Les rêves dans la culture

et la psychologie collective

de l'Occident médiéval

Ce thème a été choisi pour propos d'une investigation de longue haleine élaborée dans le cadre d'un cours d'initiation destiné aux jeunes historiens de l'E.N.S. Cette tentative a pour objet de présenter les structures, les permanences et les tournants de l'histoire de la culture et des mentalités médiévales – à partir de quelques obsessions fondamentales.

Une telle étude a fatalement des horizons psychanalytiques mais, compte tenu de l'insuffisante compétence du meneur de jeu en ce domaine et des problèmes non résolus1  que pose le passage de l'individuel au collectif en psychanalyse, on s'est contenté de parvenir au bord parfois de prolongements psychanalytiques de l'enquête sans s'y engager vraiment. Ainsi l'étude du rêve de saint Jérôme2 a permis de cerner le sentiment de culpabilité de l'intellectuel chrétien, discernable tout au long de l'histoire culturelle médiévale, l'analyse des cinq rêves de Charlemagne dans la Chanson de Roland3 a débouché sur la possible reconnaissance d'une « libido féodale ». On a cherché également à exploiter et développer les amorces dans l'œuvre de Freud4 d'une psychanalyse sociale ancrée dans la conscience professionnelle ou dans la conscience de classe. A cet égard le songe royal d'Henri Ier d'Angleterre5, par ailleurs structuré par le schéma dumézilien de la société tripartie, a fourni une base de départ.

Dans toute cette préparation d'une approche psychanalytique on n'a pas manqué d'essayer de définir comment l'habillage littéraire des récits de rêve doublait en quelque sorte et accroissait la déformation du contenu manifeste par rapport au contenu latent du rêve. A cet égard la littérature médiévale par son obéissance souvent rigide aux lois de genres bien fixés, au poids d'autorités contraignantes, à la pression de lieux communs, images et symboles obsédants, si elle appauvrit le contenu manifeste des rêves, offre de meilleures prises à qui cherche à atteindre au contenu latent. Enfin il a paru qu'il était peut-être révélateur d'une culture de la considérer à partir de ses obsessions et en mettant en lumière les censures s'exerçant sur elle au plan du refoulement individuel et collectif.

On a suivi une double ligne d'investigation, l'une selon la nature des documents, l'autre au fil de la chronologie.

On s'est pour l'instant borné aux textes, réservant pour plus tard une approche moins familière, celle de l'iconographie et de l'art dont on devine la richesse et les révélations décisives.

On a distingué dans les textes ceux, théoriques, qui proposent des cadres d'interprétation – typologie des rêves, clefs des songes – et les exemples concrets de récits de rêves.

Du point de vue diachronique, on s'est limité jusqu'ici à sonder deux tranches chronologiques : la phase d'installation de la culture et des mentalités médiévales, de la fin du IVe au début du VIIe siècle ; le grand bouleversement du XIIe siècle où se manifeste aussi, au sein de la permanence de structures profondes et résistantes, un take off culturel et mental.

Pour la première période, on a analysé de près, dans le groupe des textes théoriques, la typologie des rêves de Macrobe6, de Grégoire le Grand7 et d'Isidore de Séville8, dans la catégorie des récits de rêves le rêve de saint Jérôme9, les rêves de saint Martin dans la Vita Martini de Sulpice Sévère10, deux rêves tirés des recueils hagiographiques de Grégoire de Tours11.

Pour le XIIe siècle on a étudié dans la première série la typologie des rêves de Jean de Salisbury12, l'analyse des causes des rêves d'Hildegarde de Bingen13, la classification du Pseudo-Augustinus14 – textes auxquels on a joint une clef des songes du XIIIe siècle en vieux français15. Dans le second groupe on a expliqué les rêves de Charlemagne, le cauchemar16 d'Henri Ier et trois rêves mettant en cause la Vierge Marie : deux empruntés à la chronique de Jean de Worcester17 et le troisième au Roman de Sapience d'Herman de Valenciennes18.

Si on a souligné, pour en montrer les limites, la possible direction psychanalytique de la recherche, cela ne doit pas masquer que cette recherche met d'autre part à contribution l'histoire des idées, l'histoire littéraire, l'histoire de la médecine et des sciences, l'histoire des mentalités et de la sensibilité, le folklore. L'étude du rêve apporte ainsi – et par exemple – des renseignements précieux sur la place du corps et des phénomènes afférents (techniques du corps au sens maussien19, alimentation, physioloige20) dans la vision médiévale, ou encore une approche du phénomène de la « tradition » débordant les méthodes étroites de l'histoire culturelle « traditionnelle ». On peut enfin mesurer, dans cette perspective, dans quelles limites une comparaison entre la société médiévale – les sociétés médiévales – et les sociétés dites « primitives » peut être légitime et révélatrice21.

Cette recherche a d'abord mis en valeur l'élaboration, caractéristique de la culture et de la mentalité médiévales, des héritages anciens. Des rêves de la science onirique de l'Antiquité gréco-latine, les clercs du Moyen Age ont surtout retenu les textes susceptibles d'une interprétation allant dans le sens du christianisme et offrant une prise relativement aisée – au prix de déformations et de contresens le plus souvent inconscients – à des esprits dotés d'un outillage mental simplifié. Pythagorisme, stoïcisme, à travers Cicéron, rejoignent en Macrobe – grand maître de la science onirique médiévale – les courants néo-platoniciens déjà malaxés dans le creuset éclectique d'Artemidoros22. Un texte virgilien23 offre la notion des vraies et des fausses visions24, capitale pour le fruste manichéisme médiéval. Ce dépérissement de la diversité et de la richesse oniriques de l'Antiquité est accru par la méfiance à l'égard du rêve que lègue l'héritage biblique : prudence de l'Ancien Testament25, silence du Nouveau26. Les pratiques oniromanciennes qui viennent enfin des traditions païennes (celte, germanique, etc.)27 augmentent encore les réticences et même la fuite devant le rêve qui deviennent habituelles dans le haut Moyen Age. Déjà trouble chez saint Jérôme et saint Augustin28, le rêve, chez Grégoire le Grand, et, avec des nuances, chez Isidore de Séville, a basculé du côté du diable... Pourtant une coulée de « bons » rêves demeurent, venus de Dieu par l'intermédiaire nouveau des anges et surtout des saints. Le rêve s'accroche à l'hagiographie. Il authentifie les étapes essentielles de la marche de Martin vers la sainteté. Il récupère – comme en témoigne Grégoire de Tours – au profit des sanctuaires des saints (Saint-Martin de Tours, Saint-Julien de Brioude) les vieilles pratiques de l'incubation29. Mais dans l'ensemble il est repoussé dans l'enfer des choses douteuses auxquelles le chrétien commun doit soigneusement se garder d'attacher foi. Seule une nouvelle élite du rêve est à sa hauteur : les saints. Que les rêves leur viennent de Dieu (saint Martin) ou de Satan (saint Antoine – et, dans ce cas, la résistance aux visions, l'héroïsme onirique, devient un des combats d'une sainteté qui ne se conquiert plus par le martyre), les saints remplacent les élites antiques du rêve : les rois (Pharaon, Nabuchodonosor) et les chefs ou héros (Scipion, Enée).

Le XIIe siècle peut être considéré comme une époque de reconquête du rêve par la culture et la mentalité médiévales. Pour faire bref et gros, on peut dire que le diable y recule au profit de Dieu et que surtout se dilate le champ du rêve « neutre », du somnium, plus étroitement lié à la physiologie de l'homme. Cette relation entre le rêve et le corps, ce basculement de l'oniromancie vers la médecine et la psychologie, s'accomplira au XIIIe siècle avec Albert le Grand, puis avec Arnaud de Villeneuve30. En même temps qu'il se désacralise, le rêve se démocratise. De simples clercs – en attendant de vulgaires laïcs – sont favorisés de rêves signifiants. Chez Hildegarde de Bingen, le rêve, à côté du cauchemar, s'instaure comme phénomène normal de l'« homme de bonne humeur ».

Le rêve étend sa fonction dans le domaine culturel et politique. Il joue son rôle dans la récupération de la culture antique : rêves de la Sibylle, prémonitoires du christianisme, rêves des grands intellectuels précurseurs de la religion chrétienne, Socrate, Platon, Virgile. C'est le ressort onirique d'une nouvelle histoire des civilisations et du salut. Une littérature politique exploite aussi la veine onirique –  même si le rêve y est réduit à l'emploi d'un procédé littéraire. Le rêve d'Henri Ier marque une étape sur la voie qui conduit au Songe du verger.

C'est que – même ravalé à l'état d'accessoire – le rêve continue à jouer son rôle de défoulement, d'instrument propre à surmonter les censures et les inhibitions. Le rêve d'Herman de Valenciennes manifeste avec éclat, à la fin du XIIe siècle, son efficacité dans un nouveau combat de l'évolution culturelle : le remplacement du latin par les langues vulgaires. Seul un rêve authentique – et, signe des temps, marial – peut légitimer cette audace traumatisante : raconter la Bible en langue vulgaire31. Chez un Jean de Salisbury enfin le rêve prend place dans une véritable sémiologie du savoir32.


1 Cf. A. Besançon, « Vers une histoire psychanalytique », I et II, Annales E.S.C., 1969, nos 3 et 4, p. 594-616 et 1011-1033.

2 Dom Paul Antin dans « Autour du songe de saint Jérôme », Revue des Études latines, 41, 1963, p. 350-377, a présenté un remarquable dossier mais s'est attaché à une interprétation médicale sans intérêt, comme la plupart des explications « scientistes ».

3 K.-J. Steinmeyer, Untersuchungen zur allegorischen Bedeutung der Träume im altfranzösischen Rolandstied, Munich, 1963, utile, ne va pas au fond des choses. Bonne bibliographie dont on retiendra, pour la thématique littéraire, R. Mentz, Die Träume in den altfranzösischen Karls- und Artusepen, Marbourg, 1888 et, pour les horizons comparatistes et ethnologiques, A. H. Krappe, « The Dreams of Charlemagne in the Chanson de Roland », P.M.L.A., 36, 1921, p. 134-141.

4 Bien que les conceptions et le vocabulaire de Jung par exemple puissent séduire l'historien par une apparente disposition à servir ses curiosités, il a paru sage, pour de nombreuses raisons, de prendre comme référence psychanalytique l'œuvre de Freud dans une interprétation aussi fidèle que possible. On y est aidé par des instruments tels que le Vocabulaire de la psychanalyse de J. Laplanche et J.-B. Pontalis, Paris, 1967 et les volumes de The Hampstead Clinic Psychoanalytic Library et notamment le volume II : Basic Psychoanalytic Concepts on the Theory of Dreams, Londres, éd. H. Nagera, 1969. Rappelons que Freud s'était intéressé pour la Traumdeutung aux études historiques et notamment à l'étude de P. Diepgen, Traum und Traumdeutung als medizinisch-wissenschaftliches Problem im Mittelalter, Berlin, 1912, cité par lui à partir de la 4e éd. de la Traumdeutung, 1914. Sur rêve, structures sociales et psychanalyse on pourra consulter deux études parues dans Le Rêve et les sociétés humaines, Paris, éd. R. Caillois et G. E. von Grunebaum, 1967 : A. Millan, « Le rêve et le caractère social », p. 306-314, étroitement dépendant des théories psychanalytiques d'Erich Fromm et Toufy Fahd, « Le rêve dans la société islamique du Moyen Age », p. 335-365, très suggestif. Et, plus largement, Roger Bastide, « Sociologie du rêve », ibid., p. 177-188.

5 The Chronicle of John of Worcester (1118-1140), éd. I.R.H. Weaver, Anecdota Oxamiensia, 13, 1908, p. 32-33. Le rêve d'Henri est situé par le chroniqueur en l'an 1130. Le roi est successivement menacé en rêve par les laboratores, les bellatores, les oratores. Le manuscrit de la chronique est orné de miniatures représentant le triple rêve. Elles sont reproduites dans J. Le Goff, La Civilisation de l'Occident médiéval, Paris, 1964, ill. 117-118. Cf. supra, l'article « Note sur société tripartie, idéologie monarchique et renouveau économique dans la Chrétienté du IXe au XIIe siècle », p. 80. Sur la tradition des rêves royaux dans les sociétés orientales cf. Les Songes et leur interprétation, coll. « Sources orientales », II, Paris, 1959, Index, s. V. Roi. Les rêves de Charlemagne doivent aussi, bien entendu, être analysés comme des rêves royaux.

6 Macrobe, Commentarium in Somnium Scipionis, I, 3, Leipzig, éd. J. Willis, vol. II, 1963. Cf. W. H. Stahl, Macrobius, Commentary on the Dream of Scipio, translated with introduction and notes by... 1952 et de P. Courcelle, auteur d'importants travaux sur Macrobe, plus particulièrement, « La postérité chrétienne du Songe de Scipion », in Revue des Études latines, 36, 1958, p. 205-234.

7 Grégoire le Grand, Moralia in Job, I, VIII (PL., 827-828) et Dialogi, IV, 48 (PL, LXXVII, 409).

8 Isidore de Séville, Sententiae, III, cap. VI : De tentamentis somniorum (PL, 83, 668-671) et Appendix IX, Sententiarum liber IV, cap. XIII : Quae sint genera somnibrum (ibid., 1163).

9 Saint Jérôme, Ep., 22, 30 (ad Eustochium), éd. Hilberg, C.S.E.L., 54, 1910, p. 189-191 et Labourt, coll. « Budé », t. I, 1949, p. 144-146.

10 Sulpice Sévère, Vie de saint Martin, 3, 3-5, 5,3, 7,6, ep. 2, 1-6, et cf. Index, s.v. Rêves de l'édition, avec un très remarquable commentaire, de Jacques Fontaine, 3 vol., coll. « Sources chrétiennes », nos 133-134-135, Paris, 1967-1969.

11 Grégoire de Tours, De miraculis sancti Juliani, c. IX : De Fedamia paralytica. Grégoire de Tours. De virtutibus sancti Martini, c. LVI : De muliere quae contractis in palma digitis venit. On notera que le songe d'Herman de Valenciennes (fin XIIe siècle) cité infra est – sous une forme dégradée – un rêve d'incubation. On sait qu'un disciple de Jung a étudié l'incubation dans une perspective psychanalytique. C. A. Meier, Antike Inkubation und moderne Psychotherapie, 1949. On lui doit aussi une contribution : « Le rêve et l'incubation dans l'ancienne Grèce » dans le volume cité Le Rêve et les sociétés humaines, p. 290-304.

12 John of Salisbury, Polycraticus, II, 15-16, éd. Webb, 1909, p. 88-96 : De speciebus somniorum, et causis, figuris et significationibus et Generalia quaedam de significationibus, tam somniorum, quam aliorum figuralium.

13 Hildegardis Causae et Curae, éd. P. Kaiser, Leipzig, 1903 : « De somniis », p. 82-83, « De nocturna oppressione et De somniis », p. 142-143.

14 Liber De Spiritu et Anima (Pseudo-Augustinus), c. XXV PL, XL, 798). La dépendance du Pseudo-Augustinus à l'égard de Macrobe a été mise en évidence par L. Deubner, De incubatione, 1900.

15 Ci commence la senefiance de songes, éd. Walter Suchier : « Altfranzösische Traumbücher », in Zeitschrift für französische Sprache und Literatur, 67, 1957, p. 154-156. Cf. Lynn Thorndike, A History of Magic and Experimental Science, vol. II, Londres, 1923, c. 50 : Ancient and Medieval Dream-Books, p. 290-302.

16 On notera que le latin n'a pas de mot pour cauchemar (Macrobe n'a pas d'équivalent latin pour le grec πιάλτης qu'il rejette du côté des croyances populaires). Celui-ci apparaît dans les langues vulgaires au Moyen Age. Cf. la belle étude de psychanalyse historique de E. Jones, On the Nightmare, 2e éd., 1949. L'étymologie de cauchemar (cf. O. Bloch et W. von Wartburg, Dictionnaire étymologique de la langue française, 5e éd., Paris, 1968, p. 114 : calcare : fouler + mare, moyen néerlandais « fantôme nocturne ») est controversée. Mais retenons le cauchemar, création médiévale. Pour une interprétation physiologique du cauchemar cf. Hildegarde de Bingen, « De nocturna oppressione », cité n. 12.

17 The Chronicle of John of Worcester, op. cit., a. MCXXXVII, p. 41-42.

18 Le Roman de Sapience d'Herman de Valenciennes, partie inédite du Ms. B.N. fr. 20039, vers 399-466. Je dois ce texte à l'amabilité du Pr J. R. Smeets, de l'Université de Leyde.

19 M. Mauss, » Les techniques du corps », in Journal de Psychologie, 1935, p. 271-293, repris dans Sociologie et anthropologie, Paris, 1950.

20 Cf. le numéro spécial « Histoire biologique et société » des Annales E.S.C., no 6, novembre-décembre 1969.

21 Cf. notamment les contributions de G. Devereux, « Rêves pathogènes dans les sociétés non occidentales », dans Le Rêve et les sociétés humaines, op. cit., p. 189-204 ; D. Eggan, « Le rêve chez les Indiens hopis », ibid., p. 213-256 ; A. Irving Hallowell, « Le rôle des rêves dans la culture ojibwa », ibid., p. 257-281. Geza Roheim, lui-même auteur de « Psychoanalysis of Primitive Cultural Types », in International Journal of Psycho-Analysis, 13, 1932, p. 1-224, a sévèrement critiqué l'ouvrage de J. S. Lincoln, The Dream in Primitive Cultures, Londres, 1935. Dans le très suggestif recueil déjà mentionné, Le Rêve et les sociétés humaines, C. von Grunebaum a défini de façon intéressante les caractéristiques des civilisations qu'il appelle « médiévales » ou « prémodernes » (p. 8-9), contribuant ainsi à les situer par rapport aux civilisations « primitives ». Les prestiges d'un comparatisme nécessaire et éclairant ne doivent pas éclipser l'importance des différences.

22 Sur Artemidoros, C. Blum, Studies in the Dream-Book of Artemidorus, 1936, et d'un point de vue psychanalytique la précieuse étude de W. Kurth, « Das Traumbuch des Artemidoros im Lichte der Freudschen Traumlehre », in Psyche, 4 Jg, 10 H, 1951, p. 488-512.

23 Il s'agit du fameux passage (Enéide, VI, 893-898) des deux portes du sommeil qui livrent passage, la porte de corne aux ombres vraies, la porte d'ivoire aux fausses visions :

 

Sunt geminae somni portae : quarum altera fertur

cornea, qua veris facilis datur existas umbris,

altera candenti perfecta nitens elephanto,

sed falsa ad caelum mittunt insomnia manes.

His tibi tum natum Anchises unaque Sibyllam

prosequitur dictis portaque emittit eburna.

 

Les « portes du rêve » ont notamment donné leur nom au dernier livre de G. Roheim, The Gates of the Dream, 1953. Sur ce texte la savante exégèse de E. L. Highbarger, The Gates of Dreams : an archaeological examination of Aeneid VI, 893-899, The Johns Hopkins University Studies in Archaeology, no 30, 1940, dépense beaucoup d'ingéniosité et de science à la vaine recherche d'une localisation géographique de l'univers onirique virgilien. Voir aussi H. R. Steiner, Der Traum in der Aeneis, Diss. Berne, 1952. Sur le sens de insomnia dans ce texte voir R. J. Getty, « Insomnia in the Lexica », in The American Journal of Philology, LIV, 1933, p. 1-28.

24 Le Moyen Age distingue mal entre rêve et vision. Le clivage essentiel pour lui passe entre le sommeil et la veille. Tout ce qui apparaît au dormeur est du domaine du rêve. Le chercheur manque ici comme souvent d'une étude sémantique sérieuse. Cf. toutefois l'intéressant et perspicace article de F. Schalk, « Somnium und verwandte Wörter im Romanischen », publié dans Exempla romanischer Wortgeschichte, Francfort-sur-le-Main, 1966, p. 295-337. Pour être vraiment utile l'enquête philologique doit être menée à travers toutes les langues de la chrétienté médiévale. On rêve pour les sociétés médiévales d'un ouvrage comparable au magistral ouvrage d'E. Benveniste, Le Vocabulaire des institutions indo-européennes, 2 vol., Paris, 1969, d'ailleurs précieux aussi pour le médiéviste.

25 Typologie et liste des rêves de l'Ancien Testament dans E.L. Ehrlich, Der Traum im Alten Testament, 1953. N. Vaschidé et H. Piéron, « La valeur du rêve prophétique dans la conception biblique », in Revue des traditions populaires, XVI, 1901, p. 345-360, pensent que la réticence de l'Ancien Testament à l'égard des rêves vient surtout de l'hostilité entre les prophètes juifs et les devins chaldéens. Cf. A. Caquot, « Les songes et leur interprétation selon Canan et Israël », in Les Songes et leur interprétation, op. cit., p. 99-124.

26 Liste (brève) des rêves du Nouveau Testament dans A. Wikenhauer, « Die Traumgesichte des Neuen Testaments in religionsgeschichtlicher Sicht », in Pisciculi. Studien zur Religion und Kultur des Altertums, Münster, Festschrift Franz Joseph Dölger, 1939, p. 320-333. Les cinq songes de l'Évangile (tous, dans Matthieu, concernent l'enfance du Christ et saint Joseph) et les quatre des Actes des Apôtres (tous concernent saint Paul) renvoient les premiers à un modèle oriental, les seconds à un modèle hellénique.

27 Cf. par exemple E. Ettlinger, « Precognitive Dreams in Celtic Legend and Folklore », in Transactions of the Folk-Lore Society, LIX, 43, 1948. Sur la divination cf. l'excellent ensemble d'études, La Divination, éd. A. Caquot et M. Lebovici, 2 vol., Paris, 1968, d'où le Moyen Age occidental est encore hélas ! absent.

28 Sur les rêves chez saint Augustin je dois à l'amabilité de J. Fontaine d'avoir pu consulter l'excellente étude de Martine Dulaey, Le Rêve dans la vie et la pensée de saint Augustin (D.E.S. dactylographié, Paris, 1967), qui a utilisé F. X. Newman, Somnium : Medieval theories of dreaming and the form of vision poetry (Ph. D. inédit de Princeton University, 1963) que je n'ai pu encore consulter.

29 Cf. P. Saintyves, En marge de la Légende Dorée, 1930 : incubation dans les églises chrétiennes occidentales au Moyen Age, plus spécialement dans les sanctuaires de la Vierge. Voir également art. Incubation de H. Leclercq dans Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, VII-I, 1926, coll. 511-517.

30 Albert le Grand, De somno et vigilia (Opera, t. V, Lyon, 1651, p. 64-109). Arnaud de Villeneuve, « Expositiones visionum, quae fiunt in somnis, ad utilitatem medicorum non modicam » (Opera omnia, Bâle, 1585, p. 623-640). Lynn Thorndike, op. cit., p. 300-302, attribue ce traité à un certain maître Guillaume d'Aragon d'après le Ms. Paris B.N. lat. 7486.

31 

Garde la moie mort n'i soit pas oubliee,

De latin en romanz soit toute transpose.

(Roman de Sapience, Ms. Paris, B.N. fr. 20039, vers 457-458.)

32 John of Salisbury, Policraticus, II, 15-16, toc. cit. On en rapprochera la conception plus scolastique et étroite, mais voisine, du Ms. Bamberg Q VI 30, de la première moitié du XIIe siècle, cité par M. Grabmann, Geschichte der scholastischen Methode, 1911 ; rééd. 1957, II, p. 39 qui fait du rêve un des trois moyens de l'âme de connaître occulta Dei.