Frank
On célèbre Gide, on va redécouvrir l'insolent Morand, mais il ne faut pas manquer ce petit livre de Bernard Frank, Portraits et aphorismes25, fragments choisis dans son œuvre. Frank, au fond, est très gidien, c'est le regard de l'oncle ironique et précis sur la comédie sociale. Les vacheries de Frank sont aiguës et tendres. Je vais à la lettre S des portraits, et je lis, sur Sartre : « Sa mort avait commencé avant sa mort, quand il était devenu aveugle et qu'il servait d'homme-sandwich à des jeunes gens qui s'occupaient de mouvements plus ou moins révolutionnaires. » Sur Stendhal : « Stendhal est un gros garçon simple, un peu méchant comme tous les gens laids et qui parle avec naturel lorsqu'il n'essaie pas de faire le malin dans les rares salons où il est admis. »
Mais le meilleur portrait est à mon avis le Sollers : « C'est souvent ça, Sollers. Avec son entrain un peu factice, il gâche les bons sujets. » Et puis : « Un physique avantageux, une faconde bordelaise, des débuts foudroyants, de vieilles fées lourdes de gloire qui lui promettent monts et merveilles, et puis le jouvenceau écrit son second roman et on s'aperçoit qu'il n'avait rien à dire. » Encore : « Si Sollers tentait de réduire sa part de comédie, il écrirait d'une façon charmante. » Et encore : « Il y a toujours chez lui cette jactance de garçonnet, de petit coq, de minime qui sera peut-être demain l'une des étoiles du stade de Bordeaux. »
Tout cela est merveilleusement envoyé, et si j'étais Sollers, ce jouvenceau, ce garçonnet, ce petit coq, je ne saurais plus où me mettre. Outre la bienveillance, cachée sous la rosserie, pour ce gamin qui n'arrive pas à grandir, on remarquera l'attirance et même l'obsession pour Bordeaux. Quand je vous disais qu'en France tous les vrais complots viennent d'Aquitaine. Les cadets de Gascogne sont le sel du pays.
25/02/2001