Claude Lanzmann
Le dernier film de Claude Lanzmann, Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, sortira en salle à la rentrée. Ne le manquez pour rien au monde. Vous y verrez un des témoignages les plus extraordinaires de tous les temps, celui de Yehuda Lerner qui, avec ses camarades, a pris part à la révolte des condamnés à mort de ce camp d'extermination nazi. Il est là, devant vous, en plan fixe. Il raconte ses évasions, les trains, l'usure des corps, l'horreur sous toutes ses formes. Il est calme, les yeux clairs, juste un petit tic au coin de la bouche. Il a participé à un complot minutieusement organisé pour tuer, le 14 octobre 1943, à partir de quatre heures précises, les gardes nazis qui se rendaient dans les ateliers du camp. Lerner avait seize ans, il n'avait déjà plus rien d'humain, dit-il. Mais enfin, lui et ses compagnons s'étaient procuré des haches sous prétexte de menuiserie. Il a donc, à cinq minutes d'intervalle, fendu le crâne de deux officiers qui ne se méfiaient pas, par principe, de ce ramassis de sous-hommes.
Au moment où il évoque son bond assassin, Lerner sourit, il est fier comme un enfant, il prend une dimension mythologique, il est très content de ce meurtre et de la vengeance ainsi perpétrée contre des tueurs mécaniques. C'est tout à coup un petit David sorti du néant pour frapper Goliath. Lanzmann, hors-champ, l'écoute, pose quelques questions. Lerner parle en hébreu, fume, une interprète traduit. Quelques paysages et seulement un visage. Une parole. Est-il juste d'éliminer brutalement des bourreaux ? Mais oui, bien sûr. Ce criminel par nécessité absolue est l'homme le plus rassurant du monde.
01/07/2001