Chirac et Rimbaud
L'actuel président de la République a surpris tout le monde en trouvant la cassette Méry « abracadabrantesque ». Le mot a couru partout, belle trouvaille, trait de génie. Il a fallu un peu de temps pour retrouver le mot dans un poème très étrange de Rimbaud, Le Cœur du pitre, écrit en mai 1871.
« Ô flots abracadabrantesques,
Prenez mon cœur, qu'il soit sauvé !
Ithyphalliques et pioupiesques
Leurs insultes l'ont dépravé ! »
Faire surgir un poème de Rimbaud écrit pendant la Commune de Paris, peu avant la Semaine sanglante, voilà la force de la cassette. Voyons les faits : Rimbaud, très beau garçon ultérieurement convoité avec frénésie par Verlaine, tombe à la caserne de Babylone, à Paris, sur des communards ivres. L'expérience « ithyphallique » a lieu (un viol évident) et cela, non sans humour, lui soulève le cœur. D'où l'appel aux flots purificateurs « abracadabrantesques ». On sait, grâce aux recherches sur Rimbaud, que ce dernier avait glissé, enfant, dans son cahier de grammaire, un signet recouvert du triangle magique Abracadabra, en notant sur le papier : « pour préserver de la fièvre ». Le Président était-il ithyphallique en apprenant le contenu de la cassette ? Son expérience militaire lui est-elle revenue à l'esprit ? A-t-il voulu se préserver de la fièvre ? Je n'affirmerai rien, je n'attaque la santé de personne. La rumeur prétend que Villepin étant poète, c'est lui qui aurait soufflé le mot au Président. Mais non, le Président se récite souvent du Rimbaud, me dit quelqu'un de bien informé. Abracadabra, en tout cas, peut toujours servir, notamment s'il s'agit d'exorciser les fantômes de la République. Il faut que j'en parle à Jospin. Ses discours pourraient être plus insolites, plus conjuratoires, plus magiques, plus poétiques. Qu'on ne me dise pas, en tout cas, que la politique, par cassettes interposées, ne mène pas à la littérature. Voilà une preuve, et ce n'est qu'un début. Je compte d'ailleurs enregistrer bientôt, en Suisse, un lot de cassettes où je dirai tout, vraiment tout, sur l'envers de l'histoire contemporaine. Document posthume, évidemment. J'attends l'accord de Bernard Pivot pour la mise en scène. Le titre est tout trouvé : Tourbillon de culture. Ça décoiffera, vous verrez, j'en ris déjà dans l'au-delà. Je ferai lire quelques documents effarants par Christine Angot. Ah, la fête !
01/10/2000