Génome
La proposition japonaise consiste à étudier sur moi en laboratoire le gène éventuel du talent littéraire. Il y aurait des examens à subir. C'est normal : l'homme est désormais un livre ouvert, c'est la ruée vers le décryptage de ses trois milliards de signaux par corps. Je veux me faire séquencer. Il n'est pas exclu qu'on puisse tirer de moi une thérapie contre le manque d'imagination romanesque, la pauvreté du style et autres inhibitions à la création. À propos de la percée scientifique dans le génome humain, Libération a titré un de ses articles « On a le livre, reste à le déchiffrer ». Eh bien, je suis volontaire. Qu'on me déchiffre enfin. J'en ai plus qu'assez d'être incompréhensible. Comme j'apprends en même temps, ou presque, que la dernière particule élémentaire, le neutrino-tau, a été enfin captée, je pense qu'il y a lieu d'être modérément optimiste. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles, et c'est d'ailleurs ce que les médias me répètent chaque jour. Bien entendu, je regrette que les otages des Philippines ne soient toujours pas libérés, je déplore les nouveaux massacres en Algérie, je frémis devant la colère irresponsable des ouvriers licenciés de Cellatex, mais rien ne peut me faire démordre de ma bonne humeur. Mon génome est dans de bonnes mains. Peut-être pourra-t-on tirer de moi, au Japon, un produit d'accélération rythmique. Il n'y a pas que le sumo, que diable. J'ai écrit à l'Élysée et à Matignon pour demander de favoriser l'expérience. La découverte d'un gène français unique décuplant le génie littéraire n'est quand même pas rien. Pour l'instant, pas de réponse. Mais je suis serein. Mon mauvais dossier, établi par des jalousies réactionnaires malveillantes, sera réexaminé. J'ai confiance.
30/07/2000