Encore le pape
Il fait beau, ce matin-là, sur la place Saint-Pierre de Rome. Soixante-dix mille pèlerins de tous les pays attendent Jean-Paul II. On parle français, anglais, allemand, espagnol, portugais, italien bien sûr, mais aussi beaucoup polonais. Pas mal de Japonais, des Chinois interloqués, des Africains joyeux, des Indiens, des Hollandais, des Américains, des Canadiens, des Belges.
Le pape arrive en voiture découverte, très fatigué, l'air de souffrir intensément. Il bénit tout le monde, s'assoit, récite la même homélie de cinq minutes en sept langues. Les Polonais, comme d'habitude, agitent leurs drapeaux et font un bruit d'enfer. Puis ce sont les audiences en plein air. Les cardinaux se lèvent un à un, vont vers le pape, lui chuchotent des choses à l'oreille. Au suivant. Cette fois, c'est mon tour. Je lui donne le livre sur Dante que je viens de publier19, je lui rappelle le roman où je parlais de l'attentat dont il a été victime ici même20, il y a vingt ans. Il prend le volume, me regarde fixement, et, à ma grande surprise, étend son bras droit sur mon épaule gauche, ce qui peut vouloir dire à la fois « oui, bon, ça va » et « très bien, continuez, bonne chance ».
Dante assistait, en 1300, au jubilé de Boniface VIII (qu'il met d'ailleurs en enfer). Ce pape polonais, lui, est encore là en 2000, est allé à Jérusalem se repentir de l'aveuglement catholique sur le peuple biblique, a échappé au coup de revolver soviétique à travers un Turc, et tient toujours debout malgré la fatigue. Les évêques et les cardinaux, dit-il, peuvent remettre leur démission à un supérieur, mais moi, à qui la remettre ? Et aussi : « Que ferait-on d'un ex-pape ? » Courage, sacré vieil homme blanc.
29/10/2000