à l'Église, ou aux pauvres... ». Ainsi le prestige de la justification par le travail est devenu si grand à la fin du XIIe siècle que notre auteur se laisse entraîner à esquisser une morale professionnelle de la prostitution. Sans doute Thomas de Chobham se reprend-il finalement et, semblant se rappeler soudain qu'il y a des motifs impérieux à condamner « en soi », « ex natura », la prostitution, il annule la portée possible de son raisonnement antérieur. Mais celui-ci nous montre, comme un cas limite, presque une extrapolation à l'absurde, comment un métier méprisé peut se trouver légitimé.
Désormais, dans ce vaste chantier – à l'image du chantier urbain où les métiers se diversifient et collaborent – qu'est le monde, chaque profession a son rôle matériel et sa valeur spirituelle. Aucun métier n'est un obstacle au salut, chacun a sa vocation chrétienne, chacun rejoint cette « familia Christi » qui groupe tous les bons travailleurs. Les schémas sociologiques se multiplient, qui intègrent et structurent anciennes et nouvelles professions. Ici le cadre traditionnel des arts libéraux éclate pour accueillir les nouvelles spécialisations intellectuelles et scolaires et – fait plus notable encore – les arts mécaniques jusqu'alors méprisés31. Un Jean de Salisbury, reprenant la vieille image anthropomorphique de l'État dans une République dont chaque métier – paysans et artisans compris – représente une partie du corps, souligne la complémentarité et l'harmonie de toutes les activités professionnelles32. Un Honorius Augustodunensis fait de la science la patrie de l'homme et trace un itinéraire intellectuel et spirituel de l'homme, jalonné de villes dont chacune symbolise un secteur de connaissance et un ensemble de métiers33.
On sent ici qu'il faut aller chercher plus loin, plus profond, les causes de cette évolution fondamentale des mentalités et des comportements à l'égard des métiers.
Les transformations économiques qu'on a vu ici et là affleurer, et imposer des changements plus ou moins radicaux, plus ou moins rapides d'attitudes, sont surtout efficaces par l'intermédiaire de l'évolution sociale qui explique l'évolution de l'histoire des métiers licites et illicites, prisés et méprisés.
Au départ, une société rurale et militaire, fermée sur elle-même, dominée par deux classes : l'aristocratie militaire et foncière, le clergé, lui aussi grand propriétaire de la terre.
Un double mépris frappe alors la plupart des métiers. Celui qui s'adresse aux activités du serf, héritier en cela de l'esclave. C'est la longue liste des « œuvres serviles » qui, à côté des labeurs ruraux – bénéficiant malgré tout de l'auréole qui entoure le monde agraire – humilie les métiers de l'artisanat servile.
Celui, ensuite, qui s'adresse aux mercenaires, catégorie hétéroclite sur qui pèse la double malédiction de qui aliène sa liberté (en un temps où liberté et noblesse sont une seule et même chose) et de qui travaille pour de l'argent.
Ce mépris finalement touche toute la classe des « laboratores », des travailleurs – tout le ramassis des couches inférieures, par opposition aux couches supérieures – « oratores et « bellatores » –, ceux qui prient, ceux qui combattent, c'est-à-dire clergé et chevalerie.
Mais entre les deux classes dominantes il n'y a pas égalité. En ce monde hiérocratique, le clergé fait sentir à l'aristocratie laïque la distance qui les sépare. Seul le clergé est sans tache. Face aux seigneurs laïques il entretient un certain mépris du métier militaire, du verseur de sang, un certain antimilitarisme. Vêtu de pureté et de candeur, il dénonce les hommes aux mains rouges, qui sont à la fois des alliés et des concurrents.
Mais avec le renouveau économique, du XIe au XIIIe siècle, avec le réveil du commerce au long cours, de l'essor urbain, le paysage social change. Des couches nouvelles apparaissent, liées aux nouvelles activités : artisans, marchands, techniciens. S'imposant bientôt sur le plan matériel, elles veulent la consécration de la considération sociale. Pour cela il leur faut vaincre les préjugés à l'égard du travail, essence de leur activité, fondement de leur condition. Parmi les moyens de cette promotion, retenons seulement l'utilisation de la religion, instrument nécessaire de toute ascension matérielle et spirituelle dans le monde médiéval. Ainsi chaque métier a son saint patron, plusieurs parfois, et les corporations, qui font représenter leurs saints protecteurs dans l'exercice de leur profession, ou du moins avec les outils, les symboles de leur métier, magnifient leurs occupations, éloignent un mépris désormais malséant à l'égard d'une activité illustrée par de si puissants et vénérables représentants.
Cette évolution ne se présente pourtant pas sous les mêmes traits dans toute la Chrétienté. Ici – en Italie surtout – le triomphe des couches nouvelles est tel que l'ancienne aristocratie adopte rapidement une partie du genre de vie des parvenus. Travailler, commercer, pour le noble Italien, très tôt urbanisé, n'est pas une occupation indigne. L'évêque Othon de Freising, au milieu du XIIe siècle, accompagnant en Italie son neveu, l'empereur Frédéric Barberousse, y constatait avec stupeur qu'artisans et marchands y jouissaient d'une grande considération34. Qu'aurait dit ce féodal en voyant les seigneurs italiens s'abaisser à des occupations de roturiers ? On peut imaginer son indignation en voyant, quatre siècles plus tard, ce libre esprit qu'est Michel de Montaigne s'étonner à son tour devant cette noblesse italienne d'affaires35. C'est qu'ailleurs – en France notamment – l'hostilité de la noblesse à l'égard du travail s'était durcie et institutionnalisée dans le phénomène social et mental de la dérogeance36. Un Louis XI n'en pourra mais. Deux mépris désormais s'affrontent : celui des aristocrates envers les laborieux, celui des travailleurs pour les oisifs.
Cette unité, pourtant, du monde du travail face au monde de la prière et au monde de la guerre, si elle a jamais existé, n'a pas duré longtemps. Unies contre les vieilles classes dominantes – les couches inférieures de l'artisanat s'infiltrant dans la trouée de la considération sociale acquise par les couches supérieures du monde urbain, les riches bourgeois utilisant contre l'Église et la noblesse le poids et la force des masses laborieuses – ces catégories sociales se différencient bientôt sur le plan spirituel comme sur le plan matériel. Un clivage se produit, qui sépare une couche supérieure de la société urbaine – disons pour commodité la bourgeoisie – des couches inférieures : gros marchands, changeurs, les riches, d'un côté ; petits artisans, compagnons ouvriers, les pauvres, de l'autre. En Italie, à Florence par exemple, le contraste s'affirme dans les institutions – « arts majeurs » s'opposant à « arts mineurs », dont les membres sont exclus des fonctions municipales.
Une nouvelle frontière du mépris s'installe, qui passe au milieu des nouvelles classes, au milieu même des professions. Favorisée par l'extrême morcellement des métiers – en 1292 il y en a 130 réglementés à Paris : 18 dans l'alimentation, 22 dans le travail des métaux, 22 dans le textile et le cuir, 36 dans l'habillement, etc. –, morcellement horizontal mais plus encore vertical, une discrimination rejette au bas de l'échelle tisserands et plus encore foulons et teinturiers dans le textile, savetiers au-dessous des cordonniers, chirurgiens et barbiers-apothicaires au-dessous des médecins, des médecins de plus en plus livresques, laissant la méprisable pratique aux vils praticiens.
Le Florentin Giovanni Villani, représentant typique de la grande bourgeoisie d'affaires italienne, n'a que mépris pour la tourbe flamande des métiers inférieurs37.
Si le travail en soi n'est plus la ligne de partage entre catégories considérées et catégories méprisées, c'est le travail manuel qui constitue la nouvelle frontière de l'estime et du mépris. Les intellectuels – universitaires en tête – se hâtent de se situer du bon côté. Le « pauvre » Rutebeuf s'écrie « Je ne suis ouvrier des mains ». Face aux « manouvriers », aux « brassiers », le monde du patriciat, de la nouvelle aristocratie groupe ceux qui ne travaillent pas de leurs mains : donneurs d'ouvrage et rentiers. De même, à la campagne, les seigneurs, devenus rentiers du sol, écrasent le paysan, mis plus bas que jamais, sous le poids des droits féodaux et de leur mépris.
Le nouveau mépris charrie avec lui aussi bien des survivances des tabous ancestraux que des préjugés féodaux. Un cas singulier est celui des bouchers que toute leur richesse – certains d'entre eux sont parmi les habitants les plus fortunés des villes – n'arrive pas à faire vaincre la barrière du mépris38. Aussi seront-ils un élément dirigeant de nombreuses révoltes populaires, aux XIVe et XVe siècles, soutenant de leurs deniers, excitant de leurs rancunes le « commun » soulevé. Caboche demeure le type de ces révoltés.
Face à cette évolution, l'Église suit. Enlisée d'abord dans le monde féodal et sanctionnant son mépris des métiers, elle accepte ensuite l'ascension des nouvelles couches, souvent la favorise, protège très tôt les marchands, fournit aux nouveaux groupes socio-professionnels la justification théorique et spirituelle de leur condition et de leur promotion sociale et psychologique. Mais elle entérine aussi la réaction nobiliaire et bourgeoise. En fait le métier n'appartient pas à son horizon. Si elle admet, au cours du Moyen Age, qu'il n'y a pas de sot métier, elle est trop liée aux classes dirigeantes pour influer de façon décisive sur l'attitude à l'égard des métiers, pas plus qu'elle ne l'avait fait à la fin de l'Antiquité à l'égard de l'esclavage. La Réforme, à cet égard, ne changera pas grand-chose. Même s'il est vrai, ce qui n'est pas prouvé, que la valeur du travail est plus affirmée dans le monde protestant que dans le monde catholique39, ce n'est que pour assujettir plus étroitement aux aristocraties et aux bourgeoisies protestantes des masses plus durement soumises à la loi du travail. Les religions et les idéologies se manifestent, en ce domaine, plus comme des produits que comme des causes. L'histoire des attitudes en face des métiers, chapitre de l'histoire des mentalités, est en définitive avant tout un chapitre de l'histoire sociale.
1 C'est ce que nous tenterons dans un ouvrage en préparation : Les images du travail dans l'Occident médiéval.
2 L'élaboration systématique de ces cas à partir du Décret de Gratien, donc du milieu du XIIe siècle, représente dans l'histoire des professions méprisées une étape importante sur laquelle nous reviendrons plus loin.
3 Sur les activités interdites aux clercs on consultera Naz, Dictionnaire de Droit Canonique, t. III, 1942, article clerc, § XIV-XVII, col. 853-861, et M. Berry, « Les professions dans le Décret de Gratien », thèse dactylographiée, Faculté de Droit de Paris, 1956.
4 C'est l'expression des statuts synodaux d'Arras (V. 1275) qui a donné son titre à l'article de J. Lestocquoy, « Inhonesta mercimonia », Mélanges Halphen, 1951, p. 411-415.
5 Ce sont les termes que l'on trouve dans Naz, toc. cit.
6 L'expression se rencontre aussi dans les statuts d'Arras. Les statuts synodaux de Liège, de la même époque, parlent de « negotia turpia et officia inhonesta ».
7 Cela découle, entre autres, du texte de saint Paul interdisant toutes les professions laïques aux clercs : « Nemo militans Deo implicat se negotiis saecularibus » (II Tim., II, 4).
8 La présence des soldats sur cette liste peut étonner : la société de l'Occident médiéval n'a-t-elle pas été autant « militaire » que « cléricale » ? Sur l'antimilitarisme médiéval nous reviendrons ci-après.
9 Sur les marchands, cf. J. Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Age, Paris, 1956.
10 Ces professions figurent, avec les bourreaux, dans les statuts synodaux d'Arras de 1275 environ (cf. Dom Gosse, Histoire d'Arrouaise, 1783) et E. Fournier in Semaine Religieuse d'Arras, 1910, p. 1149-1153.
11 Ils figurent en seconde ligne dans les statuts diocésains de Tournai de 1361 (cf. E. de Moreau, Histoire de l'Église en Belgique, t. III, 1945, p. 588) qui interdisent surtout aux clercs les métiers d'aubergiste, boucher, histrion, tisserand.
12 On les rencontre dans les statuts synodaux de Liège de la seconde moitié du XIIIe siècle (cf. E. de Moreau, ibid., p. 343 et J. Lejeune, Liège et son pays, p. 277) qui mentionnent aussi jongleurs, aubergistes, bourreaux, proxénètes, usuriers, foulons, tisserands. Un texte du milieu du XIVe siècle y ajoute : brasseurs, arbalétriers, champions, monnayeurs (?), forgerons, charpentiers, tanneurs, boulangers. Nous trouvons encore dans un manuscrit du début du XIVe siècle (Vat. lat. 2036) : marchands, messagers (?), cuisiniers, échansons, pêcheurs.
13 On trouvera une liste des œuvres serviles interdites le dimanche dans l'Admonitio Generalis, publiée par Charlemagne en 789 (art. 81, ap. Boretius, Capitul. I, p. 61).
On notera que ces interdictions ne valent que pour les chrétiens. De ce point de vue, l'usurier juif a eu longtemps droit de cité dans la société de l'Occident médiéval. Papes et cardinaux, notamment, se sont souvent adressés à des médecins juifs. L'histoire des professions fournit à cet égard, comme on sait, un chapitre privilégié de l'histoire de l'antisémitisme au Moyen Age. Cf. B. Blumenkranz-Juifs et Chrétiens dans le monde occidental (430-1096), 1960, et L. Poliakov, Histoire de l'antisémitisme, 2 vol., 1955-1961.
14 Cité par De Poerck, La Draperie médiévale en Flandre et en Artois, 1951, t. I, p. 316-317.
15 Poème au roi Robert in E. Pognon, L'An Mille, 1947, p. 225.
16 I Pol. lect. 9.
17 Les mentalités primitives ne sont pas exemptes de contradictions. Une des plus notables est celle qui, dans le Haut Moyen Age, fait des monnayeurs des gens puissants et considérés. Cf. R. Lopez, An aristocracy of money in the early middle ages, Speculum, 1953. Un manuscrit du XIIIe siècle (Ottob. lat. 518) énumère 5 professions « qui peuvent difficilement être exercées sans pécher ». A côté du métier militaire, 4 consistent essentiellement en maniement d'argent : la comptabilité (« cura rei familiaris »), le commerce (« mercatio »), le métier de procureur (« procuratio »), et celui d'administrateur (« administratio »).
18 Plutarque rappelle le mépris de Platon pour les arts mécaniques (Markellos, XIV, 5-6). Cicéron a notamment exprimé le sien dans le « De Officiis », 1142. Parmi les textes des Pères de l'Église latine qui forment le relais entre cette mentalité antique et la mentalité médiévale, on notera saint Augustin, « De opere monachorum », XIII, PL, XL, 559-560.
19 Selon Jean de Garlande cité par De Poerck, toc. cit.
20 L'opinion d'Albert le Grand sur la militia et la condamnation des mendiants valides se rencontrent dans plusieurs manuels de confesseurs, notamment dans la Summa de Jean de Fribourg.
21 L'interdiction faite aux réguliers par le pape Alexandre III (concile de Turin, 19 mai 1163) de quitter leur couvent « ad physicam legesve mundanas legendas » est dans Mansi. t. XXI, 1179. La constitution « Super speculam » d'Honorius III qui interdit à l'Université de Paris l'enseignement du droit civil se trouve ibid. t. XXII, 373.
22 Ce point capital de la théologie chrétienne (le plus souvent implicite) du travail a été récemment bien mis en valeur par L. Daloz, le travail selon saint Jean Chrysostome, 1959.
23 Ceci apparaît nettement dans plusieurs manuels de confesseurs, notamment dans Thomas de Cobham qui cite à ce propos Aristote.
24 Cf. C. Le Bras, Article « Usure », in Dictionnaire de Théologie Catholique, fasc. 144-145, 1948 et John T. Noonan Jr., The scholastic Analysis of Usury, 1957.
25 Cf. E. Schönbach. Studien zur Geschichte des altdeutschen Predigt. Sitzungen und Berichte der philologisch-historischen Klasse der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, t. CLIV, 1907, p. 44.
26 Cette phrase d'un manuel inédit de confesseurs (Ottob. lat. 518) se retrouve par exemple dans la Summa de Jean de Fribourg.
27 Cf. C. Post et alii. Traditio, 1955.
28 Ce problème a été traité superficiellement dans les ouvrages classiques de Jubinal, Jongleurs et trouvères, et de Faral, Les Jongleurs en France au Moyen Age. Dans la perspective de la réhabilitation du jongleur, on se rappellera le thème du Jongleur de Notre-Dame et les surnoms pris par saint François d'Assise et par les Franciscains : « jongleur du Christ », « jongleurs de Dieu » (cf. P. Auspicius Van Corstanje, « Franciscus de Christusspeler », in Sint-Franciscus, t. LVIII, 1956). On notera par ailleurs que le jongleur-contorsionniste, dont la condamnation rejoint celle portée par saint Bernard contre certaines tendances de la sculpture romane, est pourtant passé de l'art roman à l'art gothique (notamment dans le vitrail).
29 On rencontre cette anecdote notamment dans la Summa de Thomas de Chobham.
30 Cf. J. Le Goff, Marchands et banquiers du Moyen Age, p. 77-81.
31 Robert Kildwarby, par exemple, au XIIIe siècle, distingue, en s'inspirant de Gundissalinus et d'Al-Farabi, un trivium et un quadrivium des arts mécaniques, à l'imitation des arts libéraux. Le premier comprend l'agriculture, l'alimentation, la médecine ; le second la confection, l'armurerie, l'architecture et le commerce (De ortu sive divisione scientiarum). Ce rapprochement entre arts libéraux et arts mécaniques était déjà apparu au XIIe siècle dans le « Didascalion » (l. II c. 20-23) de Hugues de Saint-Victor, et avait ses répondants dans l'antiquité.
32 Polycraticus, l. VI, c. 20.
33 « De animae exsilio et patria », PL, CLXXII, 1241 sqq. Sur l'ensemble de ce grand tournant de l'histoire des idées et des mentalités consulter M. D. Chenu, La Théologie au XIIe siècle, 1957.
34 « Ut etiam ad comprimendos vicinos materia non careant, inferioris conditionis iuvenes vel quoslibet contemptibilium etiam mechanicarum artium opifices, quos ceterae gentes ab honestioribus et liberioribus studiis tamquam pestem propellunt, militiae cingulum vel dignitatum gradus assumere non dedignantur » (Gesta Friderici I Imperatoris, Scriptores Rerum Germanicarum, II, 1912, 13, p. 116).
35 Cf. Journal du Voyage en Italie.
36 Cf. La Rigne de Villeneuve, Essai sur les théories de la dérogeance de la noblesse, et les travaux de G. Zeller, in Annales E.S.C., 1946 et Cahiers internationaux de Sociologie, 1959.
37 « Di questa sconfitta (Courtrai, 1302) abassò molto l'honore, lo stato, e la fama dell'antica nobiltà e prodezza dé Franceschi, essendo il flore della cavalleria del mondo sconfitta e abassata da' lore fedeli, e dalla più vile gente, che fosse al mondo, tesserandoli, e folloni, e d'altre vili arti e mestieri, e non mai usi di guerra, che per dispetto, e loro viltade, da tutte le nationi del mondo erano chiamati conigli pieni di burro... » (Muratori, Scriptores Rerum Italicarum, XIII, 388) ; « ... alli artefici minuti di Brugia, come sono tesserandoli, e folloni di drappi, beccai, calzolari... » (ibid., 382). « Alla fine si levo in Guanto uno di vile nazione e mestiere, che facea e vendea il melichino, cioè cervogia fatta con mele, ch'havea nome Giacopo Dartivello... » (ibid., 816).
38 Cf. E. Perroy, « Les Chambon, bouchers de Montbrison » (circa 1220-1314), Annales du Midi, t. LXVII, 1955.
39 La plus récente expression de cette idée se trouve dans l'Introduction de H. Luthy, « La banque protestante en France ».