Un éditeur
Je croisais souvent Jérôme Lindon, cet imperturbable jeune homme, le matin, très tôt, dans les rues. Il allait à son bureau à pied, j'allais dans l'autre sens pour écrire. On parlait sur le trottoir de ses obsessions apparentes : la librairie, le prêt payant en bibliothèque, le photocopillage. J'entends sa voix un peu nasale, je le revois aussi, aux Éditions de Minuit, sous le portrait de Samuel Beckett, l'œuvre de sa vie. Je n'ai jamais osé l'interroger sur sa traduction, autrefois, du prophète Jonas. J'aurais dû. Ce type était très mystérieux, finalement, une flamme, l'ironie même. Un souverain mépris pour la graisse, la bêtise et la lâcheté humaines. On dit maintenant partout du bien de lui, ça m'étonne. Personne n'a donc rien compris ? Ou bien si : hommage du vice à la vertu, coup classique.
29/04/2001