L'amour de Staline

Pour comprendre la profondeur de l'éducation historique et physique dont vient un Poutine (ou le suivant, ce sera pareil), il faut lire l'extraordinaire lettre inédite de Boukharine à Staline, datée du 10 décembre 1937, juste avant son exécution5.

« Je n'ai pas une once de ressentiment. Je ne suis pas un chrétien. Certes, j'ai mes étrangetés. Je considère que je dois expier pour ces années durant lesquelles j'ai réellement mené un combat d'opposition contre la ligne du Parti. » Plus loin : « Cet épisode me tourmente, c'est le péché originel, c'est le péché de Judas. » Plus loin : « Pardonne-moi, Koba, je ne peux pas me taire sans te demander pardon. » Plus loin : « Il n'y a plus d'ange qui puisse détourner le glaive d'Abraham ! Que le Destin s'accomplisse ! » Plus loin : « Je me prépare intérieurement à quitter cette vie, et je ne ressens envers vous tous, envers le Parti, envers notre Cause, rien d'autre qu'un immense amour sans bornes. » Enfin : « Ma conscience est pure devant toi, Koba. Je te demande une dernière fois pardon (un pardon spirituel). Je te serre dans mes bras, en pensée. Adieu pour les siècles des siècles, et ne garde pas rancune au malheureux que je suis. »

Boukharine supplie Staline de lui octroyer de la morphine pour mourir. Il propose même, si on lui laisse la vie sauve, de « lutter à mort », en exil, contre les trotskistes et les anarchistes. Nous sommes alors en pleine guerre d'Espagne.

Pas « chrétien », Boukharine ? Mais qu'y a-t-il de plus violemment chrétien retourné que ces histoires de « Parti » ? Le pire des crimes n'est-il pas de forcer des victimes à adorer leurs bourreaux ? On l'a encore vu récemment, à Cuba, lors du procès Ochoa. Oui, le pire des crimes : abaisser un être humain jusqu'à ce qu'il réclame l'expiation de sa prétendue faute. Staline ou Castro déguisés en Abraham, il me semble difficile d'aller plus loin dans l'abjection. Mais on en apprendra d'autres, les archives s'entrouvrent à peine.

26/12/1999