Toujours Joyce
Rien de plus reposant, pour combattre le bavardage universel, que de lire des auteurs réputés difficiles. Quelle musique, quel silence, quelle souplesse, quel bain de clarté. Obscur, Joyce ? Allons donc. Deux ou trois pages de Finnegans Wake9, et la journée est gagnée. Vous n'entendrez aujourd'hui que des rengaines : obsessions monétaires, litanies psychologiques, médisances, calculs, glissements de pouvoirs. Vous ouvrez Joyce, et ce tourbillon de bêtise et de méchanceté devient aussitôt comique, émouvant, pardonnable. Joyce était un très bon chanteur, les lectures qu'il a faites d'Ulysse et de Finnegans Wake le prouvent. Il est aérien, lyrique, cocasse, tendre, chuchotant, pluriel. Il est donc logique que dans le flot de la grosse marchandise du livre il garde la réputation d'un terroriste dissous dans des études universitaires incessantes. Ainsi, John Irving, dans Libération : « Ulysse, c'est de la merde. J'ai lu ça avec intérêt à l'université, mais j'ai terminé mes études, Dieu merci. Je ne suis plus étudiant. » Irving écrit de gros livres à succès, son propos rappelle étrangement ceux des staliniens traitant Joyce, le merveilleux et printanier Joyce, de réactionnaire ou de bourgeois. Il est vrai que l'auteur d'Ulysse avait l'habitude de dire que l'Histoire était un cauchemar dont il essayait de s'éveiller. L'empire Leymarché-Financier ne tient pas à ce que qui que ce soit se réveille. Pourtant, une fois que c'est fait, c'est fait.
26/03/2000