Folie
Que dire quand la folie meurtrière se déchaîne ? On répète des mots, « démence furieuse », « aberration », « forcené », etc., on hésite à exploiter politiquement le sang, à insister sur la violence, l'insécurité, le complot des forces de l'ombre, on est en présence du Mal avec un grand M, lequel vient contredire l'assurance que l'être humain serait une émanation du Bien. Le fou de Nanterre ou les tueurs des Brigades Rouges, en Italie, les kamikazes de Jérusalem ou les deux jeunes filles françaises tentant d'en éliminer une troisième, les jeunes d'Évreux massacrant un père de famille protestant contre le racket dont son fils était l'objet, la liste s'allonge, s'aggrave, se convulse, on dirait que le Diable se concentre comme s'il avait peur qu'on ne l'oublie.
Pas de livre plus actuel que Les Possédés, de Dostoïevski, c'est tout dire. Et demain ou après-demain la même chose. Que faire ? Garder la raison ? Bien sûr, mais le problème n'est pas là, il est plus profond, plus essentiel, dans la véritable interdiction qui plane : réduire la sensation, simplifier la perception, propager la négation de soi et des autres, ramener la réalité au seul horizon social. Dieu est mort, mais la Société lui succède. Elle montre de plus en plus ouvertement son programme de maladie mentale. « Et pourtant, la nature est très belle », disait Cézanne, qui voyait déjà, avec effroi, qu'il était de plus en plus seul à savoir la voir.
31/03/2002