Culture cléricale

et traditions folkloriques

dans la civilisation mérovingienne

« La pression des représentations populaires sur la religion des doctes est un phénomène bien connu de tous les historiens du christianisme médiéval. Ses premières manifestations remontaient vraisemblablement beaucoup plus haut. Est-il admissible de poser le problème de la « décadence » de la civilisation intellectuelle antique sans se demander si cette « culture », née dans les sociétés très particulières de quelques petites cités hellènes, adoptée ensuite et adaptée par l'oligarchie romaine, n'était pas, d'avance condamnée à de singulières déformations, à partir du moment où, bornée encore, il est vrai, à une élite, mais à une élite désormais répandue à travers un monde immense, elle se trouva, bon gré mal gré, entrer en contact avec des foules imprégnées de tout autres traditions mentales ? » (Marc Bloch, Annales d'Histoire sociale, 1939, p. 186.)

 

Le désir de mettre en relation les groupes ou les milieux sociaux et les niveaux de culture au moment du passage de l'Antiquité au Moyen Age en Occident n'est pas nouveau. Sans remonter plus haut, il faut rappeler le célèbre article de Ferdinand Lot : « A quelle époque a-t-on cessé de parler latin ? »1 – auquel a fait plus tard écho Dag Norberg2. Je suis bien incapable de suivre ces deux savants auteurs sur le terrain philologique où ils se sont placés. Mais, si j'admire beaucoup les remarques pertinentes dont leurs articles foisonnent, si je leur suis reconnaissant d'avoir ancré leur étude linguistique dans l'analyse plus large des conditions sociales, je crois que l'essentiel, pour notre débat, est ailleurs.

Sans doute l'outillage linguistique fait partie, à un niveau fondamental, de l'outillage mental et intellectuel et se trouve donc englobé dans le contexte social qui marque profondément celui-ci. Mais, du point de vue central de la communication culturelle entre les milieux sociaux, pour les Ve-VIe siècles en tout cas, Dag Norberg me semble avoir raison contre Ferdinand Lot : « D'un point de vue social il n'y avait pas deux langues à cette époque, mais plusieurs formes de la même langue selon les différents milieux de la société »3.

Donc, au niveau linguistique, le peuple et l'aristocratie se comprennent – avec cette importante réserve : là où ils parlent latin. Or si le clergé parle partout latin, les laïcs continuent souvent à parler les langues « barbares » –  qu'il s'agisse des langues vulgaires de populations entrées depuis longtemps dans l'aire politique et culturelle romaine, ou des langues des Barbares proprement dits, des immigrants ou envahisseurs nouvellement installés dans les limites de l'Empire romain. Dans le premier cas, c'étaient surtout les paysans qui avaient conservé leurs langues traditionnelles – copte, syriaque, thrace, celte, berbère –  comme l'a rappelé A. H. M. Jones dans une remarquable étude4. Pour s'en tenir à l'Occident, la persistance des parlers celtiques est attestée par différentes sources, notamment par saint Jérôme5 et par Sulpice Sévère6. En ce qui concerne les nouveaux venus, la permanence de l'utilisation des dialectes germaniques se rencontre du bas en haut de la société. Il y a bien une certaine romanisation des Barbares, mais elle reste très limitée7.

On voit ainsi s'affirmer deux phénomènes essentiels : l'émergence de la masse paysanne comme groupe de pression culturelle8, l'indifférenciation culturelle croissante – à part quelques exceptions individuelles ou locales – de toutes les couches sociales laïques face au clergé qui monopolise toutes les formes évoluées, et notamment écrites, de culture. Le poids de la masse paysanne, le monopole clérical sont les deux formes essentielles qui agissent sur les rapports entre milieux sociaux et niveaux de culture dans le haut Moyen Age. Le meilleur terrain où l'on puisse étudier ces rapports ne me paraît pas être celui de la langue, mais celui – plus large et plus profond – de l'outillage intellectuel et mental.

Pour mieux comprendre le rôle des supports sociaux de la culture dans le haut Moyen Age, il faut rappeler l'évolution des infrastructures qui amène brusquement le christianisme au premier plan de la scène historique au IVe siècle. A. H. M. Jones9 a montré que la diffusion du christianisme dans le monde romain du IVe siècle n'était pas un fait purement politique ou spirituel – conséquence de la conversion de Constantin et du zèle missionnaire des chrétiens désormais soutenus par les pouvoirs publics. Au début du IVe siècle, le christianisme était surtout répandu dans les classes urbaines moyennes et inférieures, alors que les masses paysannes et l'aristocratie étaient à peine touchées. Or la contraction économique et le développement de la bureaucratie amènent la promotion de ces middle and lower urban classes où le christianisme était déjà fort. Cette promotion entraîne la percée chrétienne. Mais quand le triomphe du christianisme se précise, les classes qui l'ont porté sont en plein recul. Le christianisme échappe à l'effondrement des superstructures fragiles du Bas-Empire, mais en se désolidarisant des classes qui ont assuré son succès et que l'évolution historique fait disparaître. Le relais social de l'aristocratie, puis des masses paysannes implante le christianisme – mais au prix de nombreuses distorsions, particulièrement sensibles dans le domaine de la culture. Entre un clergé de plus en plus colonisé par une aristocratie formée par la paideia gréco-romaine10 et un laïcat à dominante rurale que le recul du paganisme officiel rend plus vulnérable aux poussées d'une culture primitive renaissante, la religion chrétienne mise en place par des catégories sociales urbaines moribondes parviendra-t-elle à se définir en une culture commune à travers un jeu subtil d'acculturations internes11 ?

 

I. Les caractères fondamentaux de l'histoire de la culture occidentale, du Ve au VIIIe siècle, peuvent se définir ainsi :

a) le laminage des classes moyennes se retrouve dans le domaine de la culture où le fossé s'élargit entre la masse inculte et une élite cultivée ;

b) mais le clivage culturel ne coïncide pas avec la stratification sociale parce que la culture intellectuelle devient le monopole de l'Église. Même s'il y a de grandes différences de degré de culture parmi les clercs, la nature de leur culture est la même et la ligne de séparation essentielle est celle qui sépare clercs et laïcs ;

c) la culture ecclésiastique, quelles que soient les réponses individuelles ou collectives des clercs au problème de l'attitude à adopter à l'égard du contenu de la culture profane païenne, utilise l'outillage intellectuel mis au point, du IIIe au Ve siècle, par des auteurs didactiques qui systématisent, à un niveau simplifié et médiocre, l'héritage méthodologique et scientifique de la culture gréco-romaine12. De cet outillage intellectuel, l'essentiel est probablement le cadre des « arts libéraux » et l'auteur le plus important Martianus Capella (De nuptiis Philologiae et Mercurii, première moitié du Ve siècle)13. Il serait important d'avoir une bonne connaissance d'ensemble de cette première couche de « fondateurs du Moyen Age », souvent encore païens, tel Macrobe14 ;

d) les chefs ecclésiatiques reçoivent d'autant plus facilement cette formation intellectuelle que, surtout aux V-VIe siècles, la grande majorité d'entre eux appartient aux aristocraties indigéno-romaines. Mais les prélats barbares, les évêques et les abbés d'origine barbare qui ont pu faire carrière, adoptent d'autant mieux ce type de culture que son acquisition est précisément un des meilleurs moyens d'assimilation et d'ascension sociales. Le type hagiographique du saint évêque comporte en général une origine « illustre » et presque toujours, avant ou après la « conversion », la formation des arts libéraux (ainsi Paulin de Milan dans la Vita Ambrosii, vers 422 ; Constance de Lyon dans la Vita Germani, vers 470-480, etc.) ;

e) malgré la tendance à la régionalisation, cette culture ecclésiastique a, à peu près partout, la même structure et le même niveau (cf. deux exemples, parmi les plus opposés : Isidore de Séville et la culture wisigothique au début du VIIe siècle, la culture monastique irlandaise à Ynis Pyr à l'époque d'Iltud, dans la première moitié du VIe siècle, d'après la Vita Samsonis)15 ;

f) en face de cette culture ecclésiastique, la culture laïque manifeste une régression beaucoup plus forte, amorcée depuis le IIe siècle, renforcée par la désorganisation matérielle et mentale rendue catastrophique par les Invasions et par la fusion des éléments barbares avec les sociétés indigéno-romaines. Cette régression culturelle s'est surtout manifestée par des résurgences de techniques, de mentalités, de croyances « traditionnelles ». Ce que la culture ecclésiastique a trouvé en face d'elle, c'est, plus qu'une culture païenne de même niveau et de même type d'organisation, vite vaincue malgré les derniers sursauts du début du Ve siècle, une culture « primitive », à coloration plus guerrière chez les Barbares (surtout dans la couche supérieure : cf. mobilier funéraire)16, à coloration surtout paysanne dans l'ensemble des couches inférieures ruralisées.

II. En laissant donc de côté le témoignage des documents archéologiques, on peut tenter de définir les rapports entre ces deux niveaux de culture à travers les rapports entre culture cléricale et folklore.

Le fait que cette esquisse se fonde sur des documents appartenant à la culture ecclésiastique écrite (surtout vies de saints et ouvrages pastoraux tels que les Sermons de Césaire d'Arles, le De correctione rusticorum de Martin de Braga, les Dialogi de Grégoire le Grand, les textes des synodes et conciles, les pénitentiels irlandais) risque d'en fausser sinon l'objectivité, du moins les perspectives. Mais on ne cherche pas ici à étudier la résistance de la culture folklorique et les diverses formes qu'elle a pu prendre (résistance passive, contamination de la culture ecclésiastique, liaison avec des mouvements politiques, sociaux et religieux, bagaudes, arianisme, priscillianisme, pélagianisme, etc.). On se contente d'essayer de définir l'attitude de la culture ecclésiastique face à la culture folklorique17.

Il y a sans doute un certain accueil de ce folklore dans la culture cléricale :

a) il est favorisé par certaines structures mentales communes aux deux cultures, en particulier la confusion entre le terrestre et le surnaturel, le matériel et le spirituel (par exemple attitude en face des miracles et culte des reliques, usage des phylactères, etc.) ;

b) il est rendu obligatoire par la tactique et la pratique évangélisatrices ; l'évangélisation réclame un effort d'adaptation culturelle des clercs : langue (sermo rusticus), recours aux formes orales (sermons, chants), et à certains types de cérémonies (culture liturgique, processions : le cas des Rogations18 et des processions instituées par Grégoire le Grand)19, satisfaction des requêtes de la « clientèle » (miracles « à la demande »).

La culture ecclésiastique doit souvent s'insérer dans les cadres de la culture folklorique : emplacement des églises et des oratoires, fonctions païennes transmises aux saints, etc.

Mais l'essentiel est un refus de cette culture folklorique par la culture ecclésiastique :

a) par destruction

Les nombreuses destructions de temples et d'idoles ont eu pour pendant dans la littérature la proscription des thèmes proprement folkloriques dont la récolte, même dans la littérature hagiographique a priori privilégiée à cet égard, est mince. La récolte est encore plus mince si on élimine les thèmes folkloriques issus de la Bible (à cet égard il serait important de distinguer la tradition vétéro-testamentaire riche en motifs folkloriques et la tradition néo-testamentaire où ces thèmes sont rares). D'autre part il faut soigneusement distinguer dans les récits hagiographiques les diverses couches chronologiques d'éléments folkloriques dues aux remaniements successifs. Des auteurs (par exemple P. Saintyves, En marge de la Légende Dorée, ou H. Günther, Psychologie de la Légende) n'ont pas suffisamment distingué ces strates et ont eu tendance à faire remonter au très haut Moyen Age des éléments folkloriques introduits à l'époque carolingienne et surtout lors de la grande vague folklorique des XIIe-XIIIe siècles qui vient déferler dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine.

b) par oblitération

La superposition des thèmes, des pratiques, des monuments, des personnages chrétiens à des prédécesseurs païens n'est pas une « succession » mais une abolition. La culture cléricale couvre, cache, élimine la culture folklorique.

c) par dénaturation

C'est probablement le plus important des procédés de lutte contre la culture folklorique : les thèmes folkloriques changent radicalement de signification dans leurs substituts chrétiens (exemple du dragon, par exemple dans la Vita Marcelli de Fortunat20 ; exemple des fantômes dans la Vita Germani de Constance de Lyon, par comparaison avec le modèle gréco-romain de Pline le Jeune et le thème folklorique des morts sans sépulture)21 et même de nature (par exemple les saints ne sont que des thaumaturges auxiliaires, Dieu seul faisant les miracles)22.

Le fossé culturel réside ici surtout dans l'opposition entre le caractère fondamentalement ambigu, équivoque, de la culture folklorique (croyance en des forces à la fois bonnes et mauvaises et utilisation d'un outillage culturel à double tranchant) et le « rationalisme » de la culture ecclésiastique, héritière de la culture aristocratique gréco-romaine23 : séparation du bien et du mal, du vrai et du faux, de la magie noire et de la magie blanche, le manichéisme proprement dit n'étant évité que par la toute-puissance de Dieu.

On a ainsi affaire à deux cultures diversement efficaces, à des niveaux différents. Le barrage opposé par la culture cléricale à la culture folklorique ne vient pas seulement d'une hostilité consciente et délibérée mais tout autant de l'incompréhension. Le fossé qui sépare de la masse rurale l'élite ecclésiastique dont la formation intellectuelle, l'origine sociale, l'implantation géographique (cadre urbain, isolement monastique) la rendent imperméable à cette culture folklorique, est surtout un fossé d'ignorance (cf. l'incompréhension étonnée de Constance de Lyon en face du miracle des coqs muets opéré par saint Germain à la demande de paysans)24. Ainsi assiste-t-on dans l'Occident du haut Moyen Age plus à un blocage de la culture « inférieure » par la culture « supérieure », à une stratification relativement étanche des niveaux de culture, qu'à une hiérarchisation, dotée d'organes de transmission assurant des influences unilatérales ou bilatérales, entre les niveaux culturels. Mais cette stratification culturelle, si elle aboutit à la formation d'une culture aristocratique cléricale25, ne se confond pas avec la stratification sociale. A partir de l'époque carolingienne la « réaction folklorique » sera le fait de toutes les couches laïques. Elle fera irruption dans la culture occidentale à partir du XIe siècle, parallèlement aux grands mouvements hérétiques26.

 

SÉLECTION BIBLIOGRAPHIQUE

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  20. Études mérovingiennes, Actes des journées de Poitiers, 1-3 mai 1952, Paris, 1953.

  21. J. Fontaine, Isidore de Séville et la culture classique dans l'Espagne wisigothique, Paris, 1959.

  22. F. Grauss, Volk, Herrscher und Heiliger im Reich der Merowinger, Prague, 1965.

  23. H. Grundmann, « “Litteratus-illiteratus”. Der Wandlung einer Bildungsnorm vom Altertum zum Mittelalter », Archiv für Kulturgeschichte, 40, 1958.

  24. C. G. Loomis, White Magic. An Introduction to the Folklore of Christian Legends, Cambridge, Mass., 1948.

  25. F. Lot, « A quelle époque a-t-on cessé de parler latin ? », Archivum Latinitatis Medii Aevi, Bulletin Du Cange, 1931.

  26. O. Loyer, Les Chrétientés celtiques, Paris, 1965.

  27. S. Mc Kenna, Paganism and pagan survivals in Spain up to the fall of the visigothic kingdom, Washington, 1938.

  28. A. Marignan, Études sur la civilisation mérovingienne. I. La Société mérovingienne. II. Le Culte des saints sous les Mérovingiens, Paris, 1899.

  29. H.-I. Marrou, Saint Augustin et la fin de la culture antique (2e éd., Paris, 1937) et Retractatio, 1959.

  30. Id., Histoire de l'éducation dans l'Antiquité, 5e éd., Paris, 1960.

  31. Id., Nouvelle Histoire de l'Église. I. Des origines à Grégoire le Grand (avec J. Daniélou), Paris, 1963.

  32. L. Musset, Les Invasions. I. Les Vagues germaniques (Paris, 1965). II. Le Second Assaut contre l'Europe chrétienne (Paris, 1966).

  33. Dag Norberg, « A quelle époque a-t-on cessé de parler latin en Gaule ? », Annales, E.S.C., 1966.

  34. G. Penco, « La composizione sociale delle communità monastiche nei primi secoli », Studia Monastica, IV, 1962.

  35. H. Pirenne, « De l'état de l'instruction des laïcs à l'époque mérovingienne », Revue belge de Philologie et d'Histoire, 1934.

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  37. P. Riché, Éducation et Culture dans l'Occident barbare, Paris, 1962.

  38. M. Roblin, « Paganisme et rusticité », Annales, E.S.C., 1953.

  39. Id., « Le culte de saint Martin dans la région de Senlis », Journal des Savants, 1965.

  40. J.-L. Romero, Sociedad y cultura en la temprana Edad Media. Montevideo, 1959.

  41. Saint Germain d'Auxerre et son temps, Auxerre, 1960.

  42. « Saint Martin et son temps. Mémorial du XVIe Centenaire des débuts du monachisme en Gaule », Studia Anselmiana, XLVI, Rome, 1961.

  43. P. Saintyves, Les Saints successeurs des dieux, Paris, 1907.

  44. Id., En marge de la Légende Dorée. Songes, miracles et survivances. Essai sur la formation de quelques thèmes hagiographiques, Paris, 1930.

  45. E. Salin, La Civilisation mérovingienne d'après les sépultures, les textes et le laboratoire, Paris, 4 vol., 1949-1959.

  46. Settimane di studio del Centro Italiano di Studi sull'alto Medioevo (1954 sqq.), et plus particulièrement : IX. Il passaggio dell'Antichità al Medioevo in Occidente, 1962.

  47. The Conflict between Paganism and Christianity in the IVth century, éd. A. Momigliano, Oxford, 1963.

  48. A. Varagnac, Civilisation traditionnelle et genres de vie, Paris, 1948.

  49. G. Vogel, La Discipline pénitentielle en Gaule des origines à la fin du XIIe siècle, Paris, 1952.

  50. Id., Introduction aux sources de l'histoire du culte chrétien au Moyen Age, Spolète, 1965.

  51. J. Zellinger, Augustin und die Volksfrömmigkeit. Blicke in den frühchristlichen Alltag, Munich, 1933.


1 Cf. Bibliographie, no 25.

2 Cf. Bibliographie, no 33.

3 Loc. cit., p. 350.

4 « The social background of the struggle between paganism and christianity », in Momigliano (cf. Bibliographie, no 47).

5 Comm. in Ep. Gal., II.

6 Dialogi, I, 27.

7 « Les comtes, les saiones envoyés en mission auprès des fonctionnaires romains, connaissaient nécessairement quelques phrases latines, ce que savent à la longue n'importe quel officier ou même soldat, dans un pays occupé » (P. Riché, Bibliographie, no 37, p. 101). « Il est certain que des aristocrates barbares se sont romanisés assez rapidement. Mais il est bien évident qu'il ne peut s'agir que d'une minorité, la masse des Barbares ayant conservé ses usages propres » (ibid., p. 102).

8 Il s'agit d'un phénomène différent de celui qui s'est produit aux origines de la culture romaine. Là, le fond rural a imprégné à jamais une culture qui s'urbanisait et se dilatait sans cesse (cf. par exemple W. E. Heitland, Agricola, Cambridge, 1921 ; et les remarques de J. Marouzeau sur le latin « langue de paysans », in Lexique de terminologie linguistique, 2e éd., 1943). Ici, le paysan, évacué et tenu à l'écart de l'univers culturel (cf. J. Le Goff, « Les paysans et le monde rural dans la littérature du haut Moyen Age (Ve-VIe siècle) », in Agricoltura e mondo rurale in Occidente nell'alto medioevo. Settimane di studio del Centro italiano di studi sull' alto medioevo, XIII. Spolète, 1965 [1966], p. 723-741) fait peser sur cette culture une menace qui oblige les clercs à opérer un mouvement inverse, de haut en bas, à jeter du lest.

9 Loc. cit., n. 6.

10 Cf. l'ouvrage classique de H. I. Marrou, Bibliographie, no 30 ; et pour les fondements grecs de la culture gréco-romaine : W. Jaeger, Paideia. The Ideals of Greek culture, I-III, Oxford, 1936-1945.

11 Sur la problématique de l'acculturation l'exposé de référence est celui d'A. Dupront, « De l'acculturation », in Comité international des sciences historiques, XIIe Congrès international des sciences historiques (Vienne, 1965). Rapports : I, Grands thèmes (1965), p. 7-36. Traduit en italien avec des additions dans : L'acculturazione. Per un nuovo rapporto tra ricerca storica e scienze umane (Turin, 1966). Les problèmes d'acculturation interne nés de la coexistence de niveaux et d'ensembles culturels distincts à l'intérieur d'une même aire ethnique constituent un domaine particulier et particulièrement important de l'acculturation.

12 Par exemple, l'essentiel des connaissances ethnographiques que la culture gréco-latine léguera à l'Occident médiéval viendra des Collectanea rerum memorabilium, médiocre compilation de Solinus au IIIe siècle (éd. Mommsen, 2e éd., Berlin, 1895).

13 Cf. W. H. Stahl, « To a better understanding of Martianus Capella », in Speculum, XL, 1965.

14 C'est à Macrobe que les clercs du Moyen Age ont tardivement emprunté par exemple la typologie des rêves – si importante dans une civilisation où l'univers onirique tient une si grande place ; cf. L. Deubner, De Incubatione, Giessen, 1899.

15 La Vita Samsonis a été soumise à la sévère critique de son éditeur R. Fawtier (Paris, 1912). Mais, même si les additions et les remaniements postérieurs sont notables dans le texte qui nous est parvenu, les historiens du monachisme irlandais tendent à considérer la culture « libérale » des abbés irlandais (saint Iltud ou saint Cadoc sont à même enseigne que saint Samson) comme une réalité et non comme une fiction carolingienne (cf. P. Riché, op. cit., p. 357 ; et O. Loyer, Bibliographie, no 26, p. 49-51).

16 Bien que l'archéologie nous révèle une culture guerrière (cf. E. Salin, Bibliographie, no 45), l'aristocratie militaire du haut Moyen Age demeure éloignée de la culture écrite en attendant sa poussée à l'époque carolingienne et pré-carolingienne (cf. n. 25, p. 232) où elle s'englue d'ailleurs dans la culture cléricale avant de faire sa percée à l'époque romane avec les chansons de geste (cf. J. P. Bodmer, Bibliographie, no 6).

17 Par culture folklorique j'entends surtout la couche profonde de culture (ou civilisation) traditionnelle (au sens de A. Varagnac, Bibliographie, no 48) sous-jacente dans toute société historique et, me semble-t-il, affleurant ou près d'affleurer dans la désorganisation d'entre Antiquité et Moyen Age. Ce qui rend l'identification et l'analyse de cette couche culturelle particulièrement délicates, c'est qu'elle est truffée d'apports historiques disparates par leur âge et leur nature. Ici on ne peut guère que tenter de distinguer cette strate profonde de la couche de culture « supérieure » gréco-romaine qui l'a marquée de son empreinte. Ce sont, si l'on veut, les deux paganismes de l'époque : celui des croyances traditionnelles de très longue durée, et celui de la religion officielle gréco-romaine, plus évolutive. Les auteurs chrétiens de la basse Antiquité et du haut Moyen Age les distinguent mal et semblent d'ailleurs (une analyse, par exemple, du De correctione rusticorum de Martin de Braga, Bibliographie, nos 13 et 27, et texte ap. C. W. Barlow, « Martin de Braga », Opera omnia, 1950, le montre) plus soucieux de combattre le paganisme officiel que les vieilles superstitions qu'ils distinguent mal. Dans une certaine mesure leur attitude favorise l'émergence de ces croyances ancestrales plus ou moins purgées de leur habillage romain, et pas encore christianisées. Même un saint Augustin, pourtant encore attentif à distinguer l'urbanitas de la rusticitas dans les aspects sociaux des mentalités, des croyances et des comportements (cf. par exemple son attitude discriminante à l'égard des pratiques funéraires dans le De cura pro mortuis gerenda, PL, XL – CSEL 41 – Bibliothèque augustinienne, 2 ; et plus généralement le De catechizandis rudibus, PL, XL, Bibliothèque augustinienne, 1, 1) ne fait pas toujours la distinction. Ainsi le célèbre passage du De Civitate Dei, XV, 23, sur les Silvanos et Faunos quos vulgo incubos vocant, acte de naissance des démons incubes du Moyen Age, comme l'a bien vu Ernest Jones dans son essai pionnier sur la psychanalyse des obsessions collectives médiévales, in On the nightmare (2e éd., Londres, 1949), p. 83.

Dans la pratique, je considère comme éléments folkloriques les thèmes de la littérature mérovingienne qui renvoient à un motif de Stith Thompson, Motif-Index of Folk-literature (6 vol., Copenhague, 1955-1958).

Sur l'historicité du folklore, cf. l'article lumineux, de portée générale malgré son titre, de G. Cocchiara, « Paganitas. Sopravivenze Folkloriche del Paganesimo siciliano », Atti del Io congresso internazionale di studi sulla Sicilia antica. ΚΩΚΑ ΑΟΣ. Studi pubblicati dall' Istituto di storia antica dell' Università di Palermo (X-XI, 1964-1965, p. 401-416).

18 On sait que les Rogations datent des Ve-VIe siècles. Elles ont été instituées, selon la tradition, par saint Mamert, évêque de Vienne ( 474), dans un contexte de calamités et se sont rapidement étendues à toute la Chrétienté, comme en témoigne saint Avit ( 518), Homilia de rogationibus (PL, LIX, 289-294). Il n'est pas sûr qu'elles aient été le substitut direct et voulu des Ambarvalia antiques : cf. article « Rogations » in Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie (XIV-2, 1948, col. 2459-2461, H. Leclercq). Il est certain au contraire qu'elles ont accueilli des éléments folkloriques. Mais il est difficile de savoir si ces éléments ont donné tout de suite, dès notre époque, leur coloration à la liturgie des Rogations, ou s'ils ne s'y sont pas introduits, ou en tout cas développés plus tard. Nos témoignages concernant par exemple les dragons processionnels ne datent que des XIIe-XIIIe siècles pour les textes théoriques (les liturgistes Jean Beleth et Guillaume Durand) et des XIVe-XVe siècles pour les mentions individuelles concrètes. J'ai étudié le problème des dragons processionnels depuis l'époque mérovingienne dans un essai, « Culture cléricale et folklore au Moyen Age : saint Marcel de Paris et le dragon », Mélanges Barbagallo II, 51-90 et ici infra p. [236-279]. Sur les caractères folkloriques des Rogations, cf. les belles pages de A. van Gennep, au titre significatif : « Fêtes liturgiques folklorisées », in Manuel de Folklore français contemporain (I / 4-2, 1949, p. 1637 sqq.).

19 Leur origine est urbaine, leur nature proprement liturgique, comme le montre la lettre d'institution adressée par le pape aux Romains après son élévation au pontificat lors de l'épidémie de peste noire de 590 – lettre que Grégoire de Tours a insérée dans l'Historia Francorum parce qu'un diacre de Tours, alors à Rome pour y acquérir des reliques, la lui avait rapportée (HF, X, 1). Mais leur insertion dans le calendrier liturgique comme liturgiae majores à côté des liturgiue minores des Rogations les a sans doute exposées aussi à une dégradation populaire.

20 Le dragon folklorique – symbole des forces naturelles ambivalentes qui peuvent tourner à notre avantage ou à notre détriment (cf. E. Salin, op. cit., IV, p. 207-208) – continue à exister tout au long du Moyen Age, à côté du dragon chrétien identifié avec le diable et réduit à sa signification mauvaise. A l'époque (fin VIe siècle) où Fortunat écrit la Vita Marcelli (cf. Bruno Krusch, MGH, Scriptores Rerum Merovingiarum, IV-2, 49-54), le thème du saint vainqueur du dragon demeure à mi-chemin de ces deux conceptions, dans la lignée de l'interprétation antique qui, attribuant à des héros une victoire sur un dragon, hésitait entre la domestication et la mort du monstre. Sur les aspects folkloriques de ce thème, cf. Stith Thompson, op. cit., Motif A 531 : Culture hero (demigod) overcornes monsters. J'ai essayé de présenter ce problème dans l'article cité à la n. 8, p. 224. « L'ambivalence des animaux rêvés » a été soulignée par Jean Györy, Cahiers de Civilisation médiévale (1964, p. 200). Pour une interprétation psychanalytique de cette ambivalence, cf. E. Jones, On the nightmare, p. 85.

21 Constance de Lyon, Vie de saint Germain d'Auxerre, éd. R. Borius (Paris, 1965, p. 138-143) ; Pline le Jeune, Lettres, VII, 27.

22 Il faut ici distinguer. La thèse de P. Saintyves, qui s'exprime dans le titre suggestif de son livre marqué de l'empreinte « moderniste » : Les Saints successeurs des dieux (Bibliographie, no 43), paru en 1907, est fausse dans la mesure où les ancêtres antiques éventuels des saints sont non les dieux mais les demi-dieux, les héros et où l'Église a voulu faire des saints non les successeurs mais les remplaçants des héros et les situer dans un autre système de valeurs. En revanche la thèse de C. Cocchiara, toc. cit., qui affirme le triomphe de l'Église en cette matière, ne tient pas compte du fait que la grande majorité des chrétiens, au Moyen Age, et plus tard, ont eu à l'égard des saints le même comportement que leurs ancêtres à l'égard des héros, des demi-dieux, et même des dieux. En particulier, contrairement à ce que pense C. Cocchiara, l'attitude, si fréquente chez les collectivités médiévales, de rudoyer un saint (ou sa statue) coupable de n'avoir pas exaucé les prières de ses fidèles, relève bien d'une mentalité « primitive » persistante, et non de je ne sais quelle mutation affectueuse de la piété. Ce qui reste c'est que la distinction entre le rôle de Dieu et celui des saints – purs intercesseurs – dans les miracles offre à la psychologie individuelle et collective une soupape qui sauvegarde, dans une certaine mesure, la dévotion envers Dieu.

23 C'est sans doute simplifier le rôle intellectuel et mental du christianisme que d'insister sur les progrès de la rationalisation qu'il a apportée en ces domaines. Dans le moyen terme de l'histoire des mentalités collectives il semble davantage relever d'une réaction mystique, « orientale » face à un certain « rationalisme » gréco-romain auquel il ne faudrait pas d'ailleurs réduire la sensibilité critique : bien des aspects de la sensibilité hellénistique ont fait le lit du judéo-christianisme, et les chrétiens du Moyen Age percevaient une certaine continuité en attirant Virgile et Sénèque au bord du christianisme. Il reste que, dans le domaine des structures mentales et intellectuelles, le christianisme me paraît avoir marqué surtout une nouvelle étape de la pensée rationnelle – comme P. Duhem l'avait soutenu pour le domaine de la science, où, selon lui, le christianisme, en désacralisant la nature, avait permis à la pensée scientifique des progrès décisifs. A cet égard l'opposition folklorique au christianisme (plus fondamentale, me semble-t-il, que les amalgames et les symbioses) représente la résistance de l'irrationnel, ou plutôt d'un autre système mental, d'une autre logique, celle de la « pensée sauvage ».

24 Constance de Lyon, Vie de saint Germain d'Auxerre, éd. cit., p. 142-143. Germain, hébergé par des villageois, cède à leurs supplications et rend la voix à des coqs devenus muets en leur donnant à manger du blé bénit. Le biographe ne comprend visiblement pas l'importance et la signification de ce miracle, qu'il s'excuse de mentionner. Ita virtus diuina etiam in rebus minimis maxima praeeminebat. Ces res minimae dont parlent souvent les hagiographes du haut Moyen Age sont précisément des miracles de type folklorique – entrés par la petite porte dans la littérature cléricale. Dans le cas cité ici il y a combinaison de plusieurs thèmes folkloriques englobés dans ce miracle de sorcier de village remettant en marche l'ordre magique de la nature. Cf. Stith Thompson, Motif-Index, op. cit., A 2426 : Nature and meaning of animal cries (notamment A 2426.2.18 : origin and meaning of cock's cry) ; A 2489 : Animal periodic habits (notamment A 2489.1 : Why cock wakes man in morning ; A 2489.1.1 : Why cock crows to greet sunrise) ; D 1793 : Magic results from eating or drinking ; D 2146 : Magic control of day and night ; J 2272.1 : Chanticleer believes that his crowing makes the sun rise.

25 Cette culture aristocratique cléricale s'épanouit à l'époque carolingienne en une mainmise réciproque de l'Église sur les valeurs laïques et de l'aristocratie laïque sur les valeurs religieuses. Si, à notre époque, aux V-VIe siècles, l'aristocratie colonise socialement l'Église, elle ne le fait qu'en abandonnant sa culture laïque, non comme outillage technique, mais comme système de valeurs. Parmi d'autres l'exemple de Césaire d'Arles est significatif (Vita Caesarii, I, 8-9, éd. C. Morin, S. Caesarii opera omnia, t. II, 1937). Césaire, affaibli par ses pratiques ascétiques à Lérins, est envoyé à Arles dans une famille aristocratique qui le confie à quidam Pomerius nomine, scientia rhetor, Afer genere, quem ibi singularem et clarum grammaticae artis doctrina reddebat... ut saecularis scientiae disciplinis monasterialis in eo simplicitas poliretur. Pomère, auteur du De vita contemplativa appelé à une grande vogue au Moyen Age, est d'ailleurs un chrétien qui n'a rien de « rationaliste ». Mais, une fois acquise la technique intellectuelle, Césaire se détourne de cette science profane, comme le lui suggère un rêve dans lequel il voit un dragon lui dévorer l'épaule appesantie sur le livre sur lequel il s'est endormi. A l'autre bout de notre période (VII-VIIIe siècle), on voit l'idéal aristocratique (nous n'entrons pas ici dans les discussions sur l'existence d'une noblesse à cette époque) envahir la littérature hagiographique au point de lui imposer un type aristocratique de saint ; cf. F. Graus, Bibliographie, no 22 ; et F. Prinz, Bibliographie, no 36, notamment les p. 489, 501-507 : Die Selbstheiligung des frankischen Adels in der Hagiographie, 8. Heiligenvita-Adel-Eigenktoster, 9. Ein neues hagiographisches Leitbild ; et les travaux cités ibid., p. 493-494, n. 126 et 127, auxquels il faut ajouter K. Bosl, « Der “Adelsheilige”, Idealtypus und Wirklichkeit, Gesellschaft und Kultur im Merowingerzeite. Bayern des 7. und 8. Jh. », in Specutum historiale, Geschichte im Spiegel von Gedichtsschreibung und Gedichtsdeutung (éd. Cl. Bauer, 1965, p. 167-187).

26 J'interprète la renaissance de la littérature profane aux XIe-XIIe siècles, à l'instar d'Erich Köhler, comme le produit du désir de la petite et moyenne aristocratie des milites de se créer une culture relativement indépendante de la culture cléricale dont s'étaient fort bien accommodés les proceres laïcs carolingiens (Cf. E. E. Köhler, Trobadorlyrik und höfischer Roman, Berlin, 1962. Id., « Observations historiques et sociologiques sur la poésie des troubadours », Cahiers de civilisation médiévale, 1964, p. 27-51). Je crois aussi, avec D. D. R. Ower, « The secular inspiration of the “Chanson de Roland” » (Speculum, XXXVII, 1962), que la mentalité et la morale du Roland primitif sont toutes laïques, « féodales ». Et je pense que cette nouvelle culture féodale, laïque, a largement emprunté à la culture folklorique sous-jacente parce que celle-ci était la seule culture de rechange que les seigneurs pouvaient sinon opposer, du moins imposer à côté de la culture cléricale. Marc Bloch avait d'ailleurs pressenti l'importance de cette nature folklorique profonde des chansons de geste (« L'intrigue du Roland relève du folklore plutôt que de l'histoire : haine du beau-fils et du parâtre, envie, trahison ». La Société féodale, I, p. 148. Cf. ibid., p. 133). Certes, la culture cléricale parviendra assez aisément et rapidement à un compromis, à une christianisation de cette culture seigneuriale laïque à fond folklorique. Entre Geoffroy de Monmouth, par exemple, et Robert de Boron, on a à peine le temps d'apercevoir un Merlin sauvage, prophète non chrétien, fou étranger à la raison catholique, homme sauvage fuyant le monde chrétien, issu d'un Myrdclin en qui la culture semi-aristocratique des bardes celtes avait laissé apparaître un sorcier de village. Mais, au contraire de l'époque merovingienne, l'âge romano-gothique n'a pu refouler tout à fait cette culture folklorique. Il a dû composer avec elle et lui permettre de s'implanter avant la nouvelle poussée des XVe-XVIe siècles. Le thème, éminemment folklorique et porteur d'aspirations venues du tréfonds collectif, du pays de Cocagne apparaît dans la littérature du XIIIe siècle avant de faire sa percée décisive au XVIe siècle (cf. Cocchiara, Il paese di Cuccagna, 1954). A cet égard les XIIe-XIIIe siècles sont bien la première étape de la Renaissance.