Surveillance

Alain Minc a la réputation d'un homme très intelligent, très riche, très influent. Les affaires du monde n'ont pas de secret pour lui, et il publie, ces jours-ci, son Journal de l'année 200138. Ses fréquentations sont de haut niveau, sa curiosité complexe, ses compétences financières diversement appréciées, son ambition intellectuelle louable. De plus, il joue au tennis. Son style, lui, est tantôt lyrique, tantôt brutal. Le secrétaire général de l'Élysée, Dominique de Villepin, par exemple, est « un amoureux fou des lettres, qui noircit, depuis des lustres, autant de pages qu'il en lit ». Il a « la fougue d'un Murat avec l'intelligence de Fouché et la loyauté de Las Cases ». Pierre Nora est « le Pygmalion des sciences humaines », « l'épicentre de la société cultivée », une sorte de « Mme Du Deffand » moderne. Jorge Semprun est « le prince de la République des lettres » et Teresa Cremisi « la reine des lettres parisiennes ». En revanche, Philip Roth écrit de façon « pâteuse et lourde », Houellebecq est « nul et grotesque », Simone de Beauvoir une « Bécassine » dans ses lettres à Nelson Algren.

Quant à moi, malgré quelques traits de « génie », cela ne va pas fort : « A-t-il la volonté intime de sacrifier sa vie à son œuvre ? » (Réponse : non). « Sollers file, depuis quelques mois, un mauvais coton : son Mozart est faible. Même le non-mélomane que je suis n'y a rien appris » (on voit qu'Alain Minc est incollable sur Mozart, bien que « non-mélomane »). « Voilà un écrivain-né (Sollers) qui risque de terminer en histrion télévisuel s'il ne revient pas aux règles de base de la vie intellectuelle : travailler, travailler, travailler. »

Eh bien, Minc a raison : c'est vrai, je ne vais pas bien, je me laisse aller, j'apparais trop à mon désavantage à la télévision, je me dilapide, je me disperse, je file un très mauvais coton, je cours à ma perte si je ne me ressaisis pas. Il faut d'ailleurs que je travaille d'autant plus que je n'ai pas d'autre nègre que moi-même. Travailler, travailler, travailler, tel est mon dur destin de salarié. Pour l'instant, je me console en lisant cette proposition de L'Éthique de Spinoza : « L'homme libre qui vit parmi les ignorants s'applique autant qu'il peut à éviter leurs bienfaits. »

27/01/2002