Voltaire
On me reproche, ici ou là, de m'être « réfugié » dans le XVIIIe siècle. Il s'agirait, selon certains, d'une démission devant l'étonnant prodige de la modernité. La musique techno vaudrait bien Mozart, et Robbe-Grillet aurait dépassé Balzac. Le cas de Robbe-Grillet est curieux : il a quatre-vingts ans, bon pied, bon œil, il parle avec enthousiasme de son pétainisme à l'âge de vingt ans, les Français, selon lui, étaient à 99 % pétainistes en 1940, ce qui réduit les familles de l'époque ayant un minimum de goût à 1 %. Cette proportion est-elle plus élevée aujourd'hui ? On l'espère, mais on en doute en constatant que ces déclarations de l'ingénieur du Nouveau Roman ne choquent quasiment personne. Pourquoi, dans ces conditions, ne pas lui attribuer le Goncourt ? Voilà qui ferait très « réconciliation nationale » sur fond d'amnésie calmante.
L'oubli des horreurs en tout genre fait partie du programme anesthésique général. On m'excusera donc de me « réfugier » chez Voltaire : « Un homme modéré, humain, né avec un caractère doux, ne conçoit pas plus qu'il y ait eu parmi les hommes des bêtes féroces ainsi altérées de carnage qu'il ne conçoit des métamorphoses de tourterelles en vautours ; mais il comprend encore moins que ces monstres aient trouvé à point nommé une multitude d'exécuteurs. Si des officiers et des soldats courent au combat sur un ordre de leurs maîtres, cela est dans l'ordre de la nature ; mais que, sans aucun examen, ils aillent assassiner de sang-froid un peuple sans défense, c'est ce qu'on n'oserait pas imaginer des furies même de l'enfer. Ce tableau soulève tellement le cœur de ceux qui se pénètrent de ce qu'ils lisent que, pour qu'on soit enclin à la tristesse, on est fâché d'être né, on est indigné d'être homme. »
Ces lignes sont extraites d'un texte peu connu de Voltaire, Des conspirations contre les peuples ou des proscriptions, datant de 1766. La Société Voltaire, à laquelle j'ai l'honneur d'appartenir, en a décidé la réimpression. On rappellera, à cette occasion, que l'horrible Voltaire au hideux sourire est l'auteur d'une pièce qu'il faudrait rejouer d'urgence, Mahomet. Quant à attendre la retransmission sur Al-Jazira de l'opéra de Mozart L'Enlèvement au sérail, la moindre illusion, ici, n'est pas permise. C'est dommage : Ben Laden apprécierait peut-être certains passages dans ses montagnes. On préfère donc Bush et Tony Blair dans la mesure où eux, au moins, laisseraient la représentation avoir lieu. Suis-je en train de vanter la supériorité de la civilisation et de la culture occidentales ? Oui, j'en ai peur. Mais il faut bien que quelqu'un se dévoue.
28/10/2001