Génome
Je suis inquiet : avoir seulement treize mille gènes de plus que la mouche du vinaigre me paraît ridicule, vexant, énervant. Ce décryptage final du génome humain ne me dit rien qui vaille. Il n'y a que trois cents gènes de différence entre moi et la souris ? Je me sens fait comme un rat, je vais prendre la mouche. Certes, je suis rassuré d'apprendre que la génétique met fin au délire biologique raciste (lequel, increvable, continuera bien entendu sur d'autres bases), mais le plus dur m'attend : il faut que je me fasse à l'idée d'avoir moins de gènes que le riz, oui, le riz, qui en possède vingt mille de plus que le roseau pensant que je suis. Le riz ! Mais, bon dieu, voilà le péril jaune lui-même ! Est-ce vraiment un hasard si la Chine est couverte de rizières ? Si l'Asie tout entière se nourrit de riz ? Si le grain de riz pouvait parler, ne se montrerait-il pas supérieur à l'espèce humaine ?
Je crois me souvenir que « sperme », en chinois, s'écrit poétiquement avec des idéogrammes signifiant « riz bleu ». N'y a-t-il pas là une allusion étrange ? Mais non, encore un coup dur : le chromosome Y qui me spécifie comme masculin est, paraît-il, très pauvre en gènes. Il ne me reste qu'à me sentir très au-dessus du virus de la grippe (mille sept cent cinquante gènes seulement). Comme encouragement à me sentir le roi de la création, c'est peu.
Je me surprends, depuis quelques jours, à regarder la mouche d'un autre œil, à rêver de grandes étendues de riz sous le ciel. Je repense à cette formule anticipatrice de Lautréamont : « La mouche ne raisonne pas bien à présent. Un homme bourdonne à ses oreilles. » Bref, plus la science entre dans mon ADN, moins j'ai l'impression de dominer la situation. J'aimais bien la côte de bœuf : je m'en passe. Je m'étais rabattu sur le mouton : on m'en chasse. Le poisson est-il garanti ? Vais-je me concentrer uniquement sur le riz ?
25/02/2001