Hugo, encore
Et puis Hugo, encore Hugo, toujours Hugo. Un volume, en tout cas, à se procurer d'urgence : Choses vues, dans la collection Quarto33. Peu de livres sont aussi passionnants à lire aujourd'hui, notamment les années d'exil (vingt ans). « Je suis le Mithridate de la critique. Vous comprenez que j'ai fini par m'endurcir, moi qui, depuis trente-huit ans, suis accoutumé à être tué tous les quinze jours par La Revue des Deux Mondes. »
Qu'est-ce qui intéresse Hugo ? La poésie, l'amour, la liberté. « L'amour est une projection de lumière dans l'infini. » « Aimer, c'est participer au plus profond et au plus subtil de la création. » Diagnostic sur la régression et la pruderie de son temps. « Je déteste les prudes, leur croupe se recourbe en replis sinueux. » Ou encore : « Elle avait une de ces bouches à lèvres serrées construites pour dire du mal comme la pince pour en faire. » Parfois, des notations énigmatiques qui sont déjà tout un livre, par exemple à Bruxelles, le 5 septembre 1867 : « Visite mystérieuse d'une princesse italienne (romaine) – en fuite – joli petit garçon de deux ans –, robe de velours bleu, bras nus – aventure – roman. » En tout cas, une certitude : « On entre plus profondément dans l'âme des peuples et dans l'histoire intérieure des sociétés humaines par la vie littéraire que par la vie politique. » Charmante mégalomanie de Hugo : « J'ai eu trop raison. C'est avoir tort. »
Il n'arrête pas de composer, d'entendre des bruits dans sa chambre, des coups frappés contre son lit, les murs sont pleins de fantômes, les rochers et les nuages de spectres en formation. Il est seul, il joue au satyre de temps en temps, il ne faiblit pas, il sait qu'un jour on criera sur son passage « Vive Victor Hugo ! Vive la République ! ».
Il est patient, inspiré, inflexible, et sacrément courageux. Durant le siège de Paris, en 1870, il a froid et faim. « Hier, nous avons mangé du cerf, avant-hier de l'ours ; les deux jours précédents, de l'antilope. Ce sont des cadeaux du Jardin des Plantes. » Bientôt viendra un éléphant, et puis du chien, du rat, du cheval. Il digère difficilement ces mélanges. « De ces bons animaux la viande me fait mal. J'aime tant les chevaux que je hais le cheval. » On comprend que, replié à Bordeaux en février 1871, il s'offre un dîner choisi : « Huîtres, lamproie, chapon truffé. »
Et puis, il y a les femmes, pour lesquelles il use d'un code spécial dans ses notes. Il dissimule les prénoms, crypte les situations, joue sur tous les tableaux, passe du trivial à l'infini avec un naturel confondant. Le 9 décembre 1870 : « Cette nuit, je me suis réveillé et j'ai fait des vers. En même temps, j'entendais le canon… » Des portraits dévastateurs, des flèches : « Sainte-Beuve n'était pas poète et n'a jamais pu me le pardonner. »
Un autoportrait : « Qui de bonne heure est vieux restera longtemps jeune. »
Et puis des fulgurations, des raccourcis, le don, quoi : « Dans le ciel tout est en suspens. Sur la terre tout se précipite. Différence qui contient tout le mystère. Là, tout se soutient ; ici, tout tombe. Sur le globe, la chute. Hors du globe, l'équilibre. »
« Ne vous laissez ni classer ni déclasser. »
30/12/2001