Il semble que la jonction ne soit pas encore faite (à supposer que les choses se soient passées comme cela – mais cette lecture de la genèse du système symbolique d'entrée en vassalité est permise) entre un rituel qui crée un lien personnel et un autre, celui, par exemple, de l'affatomie qui est surtout destiné, en recourant à la festuca comme symbole, à transmettre un héritage, un bien, par l'intermédiaire d'un lien personnel, d'une adoption, qui apparaît plus comme le moyen de la cession du bien que comme la fin en soi de l'institution et du rituel.

Il reste que sur un point – à mes yeux capital – le système ne se complète peut-être qu'à la fin du Xe siècle. Il s'agit de l'osculum, du baiser qui scelle le serment, la foi. Le texte du recueil de Saint-Gall qui raconte comment Notker, abbé élu de ce monastère, devint vassal d'Otton Ier en 971 : « Enfin tu seras mien, dit l'empereur, et après l'avoir reçu par les mains, il l'embrasse. Et bientôt, un évangéliaire ayant été apporté, l'abbé jura fidélité », est donné par l'un des meilleurs historiens de la féodalité, comme « l'un des plus anciens exemples » de baiser vassalique1. Remarquons d'ailleurs que le baiser a précédé ici le serment.

S'il est vrai – ce qui resterait à prouver ou à rendre à peu près sûr par une étude aussi complète que possible des textes antérieurs du XIe siècle – que l'osculum ne vient compléter le système qu'à la fin du Xe siècle, ce développement concorde avec ce que nous savons de l'évolution historique générale.

Si, en effet, l'osculum symbolique est l'élément qui crée une certaine égalité entre le seigneur et le vassal et représente l'acte le plus confiant entre les deux contractants, celui qui engage le plus fidélité et sécurité, il prend bien sa place dans une double évolution.

La première, c'est l'apparition du mouvement de paix qui va prendre un essor irrésistible autour de l'An Mille. Bien que je ne croie pas, comme je l'ai déjà dit, que le baiser vassalique soit le transfert dans le système symbolique féodal du baiser de paix chrétien, il porte évidemment la marque d'une atmosphère religieuse qui est bien celle de l'époque en général et du mouvement de paix en particulier2.

Surtout le second phénomène avec lequel s'harmoniserait l'introduction de l'osculum dans le rituel vassalique c'est autour de l'An Mille la prise de conscience collective de la classe militaire qui est aussi – je ne l'oublie pas – celle des grands propriétaires, les patrons ecclésiastiques se trouvant par là inclus dans la catégorie concernée par l'institution féodo-vassalique. La fin du Xe et le début du XIe siècle est la période où se constitue peut-être, où se diffuse en tout cas le schéma triparti, trifonctionnel de la société qu'Adalbéron de Laon en 1027 exprimera sous sa forme la plus frappante. Face aux oratores et aux laboratores les bellatores s'affirment, pas seulement par leur rôle militaire mais par les institutions, les atouts, les symboles qui l'accompagnent, le château fort et le système féodo-vassalique. L'osculum est un des emblèmes, des ciments de cette hiérarchie d'égaux qui exclut les femmes et les roturiers, et qui joue un rôle central dans le mouvement de paix conduit par l'Église et, dans une certaine mesure, contre les bellatores mais aussi avec eux dont elle veut faire les garants d'une société policée dans laquelle leur fonction militaire doit surtout – grâce à la force du réseau féodo-vassalique – s'exercer en faveur de la protection des autres catégories de la société3.

Je voudrais insister maintenant sur un caractère essentiel du système féodal de l'Occident médiéval que l'étude de son expression symbolique et le recours à la méthode ethnographique mettent bien en valeur : son originalité. J'ai tenté de le montrer plus haut4 en refusant toutes les assimilations qu'on pourrait faire avec des institutions antérieures – en particulier romaines – ou les continuités qu'on voudrait établir entre elles et le système féodal. Je m'efforce de le prouver plus loin par comparaisons avec des systèmes voisins de sociétés modernes et contemporaines extra-européennes. Si j'ai cherché dans l'affatomie et la festuca des lois salique et ripuaire et des édits lombards un fil conducteur, il ne m'a conduit qu'à deux hypothèses : la référence du rituel symbolique féodo-vassalique est à chercher du côté de la parenté, il apparaît dans les sociétés barbares du haut Moyen Age des institutions et des rites qui révèlent une société dont les structures semblent prêtes à produire le système symbolique du rituel féodo-vassalique. Rien de plus. Je n'y vois pas les origines ni du système vassalique ni de son rituel symbolique. Ce système a, certes, une genèse et j'ai essayé, entre la fin du VIIIe siècle et la fin du Xe siècle, d'en marquer quelques points centraux et quelques temps forts. Mais, sans trop jouer sur les mots, je crois qu'étant original, il n'a pas d'origines. Qu'il se soit servi d'éléments de modèles antérieurs, qu'il ait élaboré des solutions partiellement voisines des institutions d'autres sociétés à d'autres époques et dans d'autres continents, à coup sûr. Sans ces choix, ces « emprunts », ces parentés, ni l'histoire ni le comparatisme n'existeraient ou ils seraient futiles. Mais la recherche des origines de la vassalité – comme celle de beaucoup d'autres – me paraît assez vaine.

On sait que c'était, à la fin de sa trop courte vie, la position de Marc Bloch. Ce n'était pas tout à fait celle du temps de sa jeunesse, au moment où il écrivait son article sur « Les Formes de la rupture de l'hommage dans l'ancien droit féodal. » Qu'on me permette une longue citation de ce texte pionnier, car le passage me paraît d'une grande portée pour notre recherche.

« Mais j'ai jusqu'ici passé sous silence un exemple que M. von Moeller a pris au droit franc et que voici maintenant. Le titre LX de la Loi salique indique la procédure à laquelle doit avoir recours l'homme qui veut abandonner sa famille, sa “parentèle” ; le trait essentiel de cette procédure est le suivant : l'homme prend trois ou quatre bâtons – le chiffre varie avec les différents manuscrits de la loi – les brise au-dessus de sa tête et en jette les morceaux aux quatre coins du mallum. Il serait très séduisant d'admettre une filiation entre ce rite, par lequel se marquait dans le droit franc l'abandon de la famille et le rite, très analogue, par lequel... se marquait quelquefois dans le droit du XIIe siècle, l'abandon du seigneur. De quel intérêt pour l'éclaircissement du problème des “origines de la féodalité” ne serait-il pas d'établir un rapport de filiation entre l'acte solennel par lequel se rompait ce lien familial qui était sans doute le plus fort des liens sociaux dans les vieilles sociétés germaniques – et l'acte par lequel, six siècles plus tard, se rompait le lien de vassalité qui constituait la pièce maîtresse d'une société nouvelle ! Contre une telle théorie je ne crois pas qu'on puisse faire valoir d'arguments sérieux. Mais je ne pense pas non plus qu'il soit possible de l'appuyer sur aucune preuve solide : peut-être y a-t-il d'un rite à l'autre, non pas filiation, mais simplement similitude. On acceptera ou on rejettera l'hypothèse qui vient d'être indiquée selon l'idée générale qu'on se fait des origines de la vassalité »5.

Je laisse donc de côté le problème des « origines » qui ne me paraît par pertinent. Mais le grand flair de Marc Bloch nourri par une érudition déjà considérable l'a dirigé vers une intuition capitale. Pour éclairer je dirai non les origines mais la structure et la fonction du système vassalique – en particulier de son appareil symbolique – il importe de regarder vers les lois des peuples germaniques – et en particulier francs – du haut Moyen Age. D'ailleurs son instinct d'historien authentique – en qui la prudence s'allie à l'audace dans les hypothèses et le sens des différences et des nouveautés à l'intérêt pour les comparaisons et les continuités – l'amène déjà à s'écarter de la problématique usée de la recherche des origines. Aux « vieilles sociétés germaniques » il oppose une « société nouvelle » – la féodale. Et, comparant les « rites », il préfère en définitive envisager la « similitude » plutôt que la « filiation ».

C'est notre position. C'est bien dans les sociétés germaniques du haut Moyen Age qu'il faut chercher non l'origine mais le système de représentations, de références symboliques sur quoi se construit le système des gestes symboliques de la vassalité.

Puisqu'il s'agit d'une leçon, qu'on me permette encore à la fin de cette partie de mon développement trois brèves remarques de méthode sur l'étude du symbolisme en histoire.

Parmi les nombreux pièges de l'histoire des symboles, trois sont particulièrement redoutables : les fausses continuités (les symboles changent de façon déconcertante de sens), les fausses ressemblances – le comparatisme toujours délicat à manier est ici encore plus risqué tout en étant plus nécessaire. Enfin, la polysémie des symboles rend leur interprétation souvent incertaine : parmi tous les sens possibles (y compris souvent un sens et son contraire) quel est le bon ? Ceci renforce la nécessité de prendre un symbole dans son contexte ou mieux encore dans le système auquel en général il appartient.

Enfin se pose un autre très gros problème et ici l'absence de textes complique les choses : quelle conscience les acteurs et les spectateurs d'une action symbolique avaient-ils de son symbolisme ? Toutefois, si l'on accepte la méthode ethnographique elle suppose qu'un système symbolique peut fonctionner dans toute son efficacité sans prise de conscience explicite6.

 

IV. PROBLÈMES

 

L'exposé qui précède comporte un certain nombre d'hypothèses, d'invitations à la recherche à côté de quelques propositions fermes et documentées. Il me reste toutefois à formuler quelques problèmes importants en même temps que je préciserai la méthode proposée et apporterai quelques compléments.

 

A. Le domaine du rituel symbolique de la vassalité.

 

Un certain nombre d'historiens ont présenté sur le même plan que le rituel de la vassalité ou mêlés avec lui d'autres rituels qui me semblent avoir un sens et une fonction nettement différents.

Si j'ai évoqué un modèle parental comme référence de ce rituel cela ne veut pas dire que j'assimile les cérémonials familiaux aux cérémonials vassaliques. S'il n'est pas sans intérêt de noter le rôle de l'osculum dans les fiançailles je ne crois pas qu'il faille mettre dans un même ensemble les gestes symboliques de la vassalité et les gestes symboliques des fiançailles. E. Chénon a eu le très grand mérite en étudiant successivement l'osculum dans les deux institutions et les deux rituels de faire du comparatisme utile et il a mis en valeur un phénomène très significatif, l'usage de l'osculum dans le déguerpissement7. Comme pour le recours à la festuca la présence de l'osculum sur les deux versements du rite, à l'entrée et à la sortie confirme notre conviction qu'il s'agit d'un système. Mais l'élargissement de la signification de l'osculum à un concept vague de garantie d'observation d'un contrat me paraît diluer le symbolisme à un point où il ne signifie plus grand-chose. Une des tentations – et un des dangers – de l'étude des symboles est de vouloir trouver un dénominateur commun à des pratiques, des fonctions, des significations réellement différentes8.

De même le symbolisme qui intervient dans un certain nombre de contrats au Moyen Age me semble fondamentalement différent de celui qui fait partie du système féodo-vassalique. Il ne s'agit dans les deux cas que du recours aux mêmes objets symboliques. Ces détails – car au fond il ne s'agit que de détails – ne sont pas sans intérêt. Une société ne dispose que d'un stock limité de symboles et il est important pour la définition d'une entité sociale médiévale que l'on compare les ensembles d'objets symboliques utilisés dans différents domaines et qu'on y relève la présence des mêmes objets. C'est cet ensemble du matériel symbolique médiéval que Du Cange avait bien perçu. S'il a été dans l'article Investitura de son glossaire entraîné par une fausse perspective de droit romain à définir le terme par « traditio, missio in possessionem » (remise, mise en possession), il a cependant, à travers cette inexactitude, saisi une certaine unité des symboles que l'on rencontre et dans le cas des contrats et dans celui des investitures. D'où son affirmation pleine d'intérêt quant à la fonction du symbolisme : « Remises et investitures ne se faisaient pas seulement par la parole, ou par un simple document, ou par une charte, mais par divers symboles »9. De même j'ai pensé qu'il était intéressant de donner la liste des « symboles juridiques employés dans la formation des contrats, dans la procédure, etc. » aux époques mérovingienne et carolingienne dressée par M. Thévenin. En la comparant à la liste tirée de Du Cange pour la période postérieure, proprement féodale, on notera d'abord la présence majoritaire des mêmes termes, la conformité générale des deux listes. L'importance de festuca est frappante, et significative. La fréquence du symbole monétaire (denarius) est le signe d'une époque où la monnaie garde sa valeur, sinon économique, du moins symbolique. L'occurrence unique d'osculum ne signifie pas grand-chose, car il s'agit très précisément du rite de mariage suivant la loi romaine toujours en vigueur10. Au risque de nous répéter, si ces ressemblances entre la liste de Thévenin et celle de Du Cange suggèrent qu'une structure sociale, un ensemble symbolique se mettent en place entre le VIIe et le IXe siècle – et que le système vassalique y prendra ses références, elles ne prouvent nullement que le lien féodo-vassalique était de même nature que ceux déterminés par toute une série de contrats et encore moins que ces contrats sont à l'origine du système vassalique.

Fiançailles et contrats exclus, nous rencontrons le gros problème des rites royaux. Il suffit de lire la belle leçon du professeur Elze11 pour s'apercevoir d'emblée qu'il s'agit de deux rituels, de deux domaines symboliques absolument différents. Même si lors du sacre ou de l'« investiture » divine, on peut avoir l'impression que le roi est le bénéficiaire d'un système symbolique qui en fait le vassal de Dieu, il n'est que d'observer les cérémonials et les objets symboliques pour saisir l'irréductibilité d'un système à l'autre. D'un côté un rituel entièrement sacralisé qui fait entrer le roi dans un système religieux, de l'autre un rituel profane (malgré le recours aux prestiges chrétiens) qui fait entrer le vassal dans un système socio-économique. Il y a deux systèmes : un système royal et un système « familial » aristocratique, deux symboliques, l'une de transmission de pouvoir cosmique, surnaturel, l'autre d'intégration familiale.

La confusion qui a été faite parfois vient sans doute de l'usage que les carolingiens, les empereurs du Saint Empire et les papes (certains papes du moins) ont fait du bien vassalique et du système féodal. Mais les deux domaines symboliques sont fondamentalement différents.

Une erreur – j'y reviendrai – de certains ethnologues africanistes qui ont tenté avec mérite d'introduire le concept de féodalité dans l'étude des sociétés africaines a été, me semble-t-il, de rechercher des traits communs dans les cérémonials royaux et de vouloir fonder des similitudes sur des systèmes politiques, sur l'analyse des structures de pouvoir. La référence politique est soit tout à fait étrangère au système féodo-vassalique de l'Occident médiéval, soit absolument seconde.

Reste un gros problème : celui des investitures ecclésiastiques et du système symbolique auquel elles se réfèrent. Deux faits ici sont indéniables : par le biais de la théorie des deux pouvoirs, le spirituel et le temporal, l'Église médiévale a longtemps confondu le système de l'investiture temporelle et celui de l'ordination ecclésiastique à tous les niveaux. La querelle du Sacerdoce et de l'Empire dite « querelle des investitures » a entretenu et renforcé la confusion et à cet égard le concordat de Worms (1122) qui accordait au pape l'investiture spirituelle par la crosse et l'anneau et à l'empereur l'investiture temporelle par le sceptre n'a pas vraiment dissipé l'équivoque. Plus encore le rituel d'ordination et –  éventuellement – de réduction à l'état laïque (l'un et l'autre versant du système) – me semble avoir aggravé la confusion. Mais il faudrait étudier les rituels symboliques de près et ici la confusion qui ne vient pas des historiens modernes mais des hommes du Moyen Age doit rendre prudent dans l'affirmation que le domaine du rituel symbolique de la vassalité, s'il a été original, a été aussi autonome. Entre la fonction ecclésiastique et le fief il y a eu de telles contaminations que, comme l'a fait Du Cange, la confusion n'est pas ici sans fondement. Tout au plus, en l'état actuel des recherches, peut-on avancer que l'« investiture » ecclésiastique s'est calquée sur l'investiture vassalique, que les rites de l'entrée en vassalité ont sans doute servi de modèle à ceux de l'entrée en religion.

 

B. Une tentative de lecture de type ethnographique.

 

Jusqu'ici je n'ai pas défini le recours à la méthode ethnographique que je préconise ici et que j'ai tenté de pratiquer pour éclairer les gestes symboliques de la vassalité. Certes j'ai indiqué que cette méthode appelait, par la mise provisoire entre parenthèses des questions de lieu et de temps, la comparaison avec d'autres sociétés habituellement étudiées par l'ethnologue et non par l'historien et j'ai emprunté à Jacques Maquet un exemple dans des sociétés africaines. J'ai aussi insisté sur le fait que cette méthode conduisait à la définition et à l'étude d'un rituel – système cérémonial dont l'étude relève aussi traditionnellement plus des ethnologues que des historiens. Enfin j'ai souligné que l'étude d'un rituel exigeait de ne pas étudier isolément les éléments du rituel – phases et objets symboliques utilisés – mais d'en chercher la signification dans le système global.

Mais j'ai analysé le rituel de l'entrée en vassalité d'après les témoignages retenus par les historiens et selon les éléments, les phases et le découpage des textes qu'ils en ont tirés. Or cette analyse laisse de côté des éléments importants du rituel que les historiens ont habituellement négligés. Ces données proviennent plus souvent du contexte de la description de la cérémonie que de la cérémonie elle-même et elles sont constituées par des informations, des éléments qui débordent le système gestes-paroles-objets qu'on peut tirer de l'analyse des historiens.

C'est cette lecture plus complète de type ethnographique du rituel de la vassalité que je voudrais tenter maintenant. Ce n'en est qu'une esquisse car il faudrait pousser la collecte des données et leur interprétation beaucoup plus loin que je n'ai pu le faire.

Cette analyse porte sur le lieu de la cérémonie, les assistants, la place réciproque des contractants et la mémorisation du rituel.

a) L'entrée en vassalité ne se fait pas n'importe où, mais dans un espace symbolique, un territoire rituel. Jean-François Lemarignier a bien montré dans une étude classique le rôle des confins comme espace d'accomplissement du rituel vassalique : c'est l'hommage en marche12. Dans le texte de Thietmar de Merseburg déjà utilisé c'est à l'occasion d'un voyage de l'empereur Henri II sur les confins orientaux de l'Allemagne que les hommages lui sont prêtés.

Plus généralement on indique souvent qu'il y a déplacement des contractants pour accomplir le rituel vassalique. Tantôt c'est le seigneur qui vient recueillir l'hommage du vassal, tantôt c'est le vassal qui se rend auprès du seigneur pour exécuter les actes symboliques. Par exemple dans le texte des Annales regni Francorum, à propos de l'événement de 757 il est dit : « Le roi Pépin tint son plaid à Compiègne avec les Francs. Et là vint Tassilon, duc de Bavière, qui se recommanda en vasselage par les mains. » De même dans le texte de Galbert de Bruges le nouveau comte de Flandre, Guillaume Cliton, duc de Normandie, vient en Flandre pour y recueillir l'hommage de ses nouveaux vassaux mais ceux-ci viennent auprès de lui, à Bruges, pour lui prêter leurs hommages. Il me paraît significatif que l'historien Robert Boutruche fait commencer l'extrait du texte qu'il donne dans les Documents de son ouvrage au moment où commence la cérémonie vassalique, négligeant la phase antérieure des déplacements qui nous paraît au contraire faire partie du rituel complet13.

A vrai dire si le seigneur vient souvent en un lieu approprié, le déplacement significatif du point de vue symbolique c'est celui du vassal qui se rend toujours auprès du seigneur. Le déplacement a une double fonction : situer le rituel en un lieu symbolique, commencer à définir le lien qui va s'instituer entre le seigneur et le vassal en soulignant que c'est celui-ci, l'inférieur, qui commence à manifester sa déférence au seigneur en se rendant auprès de lui14.

L'espace symbolique où s'accomplit le rituel vassalique est, dans la grande majorité des cas, constitué par l'un ou l'autre de ces lieux : une église ou la grande salle du château (ou d'un château) seigneurial.

S'il s'agit d'une église, la fonction symbolique du lieu est d'être en soi un espace sacré, consacré et donc de rendre plus solennel le rituel qui y est accompli, le contrat qui y est scellé. D'ailleurs il est souvent précisé que ceux des gestes qui le peuvent sont exécutés dans la partie la plus centrale et la plus sacrée de l'édifice, l'autel, « super altare ». C'est sur l'autel qu'on prête serment, c'est sur l'autel qu'est déposé l'objet symbolique de l'investiture15.

L'autre lieu est encore plus significatif et une enquête serrée prouverait peut-être qu'il est le lieu par excellence du rituel féodo-vassalique. C'est l'aula seigneuriale16. La cérémonie se passe sur le territoire du seigneur, au cœur de ce territoire, dans le lieu où se manifeste sa fonction et sa puissance, où il reçoit les audiences, donne les fêtes qui par le luxe – vestimentaire, alimentaire, spectaculaire –  expriment son rang et son rôle. Ce déplacement en terrain seigneurial (car même à l'église le seigneur a – de droit – une place éminente) me paraît apporter une confirmation supplémentaire à l'inadéquation d'une interprétation du rituel vassalique en termes d'adoption. C'est plutôt l'inverse qui se produit, le vassal qui « choisit » son seigneur.

b) Le rituel symbolique de la vassalité ne se déroule pas en privé. Il requiert la présence d'une assistance. Elle est obligatoire. Elle est, normalement, nombreuse et choisie. Cette assistance n'est pas seulement destinée à fournir sa caution, des témoins à l'acte rituel. Elle fait partie du système symbolique. Elle crée, dans l'espace matériel symbolique, un espace social symbolique.

Parmi les expressions qui reviennent pour attester cette assistance nombreuse je note « aux yeux de beaucoup », « avec le conseil de tous les assistants », « en présence de beaucoup », etc.17.

L'assistance est-elle au fond de l'espace symbolique, sur les côtés, autour des contractants ? Le témoignage de l'iconographie, tardif, a été, de plus, à ma connaissance peu étudié. On aimerait une étude qui apporte à la connaissance du système vassalique des informations comparables à celles recueillies et élaborées par le P. Walter dans sa remarquable étude sur l'iconographie des conciles œcuméniques18.

Souvent, surtout quand le document qui relate la cérémonie a un caractère plus juridique, notamment s'il est établi par un notaire, comme cela arrive dans certaines régions, surtout à partir du XIIIe siècle, les principaux personnages présents sont nommément cités19.

Jacques Maquet qui a observé dans certaines sociétés africaines pratiquant des rites voisins de ceux de la vassalité cette présence d'une assistance, d'un public – ce qui rend l'institution différente d'une clientèle – en donne l'explication suivante : « La cérémonie rend public le lien féodal. On sait que tel individu est devenu le vassal de tel seigneur »20.

Il me semble que les assistants ne jouent pas seulement un rôle de témoins – essentiellement passif – mais ont une fonction plus active. Ils accueillent avec le seigneur le vassal dans cette société masculine et aristocratique, la société « féodale » proprement dite. Ils sont par ailleurs les témoins, les garants de l'engagement réciproque du seigneur et du vassal. Il me semble que si la fonction du lieu vient renforcer l'élément hiérarchique, inégalitaire dans le système vassalique, celle de l'assistance consolide l'élément de réciprocité.

c) Il faudrait aussi tenir compte de la place réciproque des contractants au cours de la cérémonie. Malheureusement les documents sont avares de détails à ce sujet.

Le seigneur est-il assis ? Sur quel type de siège ? Est-il dans une position surélevée ?

Le vassal est-il debout ou à genoux ?

Y a-t-il une évolution dans la position réciproque des deux personnages au cours de la cérémonie ?

Retrouve-t-on l'ensemble des significations symboliques que nous avons cru pouvoir déceler dans le rituel vassalique : hiérarchie, égalité, réciprocité21 ?

Les positions des deux contractants font-elles référence à l'univers symbolique de la parenté ? Les deux éléments étudiés précédemment, le lieu et l'assistance, s'ils n'apportent pas de preuve supplémentaire à l'appui de notre hypothèse sont compatibles avec elle : l'église et l'aula sont les espaces du mariage, l'assistance peut être celle des témoins d'un acte familial mais ces données sont trop générales, trop vagues pour qu'on puisse en tirer des arguments dans un sens ou dans l'autre.

d) Il y a enfin les éléments destinés à la survie, à la mémorisation du rituel.

Les témoins en sont un élément – à côté bien entendu des documents écrits qui sont parfois rédigés mais qui ne sont qu'un cas particulier de l'effort de mémorisation qui, pendant longtemps ne privilégie pas l'écrit.

Un autre élément est la conservation de l'objet symbolique.

Notons d'abord que l'objet n'est pas toujours à portée de main. E. Chénon a noté que dans ce cas, de façon curieuse, l'osculum peut remplacer la remise d'un objet22. Les textes qui en témoignent seraient à étudier de plus près.

L'objet est-il conservé ? Qui le conserve ? Où ? Dans l'état actuel de mon enquête je ne puis qu'avancer des hypothèses : l'objet est habituellement conservé, si c'est l'un des deux contractants qui le garde, c'est en général le seigneur, mais le plus souvent l'objet est gardé en terrain neutre et sacré, dans une église même si le rituel ne s'y est pas déroulé23. Le cas d'un fractionnement de l'objet et de la conservation d'une partie par le seigneur d'une part, le vassal de l'autre semble rare24.

Reprenant une distinction traditionnelle des feudistes germaniques F. L. Ganshof affirme que dans le cas où le symbole est un symbole d'action, il est soit conservé par le seigneur (sceptre, verge, anneau d'or, gant), soit brisé s'il est de faible valeur (par exemple un couteau). Dans le cas où le symbole est un objet c'est le vassal qui le conserve25.

Je suis sceptique quant à cette distinction. D'abord je ne vois pas très bien la différence entre Handlungsymbol et Gegenstandsymbol. Ensuite on fait figurer dans cette liste des objets qui me semblent plus relever du rituel monarchique (sceptre, verge, anneau d'or) que du rituel féodo-vassalique. Il faudrait en tout cas examiner les textes un par un. Enfin je ne pense pas que les solutions soient aussi tranchées.

Mais on ne doit pas oublier que les instruments de perpétuation, de mémorisation de la cérémonie symbolique font partie du rituel.

 

C. Les références dans d'autres sociétés.

 

Je les emprunterai essentiellement à des sociétés extra-européennes et surtout africaines car elles offrent, me semble-t-il, les possibilités de comparaison les plus propres à mettre en valeur l'originalité du système médiéval occidental à la fois par la nature des structures socio-économiques et culturelles et par le type d'approche des africanistes.

Je laisserai de côté un parallèle bien connu des médiévistes, celui du système féodo-vassalique de l'Occident médiéval et celui des institutions japonaises avant le Meiji. Ce parallèle est utile et éclairant mais les travaux précieux et précis de F. Joüon des Longrais en particulier me semblent surtout conduire à reconnaître des différences essentielles. Notre analyse du système occidental par l'étude du rituel symbolique confirme et renforce l'idée que vassalité et fief sont indissolublement liés. Que le fief soit le couronnement ou le fondement du système, seule l'investiture – le témoignage des gestes symboliques qui la constituent est clair –  accomplit l'élément de réciprocité essentiel au système. Or l'indissolubilité de ce lien entre vassalité et fief semble étrangère au système japonais26.

Le sujet mériterait une longue étude. Je me bornerai ici à quelques références27 et à l'énoncé de deux ou trois idées.

On a beaucoup parlé du Japon dans le cadre du comparatisme en partie parce que la « féodalité » japonaise est apparue à peu près en même temps que dans l'Occident médiéval et que l'opinion courante étant que le Japon était resté « féodal » jusqu'en 1867, la période moderne plus riche en documentation, fournissait une meilleure documentation sur cette « survivance ». Les questions d'influence, en ce qui concerne la féodalité, entre l'Extrême-Orient et l'Occident européen étant exclues, les considérations chronologiques n'ont pas une grande valeur.

Pourquoi ne pas regarder du côté de la Chine ? Les institutions qu'on a songé à appeler « féodales » sont très antérieures à celles qui se sont installées dans l'Occident médiéval puisque les spécialistes considèrent que la période « classique » de la féodalité chinoise est celle de la dynastie Chou (vers 1122-256 avant l'ère chrétienne).

Henri Maspéro avait prudemment écarté des témoignages sur la « féodalité » chinoise un ouvrage sur lequel s'étaient fondés plusieurs sinologues : les Mémoires sur les rites de Li-Ki, recueil d'opuscules ritualistes confucéens rédigés de la fin du IVe au début du Ier siècle avant l'ère chrétienne. Il était difficile selon lui de décider s'il s'agissait d'une description de la réalité ou d'une œuvre d'imagination28. En revanche il montre à juste titre beaucoup d'intérêt pour une inscription du VIIIe siècle avant l'ère chrétienne qui décrit l'« investiture » d'un grand officier royal : « Le matin, le roi se rendit au Temple du roi Mou, et prit sa place... L'officier de bouche K'o entra par la porte et prit place au milieu de la cour, face au nord. Le roi s'écria : “Chef de la famille Yin, faites la tablette donnant la charge à l'officier de bouche K'o”. Le roi parla ainsi : “K'o, autrefois, je vous ai donné charge d'être l'intermédiaire de mes ordres. Maintenant j'augmente et j'exalte (?) votre charge... Je vous donne une terre à Ye...” K'o salua en se prosternant »29.

Je laisserai de côté le problème de l'institution dont il est question, le fait que plutôt que de vassalité et d'inféodation il semble s'agir de quelque chose de proche du fief de fonction, à rapprocher peut-être du tchin russe. Je note que les Chinois, plus sensibles que les Occidentaux à la signification symbolique du cérémonial, ont soigneusement relaté le moment de l'accomplissement du rituel (le matin), le lieu symbolique (le Temple du roi Mou), la localisation des deux acteurs principaux (le roi... prit sa place, l'officier de bouche K'o... prit place au milieu de la cour, face au nord), le fait que chacun des acteurs s'est déplacé mais si le roi se rendit au Temple, on insiste avec précision sur le déplacement de l'officier et son entrée dans l'espace sacré et symbolique (K'o entra par la porte). Il y a au moins un assistant qui est de plus une sorte de scribe ou de notaire, le chef de la famille Yin qui fait la tablette. La parole intervient dans le cérémonial mais seul le roi semble autorisé à parler pour prononcer des formules rituelles. En revanche l'investi fait un salut par prosternation qui représente évidemment un acte de respect envers un supérieur mais dont je ne sais s'il s'adresse au roi ou au « seigneur » qui lui a confié la charge et la terre et s'il exprime un simple remerciement ou un hommage au sens « vassalique ».

Dans le riche colloque sur le féodalisme comparé en histoire édité par R. Coulborn, Derk Bodde donne d'importantes précisions sur les cérémonies d'investiture pendant la période Chou30.

Voici sa description : « Les nobles étaient confirmés dans la possession de leur territoire par une cérémonie qui avait lieu dans le temple ancestral des Chou. Là le nouveau vassal, après avoir reçu du Roi une solennelle admonestation à être consciencieux dans ses devoirs, se prosternait devant lui et recevait un sceptre de jade et une tablette écrite portant les termes de l'investiture de son fief. Ces dons étaient accompagnés d'autres cadeaux de valeur, tels que des bronzes, de la vaisselle, des vêtements, des armes, des chars, etc31... » On retrouve ici le lieu symbolique (le temple ancestral des Chou), le discours royal (une exhortation solennelle), le silence et la prosternation du vassal, la tablette qui témoigne de l'inféodation. Il s'y ajoute des précisions concernant les objets symboliques donnés au cours de la cérémonie. A côté des ressemblances, les différences avec le rituel féodo-vassalique de l'Occident médiéval sautent aux yeux. Le contenu culturel est différent : l'écrit sous forme de tablette a un rôle prépondérant en Chine qu'il n'a pas en Occident, les objets symboliques sont plus riches là qu'ici et la remise en même temps que la tablette d'un sceptre (de jade) semble exprimer une transmission de pouvoir très effacée, à mon sens, en Occident au Moyen Age. Le silence et la prosternation du vassal mettent l'accent davantage sur sa subordination au seigneur que sur le contrat qui lie les deux personnages. Il est vrai qu'ici encore le seigneur est le roi ce qui rend difficile la comparaison avec le couple occidental normal qui se situe à un niveau social et symbolique moins élevé.

Derk Bodde donne ailleurs d'autres précisions : « Quand un nouveau fief était créé, le noble investi recevait du Roi une motte de terre prise sur l'autel du Seigneur de la Terre national, qui devenait le noyau de l'autel local construit par le noble dans son propre fief »32.

Si nous laissons de côté ici encore le fait que le seigneur est le roi, deux remarques s'imposent. Le caractère religieux de l'institution et du rituel est plus encore accentué que dans les textes précédents. Pour la première fois apparaît dans la cérémonie non seulement un symbole « rural » mais, par le rôle du temps du Dieu de la Terre, le caractère central de la référence agricole est souligné. On peut toutefois se poser la question : référence terrienne ou territoriale ?

Or quelle est, selon Derk Bodde, l'étymologie du terme désignant l'institution qui semble correspondre au fief occidental ? « Le mot feng employé pour désigner ce rituel signifieune butte”, dresser une butte, planter (une plante), une limite, tracer les limites d'un fief, donner en fief, etc. »33.

Il semble bien ici que la signification du rite est surtout territoriale – sans négliger, certes, le fait que le fief est un territoire, une terre. L'institution chinoise attire ainsi notre attention sur le symbolisme des frontières – que nous avons déjà rencontré – et plus particulièrement sur la réalité matérielle et le symbolisme des bornes, dont on sait le rôle qu'ils ont joué dans le monde romain et qui n'a pas encore été suffisamment étudié dans le domaine de l'Occident médiéval34.

Si le cas chinois présente donc un intérêt certain et invite notamment à analyser de près le rituel en tenant compte du système « lieu-positions et déplacements des contractants – valeur réciproque des gestes, paroles et objets – fonction de l'assistance », il reste que, pour les raisons déjà indiquées, c'est en se tournant vers l'Afrique qu'on a des chances de recueillir les meilleurs fruits du comparatisme.

Mon information consiste en deux ouvrages d'ensemble, celui de Jacques Maquet, déjà cité, Pouvoir et Société en Afrique (Paris, 1970) et le recueil d'articles réunis par M. Fortes et E. E. Evans-Pritchard : African Political Systems (Londres, 1940 ; traduction française Systèmes politiques africains, Paris, 1964) ainsi qu'un ensemble d'articles35.

Comme cela a été souligné par de nombreux africanistes les institutions étudiées dans ces travaux concernent en général la région des Grands Lacs et, plus largement, l'Afrique noire centrale et orientale. Je laisse de côté la question de savoir si ce fait tient plus à l'originalité de ces sociétés (et à la parenté de leurs structures) ou à une focalisation, pour telle ou telle raison, de l'intérêt des africanistes pour cette région.

A l'exception des travaux de Maquet ou utilisés par lui et de l'article de J. J. Tawney concernant une coutume féodale chez les Waha toutes les autres études concernent un cérémonial « royal ». Ce n'est pas le lieu de savoir ici si le terme de « roi » convient aux personnages qui font l'objet de ces études. Il reste que les différences entre les cérémonials présentés dans ces travaux et le rituel féodo-vassalique sont évidentes et profondes. Il n'y a guère que la transmission de certains objets symboliques qui présente quelque ressemblance dans les deux cas. Mais dans les cérémonies africaines les objets en question sont des insignes du pouvoir et les forces en jeu sont évidemment politiques ce qui n'est pas le cas dans l'entrée en vassalité. Il y a la foule représentant le peuple, quelques personnages ayant un rôle particulier : membres de la famille royale, prêtres ou dignitaires mais il n'y a qu'un seul héros, le « roi ». Les rites ont pour fonction d'assurer une continuité et de perpétuer ou faire naître fécondité et prospérité. Plus généralement – et cette remarque vaut pour les rituels royaux de l'Occident médiéval que nous avons écarté de notre champ d'investigation –  comme le rappelle Meyer Fortes reprenant une expression de Marcel Mauss dans le célèbre Essai sur le Don (1925) ces cérémonies concernent des « institutions totales » qui concentrent en elles à la fois « politique et droit, rang et parenté, concepts et valeurs religieuses et philosophiques, système d'exclusion et d'hospitalité, esthétique et symbolisme de la représentation institutionnelle, et enfin et peut-être surtout psychologie sociale de la participation populaire »36.

Est-ce à dire qu'il n'y a rien à tirer de ces études pour notre propos ?

Je retiendrai deux idées émises à propos des cérémonies d'« investiture » royale par ces éminents africanistes.

La première concerne ce que Audrey I. Richards appelle à propos des Bemba du nord de la Rhodésie « social mnemonies »37. Il faut, dans toutes ces cérémonies, noter avec soin tout ce qui s'adresse à la mémoire sociale, tout ce qui est destiné à assurer la perpétuation de l'engagement symbolique. Plus encore, je crois que la remarque faite par A. I. Richards, toujours à propos de l'investiture des chefs suprêmes des Bemba, vaut pour le rituel de l'entrée en vassalité dans l'Occident médiéval : « more important as charters of political office are the relies themselves and the ceremonial by which they are handled »38. Certes, les reliques qui interviennent en Occident au Moyen Age sont d'une autre nature et ont une autre fonction que celles qui entrent en jeu dans les cérémonials royaux africains. Elles ne sont là que les garants des engagements pris, des serments jurés alors qu'ici elles sont « la validation de l'exercice de l'autorité et un moyen d'accès aux forces surnaturelles dont dépend cette autorité ». Mais dans les deux cas le témoignage des assistants et des objets symboliques conservés a plus de poids qu'un texte écrit. Sans doute pour la justification de nombreux droits l'établissement et la possession de chartes ont eu une grande importance dans l'Occident médiéval (bien que les collections de chartes rassemblées par leurs bénéficiaires au Moyen Age n'aient pas été aussi systématiques ni aussi nombreuses que pourraient le laisser croire les cartulaires – fort utiles – créés par les érudits des XIXe et XXe siècles), mais des institutions aussi fondamentales que le système féodo-vassalique d'une part, la monarchie de l'autre ont reposé dans leur effort de perpétuation plus sur la permanence des rites, la transmission d'objets symboliques et la mémoire collective que sur des textes écrits d'investitures « per chartam » ou la rédaction d'une charte d'entrée en vassalité ayant joué un rôle très secondaire.

Je crois d'autre part qu'une partie au moins de ce que Meyer Fortes a écrit à propos des « cérémonies d'installation » est applicable au rituel d'entrée en vassalité et d'investiture. Il insiste sur ce que seules l'observation et l'analyse anthropologiques permettent de percevoir « la réciprocité dans le lien entre l'office occupé et la société dans laquelle il est inséré »39. Dans le schéma des cérémonies d'installation il souligne que « la communauté doit participer directement à la fois par l'intermédiaire de ses représentants et en tant que corps »40. Sans doute cette exigence découle ici du fait qu'une « institution totale » est concernée. Mais je me demande si un examen minutieux de l'assistance au rituel féodo-vassalique ne ferait pas apparaître que le rôle des assistants dépasse celui du simple témoignage et que le symbolisme de la cérémonie doit être élargi au-delà de ses deux protagonistes, le seigneur et le vassal.

Il reste que, du moins à partir de mon information, les données comparatistes recueillies dans les sociétés africaines sont limitées et décevantes. Peut-être la piste est-elle plus ou moins une impasse. Mais je crois que la confusion entre rites royaux et rites vassaliques a jusqu'ici bloqué la voie comparatiste. La faute en revient souvent aux historiens, aux médiévistes qui ont engagé les anthropologues dans de fausses perspectives41.

Mais je crains que la tendance des africanistes à se tourner vers l'anthropologie politique, si elle a le mérite de réagir contre les excès d'une anthropologie intemporelle et immobile, leur fait courir le risque de s'enliser dans les faux-semblants de certaines problématiques récentes du pouvoir et de négliger l'étude des phénomènes économiques et sociaux fondamentaux, des structures de parenté auxquelles ils renvoient et des systèmes symboliques originaux qui leur sont liés42.

Il reste que, là où des africanistes ont étudié des institutions et des rites apparentés à ceux de la féodalité occidentale médiévale, différences et similitudes apparaissent.

Jacques Maquet, au-delà des analyses que j'ai déjà utilisées au sujet de l'ubuhake du Ruanda et d'institutions similaires, fait une intéressante remarque : « un caractère essentiel de la relation de dépendance, écrit-il, est que protecteur et dépendant se choisissent en raison de leurs qualités individuelles... A l'exception de l'alliance matrimoniale tous les autres réseaux imposent à chaque acteur tous les autres acteurs... Il arrive aussi qu'une relation de dépendance devienne héréditaire... Mais même alors un vestige de choix demeure : les deux héritiers doivent confirmer (et peuvent ne pas le faire) la continuité du lien qui unissait leurs prédécesseurs. Ce choix initial confère à la relation qui s'ensuit une qualité individuelle qui évoque la confiance, voire l'amitié... »43.

Je ne m'étendrai pas sur les références à l'alliance matrimoniale, ou à l'amitié, qui, pour intéressantes qu'elles sont, sont davantage d'ordre métaphorique que scientifique. Je relèverai l'accent mis sur la volonté réciproque dans la vassalité. Ici encore le rituel symbolique devrait être examiné de près. Au-delà des paroles exprimant ce choix, cette volonté (cf. chez Galbert de Bruges « le comte demanda au futur vassal s'il voulait devenir son homme sans réserve, et celui-ci répondit :Je le veux.” ») il faudrait examiner si le rituel exprime cette nuance volontaire du choix personnel réciproque.

Enfin en ce qui concerne l'ugabire étudié par J.J. Tawney comme une « coutume féodale » des Waha, il me semble qu'elle se rapproche davantage de la précaire dans la mesure où il s'agit pour un homme de peu de moyens de se placer sous la protection d'un plus riche en lui demandant s'il est prêt à lui donner du bétail en échange de services. Le bétail remplace ici, bien entendu, la terre, la tenure qui fait en général l'objet de la précaire44.

De plus Tawney ne dit pas si la conclusion d'un contrat d'ugabire donne lieu à une cérémonie, et comporte un rituel.

Mais l'auteur donne sur les relations entre le Mgabire qui a obtenu l'ugabire et son patron et les manifestations symboliques qu'elle comporte des précisions intéressantes :

« La relation entre le Mgabire et le patron est subtile ; le Mgabire est obligé de le saluer en certaines occasions, en partie, semble-t-il, parce qu'il y a le sentiment que le patron est d'un rang supérieur et en partie pour être sûr que le Mgabire manifeste la continuité du lien devant tout le monde. Le léger sentiment d'une différence de rang n'est pas tel qu'il puisse faire naître du ressentiment ; au contraire, il apparaît lié à l'affection qui est à l'arrière-plan de la relation, et un Mgabire acquiert ainsi un reflet du “heshima” de son patron ; le Mgabire salue son patron du titre de “Databuja” qui signifie “Père-Maître”, mais il est la seule personne qui peut s'adresser ainsi à lui. Si d'autres désirent faire référence au patron d'un Mgabire, ils l'appellent “Shebuja” »45.

Inégalité corrigée par des liens réciproques et en partie affectifs, prise à témoin du monde extérieur, recours à un vocabulaire de type « parental ». Nous nous retrouvons, malgré de grandes différences, en deçà cette fois-ci socialement du contrat féodo-vassalique, en terrain connu46.

Ainsi le comparatisme, s'il fournit d'utiles points de comparaison, s'il invite à mieux élucider dans quelles conditions une société se crée des institutions et recourt à des pratiques symboliques pour les faire fonctionner, me semble surtout mettre en valeur l'originalité, la spécificité du système féodo-vassalique de l'Occident médiéval.

 

D. Le rôle du christianisme.

 

Comme on pouvait s'en douter le christianisme apparaît presque à chaque phase du rituel féodo-vassalique. D'abord la cérémonie, même si aucun des deux contractants, ni le seigneur ni le vassal, ne sont des clercs, peut avoir lieu dans une église, lieu privilégié – avec l'aula seigneuriale –  pour l'entrée en vassalité. Et même il est assez souvent précisé que la cérémonie s'accomplit dans la partie la plus sacrée de l'église, super altare.

Le serment qui constitue un élément essentiel de la fidélité est, la plupart du temps, prêté sur un objet religieux, et même particulièrement sacré, la Bible ou des reliques.

L'objet symbolique de l'investiture est parfois, comme on peut le voir dans la liste tirée de l'article Investitura de Du Cange, un objet ecclésiastique ou religieux (par la crosse et l'anneau, par le calice, par la crosse épiscopale, par le candélabre, par les clefs de l'èglise, avec la croix abbatiale, par le chapeau prioral, par la communion (un acte remplaçant l'objet, comme l'osculum peut le faire), par les pains d'encens, par le missel, avec la règle, par le psautier, etc.). Il est vrai que Du Cange a beaucoup puisé dans les investitures concernant des clercs, et même souvent dans des investitures proprement ecclésiastiques, dont j'ai dit qu'elles me paraissent faire problème par rapport aux rites des investitures proprement féodo-vassaliques. Mais même dans ce cas, l'objet symbolique est conservé dans une église, alors que les contractants sont des laïcs.

En revanche même si des clercs sont partie au contrat et à la cérémonie qui le sanctionne, l'objet symbolique peut fort bien être profane. Je citerai un cas qui apporte d'intéressantes précisions. Frédéric Joüon des Longrais a consacré, une excellente étude à des chartes du prieuré d'Hatfield Regis, dans l'Essex, dépendant de la célèbre abbaye bénédictine bretonne Saint-Mélaine de Rennes47. En 1135 un Chamberlain d'Angleterre, Aubry de Vere, inféoda à ce prieuré deux parts des dîmes du domaine de Reginald Fils Pierre à Ugley. Il le fit par le symbole d'un couteau brisé et le couteau, au manche de corne noire de 0,082 m et à la lame brisée de 0,031 m, attaché par une tresse de cordes de harpe au côté gauche de la notice de l'acte, percée d'un trou, était encore conservé (il doit toujours y être) au moment où F. Joüon de Longrais écrivit son étude, dans la bibliothèque du Trinity College de Cambridge. L'acte est d'ailleurs traditionnellement connu sous le nom de « deed with the black hafted knife ». Un précieux détail est mentionné dans cet acte. La cession en fief de ces dîmes par Aubry de Vere aux moines de Hatfield Regis est faite « pour l'âme de ses prédécesseurs et de ses successeurs »48. Ainsi le caractère religieux d'un contrat féodo-vassalique peut aussi ressortir des intentions du seigneur.

Tout ceci n'a rien d'étonnant. La société de l'Occident médiéval étant une société chrétienne, le christianisme médiéval étant riche de rites et de symboles, il est normal que la marque de l'idéologie dominante se retrouve dans le rituel d'une de ses institutions fondamentales, donnant lieu à une cérémonie publique.

On retrouve ici plusieurs fonctions importantes de l'Église médiévale : sa tendance au monopole des espaces sacrés (églises), ses efforts pour fournir les seules garanties absolues pour les serments appuyés sur la Bible et les reliques (renforçant le rôle des Écritures et du culte des saints), sa place éminente comme interprète et propriétaire de la mémoire collective, son zèle à imposer comme justification des pratiques sociales les plus importantes – à commencer par celles qui ont un fort contenu économique – la gloire de Dieu, le bien de l'Église, le salut individuel ou collectif. Dans le cas de l'acte de Hatfield Regis on retrouve le grand mouvement qui porte au XIIe siècle l'aristocratie féodale à s'ancrer solidement dans une longue durée familiale, où les prières pour les morts (pro animabus antecessorum et successorum) vont déboucher sur l'invention d'un purgatoire facilitant la création d'un réseau de vivants et de morts.

Il reste que le rituel n'est ni chrétien ni même vraiment christianisé. Rien de commun avec le cérémonial de l'adoubement que l'on voit émerger – parfaitement christianisé, lui – vers le milieu du XIIe siècle. Ni préparation de type religieux, comme le jeûne et la veillée du futur chevalier, ni célébration d'office proprement chrétien, ni rites aux résonances vétéro-testamentaires, faisant jouer le symbolisme typologique si répandu au XIIe siècle. Même si le monde ecclésiastique est triplement concerné par l'institution féodo-vassalique : parce qu'il entre lui-même temporellement dans le système (il y a des seigneurs et des vassaux ecclésiastiques), parce qu'il y a contamination entre les investitures temporelles et les « investitures » ecclésiastiques, parce que le système est en grande partie conforme avec son idéologie (hiérarchie, réciprocité) s'il y a dans le système une confusion avec la religion elle n'est pas au niveau de l'osculum mais de la foi (fides ou fidelitas ?), il n'a pas réussi avec le rituel vassalique ce qu'il a à peu près réussi avec le cérémonial chevaleresque et qu'un Chrétien de Troyes a – magnifiquement – exprimé sur le plan artistique et idéologique : l'union intime de chevalerie et de clergie.

Si, comme je le crois, une institution s'éclaire à travers l'étude ethnographique de son rituel, il n'y a rien de spécifiquement chrétien dans le rituel féodo-vassalique. Je l'ai dit et espère l'avoir montré pour l'osculum, le rôle de la main, en particulier dans l'immixtio manuum de l'hommage, ne doit pas non plus tromper. La très vaste polysémie de la main ne doit conduire ni à la confusion des institutions, ni à celle des symbolismes.

Comment de telles confusions peuvent s'établir, on le voit à travers, par exemple, le riche article Hommage que Dom H. Leclercq donna en 1925 au Dictionnaire d'Archéologie chrétienne et de liturgie de Dom Cabrol. L'auteur y compare les rites d'hommage à ceux d'entrée en religion. Il cite par exemple un acte de l'abbaye de Farfa de 801 : « et de nouveau Perculf lui-même se livra aux mains jointes du seigneur abbé Mauroald pour vivre dans le monastère même sous la sainte règle »49 et, rappelant que selon la règle de saint Benoît, l'enfant offert par ses parents à un monastère est présenté à l'autel et sa main enveloppée dans la nappe, il ajoute que le geste « équivaut à un hommage entre les mains de Dieu ». Équivaloir est bien dangereux ! Le rite d'oblation de l'enfant – bien antérieur à l'institution féodo-vassalique n'a rien à voir avec lui. Dans l'acte de Farfa il faut voir un exemple de la vieille coutume de la commendatio manibus ou in manus qui en était venue, comme le dit Dom Leclercq lui-même, « à être employée dans n'importe quel genre de patronage, de rapport de protection ».

Au contraire il faut remarquer que dans le plus ancien texte annonçant l'immixtio manuum, la formule de Marculfe du VIIe siècle50, comme le reconnaît Dom Leclercq, quand le roi dit que le nouvel antrustion « venant ici dans notre palais, avec son arme, et ayant juré, au vu de tous, dans notre main, fidélité », il n'est pas question de la commendatio manibus mais d'un serment prêté « entre les mains du roi ».

Dans le rituel féodo-vassalique le christianisme, au contraire de ce qui se passe dans l'adoubement, ne fournit qu'un cadre, des accessoires – quelque importants qu'ils soient –, ni la matière, ni le symbolisme. Le rituel féodo-vassalique est un rituel essentiellement profane, plutôt que païen, car si le système a emprunté à des pratiques préchrétiennes certains éléments, ici encore, et plus encore, il n'y a, à mes yeux, que détails, objets ou gestes isolés51.

Deux questions pour conclure le rapide examen de ce dernier problème.

On a vu, aux exemples cités, qu'en Afrique noire et plus encore en Chine, le caractère religieux, sacré, est plus nettement marqué. Est-ce dû au fait qu'il s'agit, le plus souvent, de rites royaux, ou dans lesquels le roi est partie ? Il en va de même dans l'Occident médiéval. Ou ces civilisations, ces sociétés étaient-elles ou sont-elles plus sacralisées que l'Occident médiéval ?

Enfin on sait qu'un des éléments qui marquent le caractère religieux de l'adoubement est le fait qu'il avait lieu le plus souvent – aux XIIe et XIIIe siècles en tout cas – lors d'une grande fête chrétienne, la Pentecôte. La continuité avec le paganisme où cette date était de grande importance dans les rituels de l'entrée en saison chaude est ici évidente et il faut sans doute y voir le soin mis par l'Église chrétienne médiévale à oblitérer dans la cérémonie de l'adoubement toute origine païenne. Aucune nécessité de ce genre dans le rituel féodo-vassalique. D'autre part il était pratiquement impossible que les cérémonies d'entrée en vassalité et d'investiture se déroulassent à date fixe, à supposer qu'il ait pu y avoir des précédents ou des références calendaires. Les déplacements des seigneurs, la date de la mort du seigneur ou du vassal pour le renouvellement du contrat et des rites, les imprévus de la « politique de vassalité » de la classe féodale justifient que les dates d'entrée en vassalité et d'investiture, quand nous les possédons, soient très variées. N'y a-t-il pas toutefois – en dehors du contingent – quelques dates privilégiées ? Il vaudrait mieux s'assurer, pour l'interprétation du rituel symbolique de la vassalité, qu'il ne recèle aucune référence calendaire.

 

CONCLUSION : FIDÈLES DONC VASSAUX

 

Au terme de cette première ébauche d'une tentative qui comporte encore trop d'hypothèses je voudrais présenter deux remarques générales en guise de conclusion.

La première c'est que cette interprétation du rituel féodal qui met au premier plan le lien personnel n'aboutit en aucune façon à faire de la féodalité un simple phénomène de mentalité52.

L'originalité de la féodalité de l'Occident médiéval est bien d'associer l'investiture d'un fief à un engagement personnel et il nous est permis, en distinguant motivations et causes, de distinguer des superstructures et des infrastructures encore que les réflexions méthodologiques de certains anthropologues d'inspiration marxiste53 orientent vers l'idée que toute société fonctionne par l'intermédiaire de structures où une partie des superstructures agit aussi comme infrastructures.

Dans le cas de l'investiture féodale il n'y aurait pas lien vassalique si l'investiture du fief n'était ancrée dans l'hommage et la foi. Le système symbolique montre qu'il s'agit d'un ensemble. Ce n'est pas « fidèles ou vassaux ». C'est « fidèles et vassaux ».

La seconde et dernière remarque c'est que, même si nous tenons compte du fait que les hommes de la Chrétienté médiévale ont eu une pensée scientifique symbolique qui était un déchiffrement d'une réalité profonde derrière les apparences, cette lecture symbolique ne peut nous satisfaire.

Un système symbolique, pour reprendre la conception récemment avancée par Dan Sperber dans son essai « Le symbolisme en général » (1974) ne signifie rien. Ce n'est pas un reflet, une traduction. C'est un ensemble de paroles, de gestes, d'objets qui, structurés d'une façon qui doit demeurer, pour l'essentiel, intangible, apporte à cet ensemble quelque chose de plus que la simple addition ou combinaison de ces éléments, quelque chose qui fait entrer l'ensemble dans la sphère du sacré, d'un certain sacré. A cet égard comme en beaucoup d'autres cas (par exemple l'« augustinisme politique ») la pensée médiévale a schématisé, appauvri la conception augustinienne plus large et plus profonde. Dans le cas de l'investiture féodale c'est, me semble-t-il, dans la sphère du sacré parental que se meut le symbolique.

Je vais employer pour terminer une comparaison dont je m'empresse de dire qu'elle n'exprime pas l'essence de l'investiture féodale mais qu'elle est un simple moyen d'exposer plus clairement l'hypothèse que je forme quant à l'interprétation de la symbolique de l'investiture féodale. De même que les chrétiens sont devenus membres de la famille chrétienne par le baptême, de même sont devenus des fidèles –  fidèles donc chrétiens –, les vassaux devenus membres de la famille seigneuriale par l'investiture sont devenus des fidèles –  Fidèles donc Vassaux.

 

APPENDICES

 

I. Listes d'objets symboliques

 
A. Les objets symboliques du système vassalique selon Du Cange (art. Investitura) :

1) Per cespitem (motte de gazon)

2) Per herbam et terram

3) Per ramum et cespitem

4) Cum rano et guasone (vel wasone)

5) Per guazonem, andelaginem et ramos de arboribus

6) Per baculum

7) Per bacculum et annulum

8) Per fustem

9) Cum ligno

10) Per cultellum

11) Per cultellum plicatum (incurvatum)

12) Per amphoram (pleine d'eau de mer, Charte d'Otton III)

13) Per annulum

14) Per beretam et beretum

15) Per berillum (bésicle, brille, textes des XIV-XVe siècles)

16) Per bibliothecam (Biblia)

17) Per calicem

18) Per cambutam (crosse) episcopi (pour l'investiture d'un abbé)

19) Per candelabrum

20) Canum venationum apprehensione

21) Per capillos capitis

22) Per chartam super altare

23) Per chirothecam (gant)

24) Per claves ecclesiae

25) Per clocas ecclesiae

26) Per coclear de turibulo (cuiller d'encensoir)

27) Per colonnam

28) Per coronam

29) Per cornu (corne à boire)

30) Per corrigiam (ceinture)

31) Cum crocia abbatis

32) Per capellum prioris

33) Per cupam auream

34) Per cultrum, vel cultellum

35) Per communionem

36) Per denarios

37) Per digitum vel digito

38) Per dextrum pollicem

39) Per elemosynariam, hoc est marsupium

40) Per ferulam pastoralem

41) Per floccilum capillorum

42) Per folium

43) Per folium nucis

44) Per forfices (ciseaux)

45) Per fossilem chartae inhaerentem (fusciola, ruban)

46) Per funes seu chordas campanarum

47) Per furcam lignean

48) Per gantum

49) Per gladium

50) Per grana incensi

51) Per haspam (gond de porte ?)

52) Per hastam

53) Per herbam et terram

54) Per juncum

55) Per lapillum (borne)

57) Per librum

58) Per librum manualem

59) Per librum missalem

60) Per librum collectarium (collectaire)

61) Per librum evangeliorum et calicem

62) Cum libro regulae et cum regula

63) Per lignum

64) Per linteum (chemise)

65) Per lini portiunculam

66) Per malleolum (jeune plant, jeune vigne, mailhol)

67) Per manicam (gant)

68) Per mappulam (mouchoir)

69) Cum marmore

70) Per particulam marmoris

71) Per marsupium de pallio (bourse de drap ou de soie)

72) Per martyrologium

73) Per unam mitram

74) Per nodum (le nœud d'un ordre de chevalerie sicilien, 1352)

75) Per notulas (chartes)

76) Per osculum

77) Per ostium domus

78) Per palam (nappe d'autel ?)

79) Per pallium seu pallam

80) Per panem et librum

81) Per pannum sericum

82) Cum penna et calamario (encrier)

83) Per pergamenum

84) Cum duobus phylacteris

85) Per pileum (bonnet phrygien)

86) Per pisces

87) Per pollicem

88) Per psalterium

89) Per ramum filgerii (fougère)

90) Per regulam

91) Per sceptrum

92) Per scyphum (coupe)

93) Per spatae capulum (poignée ? d'épée)

94) Per tellurem

95) Per textum evangelii

96) Cum veru (pieu aiguisé, fer pointu emmanché au bout d'un long bâton)

97) Per vexillum

98) Per virgam vel virgulam

à quoi il faut ajouter manu et per manum, ce qui fait la centaine.

N.B. – A la critique que j'ai adressée à la typologie qui sous-tend cette liste si remarquable et si suggestive j'ajouterai que, pour des raisons qui tiennent aussi bien à la nature de ses sources qu'à sa conception de la société médiévale, Du Cange a emprunté beaucoup d'exemples aux investitures ecclésiastiques qu'il faut à notre avis, malgré d'évidentes et significatives contaminations, distinguer, tout comme les rites royaux de couronnement, des rites vassaliques proprement dits. De même il s'hypnotise trop, me semble-t-il, sur le baculus et les symboles de commandement. Sans bien faire lui non plus ces distinctions, Von Amira dans son justement célèbre article rend évident que le symbolisme du bâton se retrouve dans des sociétés et des rites très différents. Ici l'analyse ethnohistorique permet de distinguer ce que l'histoire et le droit érudits traditionnels ont trop tendance à confondre. L'originalité de la vassalité médiévale occidentale – replacée dans un contexte comparatiste large – n'en ressort que mieux.

 
B. Les objets symboliques dans les contrats d'après M. Thévenin, op. cit., p. 263-264.
 

Symboles juridiques employés dans la formation des contrats, dans la procédure, etc.

C. Schéma du système symbolique féodo-vassalique

II. A propos de festuca

 

A la suite de ma leçon de Spolète et de la discussion j'ai reçu de M. Alessandro Vitale-Brovarone de l'Istituto di Filosofia Moderna de la Facoltà di Magistero de l'Université de Turin une lettre intéressante qu'on trouvera reproduite dans les Settimane, XXIII, p. 775-777.

 

BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

 

A. Documents.

 

Du Cange, Glossarium mediae et infimae latinitatis, 1678, Articles Festuca et Investitura.

Thévenin (M.), Textes relatifs aux institutions... mérovingiennes et carolingiennes, 1887, notamment liste de symboles p. 263-264. Lex Salica, XLVI ; Lex Ripuaria, XLVIII ; d. Rotharii, 157, 158, 170, 172 ; d. Liutprandi, 65.

 

B. Études générales sur la vassalité.

 

Boutruche (R.), Seigneurie et féodalité, 2 vol., Paris, 1968 et 1970.

Fasoli (G.), Introduzione allo studio del feudalesimo italiano in Storia

medievale e moderna, Bologne, 1959.

Ganshof (F. L.), Qu'est-ce que la féodalité ? Bruxelles, 3e éd. 1957.

Grassotti (M.), Las instituciones feudo-vasalláticas en León y Castilla, t. 1 Cap. Seg. Entrada en Vasallaje, p. 107 sqq.

Mor (G.), L'età feudale, t. II, Milan, 1952.

Ourliac (P.) et De Malafosse (J.), Droit romain et Ancien Droit, t. I, Les Obligations, Paris, 1957.

Mitteis (H.), Lehnrecht und Staats geivalt, Weimar, 1933.

 

C. Études particulières.

 

Amira (K. von), « Der Stab in der germanischen Rechtsymbolik », in Abhandlungen der Kg. Bayerischen Akademie der Wissenschaften, Philologische und historische Klasse, 35, Munich, 1909.

Bloch (M.), « Les formes de la rupture de l'hommage dans l'ancien droit féodal », in Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1912. Repris in Mélanges historiques, I, Paris, 1963, 189-209.

Chénon (E.), « Recherches historiques sur quelques rites nuptiaux », in Nouvelle Revue historique de droit français et étranger, 1912.

Chénon (E.), « Le rôle juridique de l'Osculum dans l'ancien droit français », in Mémoires de la Société des Antiquaires de France, 8e série, 6, 1919-1923.

Moeller (E. von), « Die Rechtssitte des Stabsbrechens », in Zeitschrift der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte, G.A., XXI, 1900.

 

D. Comparatisme.

 
1. Féodalités historiques.

Coulborn (R.), éd. Feudalism in History, Princeton, 1956 (notamment Bodde (D.), Feudalism in China, 49-92). 2. Féodalités africaines.

Fortes (M.), « Of installation ceremonies », in Proceedings of the Royal Anthropological Institute..., 1967 (1968), 5-20.

Fortes (M.) et Evans-Pritchard (E. E.), éd. Systèmes politiques africains, trad. franç., Paris, 1964.

Maquet (J.), Pouvoir et société en Afrique. Paris, 1970.

Maquet (J.), Systèmes des relations sociales dans le Ruanda ancien, Tervuren, 1954.

Maquet (J.), « Une hypothèse pour l'étude des féodalités africaines », in Cahiers d'Études africaines, II, 1961, p. 292-314.


1 Casus S. Galli, c. 16, éd. von Arx in MGH. SS. t. II, p. 141 cité et traduit par R. Boutruche, op. cit., p. 367.

2 Cf. notamment C. Duby, L'An Mil, Paris, 1967.

3 J'ai touché au problème de la société tripartie au Moyen Age en m'inspirant des travaux lumineux de G. Dumézil dans une « Note sur société tripartie, idéologie monarchique et renouveau économique dans la Chrétienté du IXe au XIIe siècle », in l'Europe aux IXe-XIe siècles (colloque de Varsovie, 1965), éd. A. Gieysztor et T. Vanteuffel, Varsovie, 1968, p. 63-71. G. Duby a abordé ces problèmes de façon approfondie dans un cours au Collège de France et prépare un ouvrage sur ce sujet.

4 Cf. p. 375 sqq.

5 M. Bloch, toe. cit., dans la Bibliographie sommaire. Appendice p. 421.

6 Bien entendu – sans entrer dans l'analyse du problème – comme j'estime très importante la conscience ou la non-conscience qu'a une société d'elle-même, j'ai soigneusement recherché – et indiqué ici – les témoignages de perception du système symbolique de la vassalité que les hommes du Moyen Age – en tout cas les clercs qui le décrivaient – pouvaient avoir.

7 E. Chénon, toc. cit., p. 130 sqq. « En second lieu, l'osculum servait à opérer une renonciation à des droits litigieux ; il était alors un symbole de déguerpissement (guerpitio). »

8 Je crois qu'E. Chénon est tombé dans l'erreur de chercher à un même symbole le même sens symbolique au lieu de respecter la polysémie des symboles quand il écrit : « Quelle que fût la forme du rite et quel que fût le sens du symbole : confirmation, déguerpissement, tradition, il est possible de le ramener à une même idée : l'idée que la situation créée par le contrat à la suite duquel l'osculum intervient sera respectée... C'est l'idée qui ressort des mots osculum pacis et fidei qui se rencontrent souvent dans les chartes. » (« L'osculum en matière de fiançailles. Recherches historiques sur quelques rites nuptiaux », extrait de la Nouvelle Revue historique de Droit français et étranger, Paris, 1912, p. 136).

9 Du Cange, Glossarium, art. Investitura, col. 1520.

10 M. Thévenin, Textes relatifs.., p. 263-264. Cf. Bibliographie sommaire, infra, p. 418-419.

11 Simboli e Simbologia... Settimane... XXIII, Spolète, 1976.

12 J.-F. Lemarignier, Recherches sur l'hommage en marche et les frontières féodales, Lille, 1945.

13 R. Boutruche, op. cit., p. 368.

Galbert écrit : « Non. aprilis, feria tertia Aqua sapientiae, in crepusculo noctis, rex simul cum noviter electo consule Willelmo, Flandriarum marchione, Bruggas in subburbium nostrum venit... Octavo idus aprilis, feria quarta, convenerunt rex et cornes cum suis et nostris militibus, civibus et Flandrensibus multis in agrum consuetum in quo scrinia et reliquiae sanctorum collatae sunt... Ac deinceps per totum reliquum dies tempus hominia fecerunt consuli illi qui feodati fuerant prius à Karolo comite piisimo... » (éd. H. Pirenne, p. 86-89). La cérémonie a lieu in agro consueto à la fois pour respecter la coutume, accueillir la foule, et particularité flamande, associer les bourgeois. Les reliques qu'on apporte sacralisent le lieu.

14 Notons que ce déplacement du vassal a lieu aussi dans le cas de la sortie de vassalité. Dans le récit de Galbert de Bruges sur l'exfestucatio d'Iwan d'Alost étudié par Marc Bloch le notaire brugeois note : « Illi milites... sese et plures alios transmiserunt consuli Willelmo in Ipra, et exfestucaverunt fidem et hominia... »

15 Par exemple, la charte de 1123 citée supra n. 3 conservée dans le cartulaire de Saint-Nicolas d'Angers. « De hoc dono revistivit Quirmarhocus et duo filii ejus Gradelonem monachum S. Nicolai cum uno libro in ecclesia S. Petri Nannetensis... librum quoque quo revestierunt monachum posuerunt pro signo super alture S. Petri. » Dans une charte de Robert, duc de Bourgogne, de 1043 : « Hune oblationis chartam, quam ego ipse legali consessione per festucam, per cultellum, per wantonem, per wasonem super altare, posui, ... » (Du Cange, toc. cit., col. 1525).

16 Par ex. « Hanc concessionem fecit Dominus Bertrandus in aula sua, et pro intersigno confirmationis hujus eleemosynae, tradidit quendam baculum, quem manu tenebat, Armando priori Aureae Vallis » (Charte de Bertrand de Moncontour, citée par Du Cange, toc. cit., col. 1525). En 1143 le don de plusieurs manses fait par la vicomtesse de Turenne au monastère d'Obazine a lieu dans la grande salle du château de Turenne « Hoc donum factus fuit in aula Turenensi... » (E. Chénon, toc. cit., p. 133, n. 2).

17 Par exemple dans une charte de Marmoutier (Du Cange, col. 1530) : « Quod donum... posuit super altare dominicum per octo denarios, in praesentia multorum. » Parfois la fonction de témoignage, de garants de la mémoire collective est expressément reconnue aux assistants : par exemple, dans cette charte du monastère de Marmoutier citée par Du Cange, toc. cit., col. 1536 : « Testes habuimus legitimos, qui omni lege probare fuerunt parati, quod Hildegardis ad opus emerit, et per pisces ex ejus piscaria investituram de derit in vito sua monachis Majoris Monasterii. »

18 Chr. Walter, L'Iconographie des conciles dans la tradition byzantine, Paris, 1970.

19 Dans une charte de Marmoutier c'est l'abbé du monastère qui est cité comme principal (et suffisant) témoin : « Quodam fuste, qui apud nos nomine ejus inscriptus servatur in testimonium, praesente Abbate Alberto, fecit guerpitionem » (Du Cange, toc. cit., col. 1521).

20 J. Maquet, op. cit., p. 195.

21 Les actes ne donnent guère comme indication que la génuflexion du vassal dans la phase de l'hommage : par exemple dans un acte de Rabastens du 18 janvier 1244 cité par E. Chénon, toe. cit., p. 142, n. 3 : « et inde vobis homagium facio, flexis genuis... », c'est le seul détail que donne Guillaume Durand dans le Speculum juris, 21 partie, IV, 3, 2 n. 8 : « Nam is qui facit homagium, stans flexis genuis... » Stans paraît indiquer que le seigneur, comme on pouvait le penser, est, lui, assis.

22 E. Chénon, toc. cit., p. 132-133. « Enfin, ce qui est plus curieux et aussi plus rare, l'osculum pouvait servir à opérer une tradition ; il remplaçait alors l'objet symbolique qu'on pouvait ne pas avoir sous la main. » S'agit-il bien de cela ?

23 Du Cange donne quelques exemples de conservation d'objets symboliques d'investiture, par exemple à propos d'une donation « Facto inde dono per zonam argenteam, ab altari in armario S. Petri repositam... » (loc. cit., col. 1521). Il cite Wendelin dans son Glossaire : « Hujusmodi cespites cum sua festuca multis in Eclessiis servantur hactemus, visunturque Nivellae et alibi... » Il déclare avoir vu lui-même dans les archives de Saint-Denis, grâce à Mabillon, plusieurs chartes munies d'objets symboliques (cf. infra, n. 122) : « complures chartas, in quarum imis (limbis intextae erant festucae, vel certe pusilla ligni fragmenta » (ibid., col. 1522).

24 Du Cange, à propos de la festuca brisée, rappelle la stipulatio romaine et cite Isidore de Séville (Origines, liv. III) : Veteres enim quando sibi aliquid promittebant, stipulam tenentes frangebant, quam iterum jungentes sponsiones suas agnoscebant (Glossaire, art. Festuca, col. 411). Je ne suis pas sûr que le bris du fétu (ou du couteau) soit, comme une charte-partie, destiné à fournir deux morceaux dont chaque contractant doit conserver l'un.

25 F. L. Ganshof, op. cit., p. 143-199.

26 F. Joüon des Longrais, L'Est et l'Ouest, Institutions du Japon et da l'Occident comparées (six études de sociologie juridique), Tokyo, 1958. On trouvera les titres d'autres travaux en langues occidentales consacrés à la « féodalité » japonaise dans R. Boutruche, op. cit., t. 1, p. 463-464.

Il me semble que Marc Bloch et Robert Boutruche notamment ont accordé une importance à la fois trop grande et trop exclusive au cas japonais dans leurs perspectives comparatives.

27 Je remercie Marc Augé qui m'a fourni d'utiles références dans le domaine africaniste.

28 H. Maspéro, « Le régime féodal dans la Chine antique », in Recueils de la Société Jean Bodin, I, Les liens de vassalité et les immunités (1935), 1936, 2e éd. Bruxelles, 1958, p. 89-127. Il est question du recueil de Li-Ki à la page 91.

29 Ibid., p. 94-95.

30 D. Bodde, « Feudalism in China », in R. Coulborn éd. Feudalism in History, Princeton, 1956, p. 49-92.

L'auteur cite un travail en chinois de Ch'i Ssu-ho. « Investiture ceremony of the Chou period », in Yenching. Journal of Chinese Studies, no 32, juin 1947, p. 197-226 que je n'ai évidemment pas pu consulter.

31 Ibid., p. 56.

32 Ibid., p. 61.

33 Ibid., p. 51.

34 Cf. l'intéressante note de T. Wasowicz présentée dans le cadre de cette settimana. »

35 Beattie (J. H. M.), « Rituals of Nyoro Kingship », in Africa – Journal de l'Institut international africain, vol. XXIX, no 2, année 1959, p. 134-145 ; Chilver (E.M.) « Feudalism in the Interlacustrine Kingdoms » in East African Chiefs, éd. A. Richards, Londres, 1960 ; Fortes (M.), « Of installation ceremonies », in Proceedings of the Royal Anthropological Institute of Great Britain and Ireland for 1967 (1968), p. 5-20 ; Lukyn Williams (F.), « The Inauguration of the Omugabe of Ankole to Office » in Uganda Journal, IV, 1937, p. 300-312 ; Oberg (K.), « Le royaume des Ankole d'Ouganda », in Systèmes politiques africains, éd. M. Fortes et E. E. Evans-Pritchard, op. cit; Richards (A. P.), « Social Mechanisms for the transfer of Political Rights in some African Tribes », in Journal of the Royal Anthropological Institute..., 1960, p. 175-190 ; Snoxall (R. A.), « The Coronation Ritual and Customs of Buganda », in Uganda Journal, vol. IV, no 4, 1937, p. 277  288 ; Tawney (J. J.), « Ugabire : A Feudal Custom amongst the Waha », in Tanganyika Notes and Records, no 17, 1944, p. 6-9. K. W., « The Procedure in Accession to the Throne of a Nominated King in the Kingdom of Bunyoro-Kitara », in Uganda Journal, vol. IV, 1937, p. 289-299.

Mon objet n'étant pas le féodalisme, je n'ai pas utilisé le livre justement classique de J. F. Nadel, A Black Byzantium, Londres, 1942 (trad. franç., Byzance noire, Paris, 1971), ni les premiers travaux de J. Maquet, Systèmes des relations sociales dans le Ruanda ancien, Tervuren, 1954, et une hypothèse pour l'étude des féodalités africaines in Cahiers d'Études africaines, II, 1961, p. 292-314, ni les travaux de J. Lombard sur une société « de type féodal », les Banba du Nord-Dahomey, ni la communication de I. I. Potekhin, On feudalism of the Ashani au XVe Congrès international des Orientalistes, Moscou, 1960. Je suis en communauté de vues avec le bel article de Jack Goody, « Feudalism in Africa ? » in Journal of African History, 1963, p. 1-18, notamment quand il écrit : 1) « I could see no great profit (and possibly some loss) in treating the presence of clientship or fiefs as constituting a feudality... There seems even less to be gained from the view which sees African societies as feudalities on the basis of wides political or economic critera... ». 2) « To suggest that there appears little to be gained by thinking of African societies in terms of the concept of “Feudalism” implies neither a rejection of comparative work that European medievalists can wake to the shedy of African institutions... While the reverse is perhaps even more true [c'est moi qui souligne], Africanists certainly have something to learn from the studies of medieval historians. » Mais si je suis d'accord avec lui pour parler en termes comparatifs non de « féodalisme » mais d'analyser dans la perspective comparatiste des institutions particulières, il me semble que, pour mon sujet, le rituel symbolique du système féodo-vassalique, les points de comparaison dans le domaine africaniste sont rares, les rituels étudiés étant surtout des rituels royaux. Mais je veux encore souligner avec Jack Goody que si l'on pense a priori que « institutions defy comparison because of their uniqueness » (ibid., p. 2) on appauvrit singulièrement la recherche en sciences de l'homme, histoire comprise.

36 M. Fortes, « Of installation ceremonies », toc. cit., p. 7.

37 A. I. Richards, toc. cit., p. 183.

38 Ibid.

39 M. Fortes, « Of installation ceremonies », toc. cit., p. 7.

40 Ibid., p. 8.

41 M. Fortes par exemple, commentant le couronnement de la reine d'Angleterre, Elizabeth II, est amené à rapprocher l'hommage qui suivit la cérémonie de « the homage of the “magnates with the feudal kiss” » qui « served to dramatise her sovereign supremacy » d'après l'ouvrage de P.E. Schramm – qui ouvrit par ailleurs tant de pistes fécondes aux médiévistes, A history of the English coronation, Oxford, 1937, p. 147.

42 L'essai suggestif de G. Balandier, Anthropologie politique, Paris, 1967, ne tient peut-être pas assez compte de ce risque.

43 J. Maquet, op. cit., p. 194.

44 J. J. Tawney, toc. cit., cf. note 109.

45 Ibid., p. 7.

46 K. Oberg dans son article « Le royaume des Ankole d'Ouganda », cité supra, n. 109 donne d'intéressantes indications concernant la rupture d'un rapport qu'il appelle de clientèle, l'okoutoiz ha « un possesseur de bétail mouhina se rendait devant le Mongabe ou roi et jurait de le suivre à la guerre. Afin de garder ce lien vivant, il s'engageait à donner périodiquement au Mongabe un certain nombre de têtes de bétail. D'un autre côté, le refus du client d'accorder son hommage, omoutoizha, pouvait briser la relation de clientèle. Ce moyen de mettre fin à la relation était parfaitement reconnu. Ce n'était que lorsqu'un grand nombre de Bahima agissaient ensemble de cette façon pour défier le roi plus efficacement que cet acte était considéré comme un acte de rébellion. Même dans ce cas, si les rebelles recommençaient à rendre hommage, ils étaient pardonnés » (p. 113). Malheureusement l'auteur ne décrit pas les rites auxquels ces diverses pratiques d'une même institution devaient donner lieu.

47 F. Joüon des Longrais, « Les moines de l'abbaye Saint-Mélaine de Rennes en Angleterre. Les chartes du prieuré d'Hatfield Regis », in Mémoires et Documents publiés par la société de l'École des Chartes, t. XII = Recueil des travaux offerts à M. Clovis Brunel, Paris, 1955, p. 31-54.

48 Voici le court texte de cet acte (ibid., p. 52) : « Per istum cultellum feoffavit Albericus de Veer primus ecclesiam de Hatfeld Regis monachorum de duabus partibus decimarum de dominico Domini Reginaldi filii Petri in Uggeleya die Assumpcionis beate Maris Virginis, pro animabus antecessorum et successorum suorum. Anno... » Je remercie M. Berlioz qui m'a communiqué des photos de quelques objets-symboles (ils semblent rares) encore conservés aujourd'hui.

49 Giorgi et Beltrani, Regesto di Farfa, t. II, p. 37, no 165.

50 Cf. n. 10.

51 Une preuve de ce que par exemple l'investiture à l'aide d'un objet symbolique était un rite étranger au christianisme me paraît fournie par cette charte de 993 concernant la Belgique citée par Du Cange (loc. cit., col. 1523) : « Mox post haec subsequenti die, ut firmius et stabilius esset, infra terminum praedicti comitatus, in villa quoque Thiele nuncupata, eisdem praenominatis testibus et aliis nonnullis astantibus, sine alicujus retractatione cum ramo et cespite jure rituque populari, idem sancitum est, rationabiliterque sancitum. » Populaire est quasi-synonyme de païen, ici.

52 G. Duby, « La féodalité ? Une mentalité médiévale », in Annales E.S.C., 1958, p. 765-771, repris dans Hommes et Structures du Moyen Age, Paris-La Haye, 1973, p. 103-110. C. Duby, qui réagit à juste titre contre les conceptions trop juridiques de la féodalité et invite à l'histoire pionnière des mentalités, a montré dans le reste de son œuvre qu'il ne réduit pas la féodalité à un phénomène de mentalité.

53 Je pense en particulier à Marc Augé et à Maurice Godelier, en France. Cf. par exemple, Cl. Lévi-Strauss, M. Augé et M. Godelier, « Anthropologie, Histoire, Idéologie », in L'Homme, XC (3-4), juil.-déc. 1975, p. 177-188.