Gênes

La sécurité, on devait en avoir la démonstration mondiale à Gênes. On a vu. Un mort, deux cents blessés, deux cent mille manifestants, des scènes incroyables de guérilla urbaine, dévastation de magasins, voitures qui brûlent, ce n'est plus le G8, c'est le G68. On connaissait Berlusconi comme grand entrepreneur de spectacles, mais là, vraiment, il s'est surpassé. Comme l'a dit sans rire un des membres de la nomenklatura bunkérisée, « c'était surréaliste ».

Vous ne connaissiez pas les Black Blocks, les Tutte Nere ? Vous ne saviez pas ce qu'est une TAZ, une zone d'autonomie temporaire ? L'Italie a une tradition de ce côté-là, on l'a vue resurgir. Quelle idée, aussi, de donner une représentation urbaine aussi provocatrice (à moins qu'elle n'ait été pensée justement pour cela). Les maîtres du monde arrivent pour bavarder entre eux, ils déclarent ouvertement : « La planète, c'est nous », ils attirent les manifestants comme l'aimant la limaille, boum, bravo, c'était très réussi.

Où mettre le G8 maintenant ? Dans un nid d'aigle ? Au Tibet ? Sur un paquebot ou un sous-marin, au large ? Dans une île (mais, pitié, pas l'île de Ré) ? Dans un super-Airbus en vol ? Chirac, cela ne vous a pas échappé, avait l'air plutôt gêné d'être à Gênes. On a cru comprendre que la mondialisation est inéluctable, mais qu'elle pourrait être plus humaniste. C'est la raison même. Mais le regard du Président était soucieux. Il ne semblait pas voir le monde, mais plutôt l'Île-de-France, ses marchés souriants, le bon vieux temps.

Bush, lui, ne doute de rien ; en voilà un que l'anarchisme ne préoccupe pas une seconde. Il embraie direct sur le pape, écoute poliment les remontrances de la vieille baleine blanche sur les expérimentations d'embryons et les exécutions de condamnés à mort, oui, oui, je vais y penser, cause toujours, tu m'intéresses. Après quoi il s'envole vers les Balkans, visite ses troupes en treillis, dicte ses ordres, et rentre à la Maison-Blanche. Les dirigeants du G8 sont des dieux. Les mortels, ou plus modestement les citoyens, pacifistes ou violents, le savent. Ils ont le droit de manifester, à leurs risques et périls, bien sûr. Comme le disait très bien Guy Debord : « Les salariés ont le droit de voter. »

29/07/2001