Eurostar
Étranges premiers jours de janvier, dans ce village près de l'Atlantique. La France divorce du franc. Les postières sont gaies, nettement plus belles, les poissonnières plus fraîches, les pharmaciennes en meilleure santé, les boulangères plus chaleureuses, les marchandes de journaux beaucoup mieux informées. Je vous donne mes francs, rendez-moi des euros. Tout se passe comme dans les jeux enfantins, deux beaux cailloux contre une feuille de vigne, dix aiguilles de pin contre un bouton un peu usagé. On change, on passe à autre chose, on est trois cents millions à fêter ça, plus de visages morts sur les billets de banque, enfin.
La joie des Grecs fait plaisir à voir (le mot « Europe », dans leur alphabet, est dans toutes les poches), les Irlandais exultent d'embêter les Anglais, les Belges et les Allemands se noient dans le champagne, les Italiens en ont vu d'autres, les Espagnols sont surpris, les Portugais enthousiastes. Jospin, mal réveillé, achète des fleurs, s'embrouille dans sa monnaie, Fabius a une écharpe de choc, Chirac, pour ses vœux de fin du franc, avait bizarrement maigri. Euro, euro, euro.
En quinze jours, à la surprise générale, le franc a disparu, débrouillez-vous maintenant avec ces petites pièces et ces billets abstraits, un peu d'antiquité architecturale, un peu d'ogives, des ponts. De l'argent lavé, allégé, traduit, fluide, allant tout droit à ce qu'il doit être : le signe de la disparition dans la circulation. Je vois que certains dévots s'inquiètent déjà de se retrouver avec l'effigie du pape sur leurs pièces (puisque le Saint-Siège a le droit de frapper sa propre monnaie). Mais on aurait pu s'en douter : le Vatican a toujours été le Diable en personne.
27/01/2002