Lessive

Vais-je vraiment m'intéresser à l'« Angolagate » ? Le trafic d'armes est-il ma spécialité ? Non, bien sûr, mais je finis par trouver touchant ce fils de François Mitterrand, lequel, Président, écoutait à peine, il y a quelques années, ses interlocuteurs slovènes hostiles à Milosevic. Serbie, sombre passion russe d'autrefois. Régis Debray était récemment à Ljubljana : on lui cite mon nom, il fait une moue dégoûtée, et lâche : « Ah non, nous n'allons pas parler du marquis de Sollers ! » Il est lui aussi touchant, Debray, avec ses appels aux intellectuels sérieux, son plan de remise au travail générale. On sent qu'il prendrait volontiers la direction d'un camp de rééducation, qu'il rêve d'un monde redevenu scolaire. Casanova ? Ah non, vous plaisantez, pourquoi pas Sade tant que vous y êtes ? Vous voulez revenir à l'Ancien Régime, aux rois, au pape ? Le pauvre « Papa-m'a-dit », lui, a plutôt l'air d'un vieil adolescent perdu dans le noir. On le libère sous caution, tant mieux, circulez, ce n'est pas Paul-Loup Sulitzer, qui restera dans les bibliothèques, ni la future biographie de Laurent-Désiré Kabila.

Au fait, a-t-on retrouvé Alfred Sirven, le mystérieux fugitif de l'affaire Elf ? Toujours pas, comme c'est étrange. Vais-je alors me passionner pour le procès de Roland Dumas, lui aussi touchant, à force ? Chaussures, statuettes, frégates, appartements, putain de la République, ombres chinoises, il faudrait trois Casanova pour mettre un peu d'ordre dans ce bordel. Mais la mairie de Paris, dites-moi, ne vous branche pas ? L'arche de Noé de la droite va-t-elle flotter ou couler ? Séguin, Tiberi, Toubon, Pasqua, Villiers, Balladur vous laissent froid ? Vous préférez Delanoë, au nom prédestiné, pour sortir du déluge ? D'accord, tout cela n'a rien d'exaltant, pas plus que la controverse soulevée par l'attitude du Medef, mais la vraie vie, les vraies gens, le quotidien à répétition, c'est là l'horizon, rien d'autre.

Plus la mondialisation s'accroît, plus on regarde chez soi. L'année 2001, n'est-ce pas, doit être une année utile. On imagine le frisson de Baudelaire en entendant ce genre de formule. Ouvrons sa Correspondance, et ces Nouvelles Lettres, publiées il y a peu²³ : « Mon cher ami, par suite de mélancolie et de secousses, j'étais venu vous demander à dîner… » Ou bien : « Depuis quelque temps, je tombe le matin dans des léthargies… » Et surtout (1860) : « Il m'a toujours paru très inutile, pour ne pas dire pis, c'est-à-dire indécent, de faire servir l'imprimerie à des confidences. Je n'ai jamais eu la prétention de ne pas me contredire. Le seul orgueil que je me permette, c'est de m'appliquer à exprimer avec beauté n'importe quoi. » En écho, Flaubert : « Plus que jamais, je crois à l'exécration inconsciente du style. Quand on écrit bien, on a contre soi deux ennemis : primo le public, parce que le style le contraint à penser, l'oblige à un travail, et secundo le gouvernement, parce qu'il sent en vous une force, et que le Pouvoir n'aime pas un autre Pouvoir. »

28/01/2001