Le spectre
Le moment est d'ailleurs venu, il me semble, de faire la chasse à tous les mauvais Français. Attention, pas à ceux qui, égarés, chômeurs ou protestataires, se sont laissé abuser par l'Infâme. Non, aux ricaneurs, aux sceptiques, aux dandys libertins et stratèges de bar, à ceux qui parlaient encore, il n'y a pas si longtemps, de « France moisie », aux éternels francophobes, donc, qui voient rouge ou noir quand on leur dit bleu-blanc-rouge. Ils ont un défaut de vision, une tare, un déficit quasi génétique de perception de la réalité vraie. Regardez-les, ces vipères lubriques, ces hyènes dactylographes, tout occupés à cacher leurs sympathies ou leurs compromissions avec le spectre qui n'arrête pas de hanter la ville et la nation : Mai 68. Là est l'abcès, là l'infection profonde. Mai 2002 vomit Mai 68. Toute une jeunesse généreuse, ouverte, humaniste, responsable, piétine la chienlit et la débauche outrée de ce mois passé du déshonneur. Elle s'est dressée, la jeunesse, contre l'Infâme, mais plus essentiellement encore contre les démons libertaires. Elle veut qu'on lui parle d'effort, de discipline, de tolérance, de respect. Le tout dans la liberté, bien entendu, sans oublier l'égalité et la fraternité. Je répète, car il ne faut pas craindre, aujourd'hui, d'être un peu à la messe : liberté, égalité, fraternité, tolérance, respect. Impunité zéro, sécurité, baisse des impôts, dialogue social : le rêve. Et maintenant, votez. Comme l'a dit un des mauvais penseurs du mauvais 68 : « Les salariés ont le droit de voter. » Non seulement de voter, d'ailleurs, mais de se présenter : ils sont presque neuf mille, maintenant, à briguer l'Assemblée nationale. « Élections, piège à cons », osaient crier les dégénérés d'autrefois. Rectification de la belle jeunesse d'aujourd'hui : « Abstention, piège à cons » À bas le surréalisme, vive le civisme. Ne jouissez jamais sans entraves : cela pourrait vous faire mal. Soyez sages, demandez le possible. Votez province, votez proximité, calme, votez Poitou. Votez patrie, votez famille, votez travail. Je n'ai pas dit : travail, famille, patrie, attention, rien à voir. Votez enfants, crèches, école. L'école surtout, j'y tiens beaucoup. La société est une grande famille qui ne demande qu'à aller tranquillement à l'école, voilà tout. Pour le supplément d'âme, voici un morceau de lyrisme récent qui nous vient des avenues du pouvoir : « Un peuple a toujours besoin d'idéal et de dépassement moral, de partage et d'échange. Les Français aspirent à retrouver un État qui garantisse leurs principales sécurités mais, devant les hémorragies modernes, ils ont surtout faim de nation. Ils entendent, riches de leurs atouts, renouer avec l'épopée des grandes aventures collectives, sans renier leur langue pétrie de l'inconnu et du nouveau, du proche et du lointain, vivante en Caraïbe de la mémoire des galions et des plantations, colorée des épices et des saveurs de l'Orient, émaciée du soleil et de la sécheresse de l'Afrique où, sur les grandes étendues, l'homme dépourvu de tout bagage inutile marche debout sur l'horizon, mangeur de poussières et de ciels, scrutant toujours de ses yeux noirs l'appel du dieu en lui. »
26/05/2002