Animaux

Dans la série des dévastations en cours, rien de plus frappant que les bûchers qui brûlent un peu partout pour conjurer l'épidémie de fièvre aphteuse. La campagne anglaise sous la fumée, les désinfections obligatoires, les vétérinaires débordés, les fermes mises en quarantaine, tout cela pourrait faire le début d'un roman de science-fiction. Le narrateur, venant d'une époque lointaine, avec, dans sa poche, les Fables de La Fontaine, se retrouverait dans un paysage apocalyptique, ne comprendrait rien à ce qui a lieu, se demanderait pourquoi les humains s'acharnent ainsi sur les vaches, les bœufs, les moutons, les porcs.

Combien de bêtes déjà abattues ? Cinq cent mille. Combien à l'avenir, un peu partout sur la planète ? Impossible à dire. Le mal s'appelle farine animale. Quelle idée, aussi, de nourrir les animaux d'eux-mêmes, la nature est dérangée, elle se venge, elle envoie, en avertissement, une peste nouvelle. Notre narrateur, Candide égaré dans les champs, se souvient que le livre qu'il transporte avec lui parle en effet d'« un mal qui répand la terreur/ Mal que le Ciel en sa fureur/ Inventa pour punir les crimes de la terre ». Les animaux ne meurent pas tous, mais tous sont frappés, les loups et les renards n'ont plus faim, les tourterelles se fuient, « plus d'amour, plus de joie ».

Candide relit Les Animaux malades de la peste. Le Lion tient conseil, il s'agit de trouver un coupable à la catastrophe. Chacun doit s'accuser. Lui-même a « dévoré force moutons », et parfois jusqu'au berger. Là-dessus, le Renard l'excuse. Le fait d'avoir mangé des moutons ou une canaille n'est pas un péché. « Vous leur fîtes Seigneur/ En les croquant beaucoup d'honneur. » Même indulgence pour les exactions du Tigre ou de l'Ours : responsables, peut-être, mais pas coupables. Le coupable, on le tient bientôt : c'est l'Âne qui a tondu d'un pré la largeur de sa langue. Un Animal Vert, en somme, un écologiste borné. Haro sur le Baudet ! À mort ! « Manger l'herbe d'autrui ! Quel crime abominable ! » Et ce sont les deux vers fameux : « Selon que vous serez puissant ou misérable/ Les Jugements de Cour vous rendront blanc ou noir. »

25/03/2001