Français

Nous sommes en 1718. Lady Mary Wortley Montagu, célèbre épistolière anglaise, rentre de Turquie où son mari était ambassadeur. Elle passe par Paris, et voici ce qu'elle pense des Français : « J'ai quelque peine à regarder d'un œil tranquille et familier la légèreté et l'agilité de ces fantômes aériens qui dansent ici autour de moi, et je pense souvent me trouver à un spectacle de marionnettes où on représenterait la vie réelle. Je regarde prodigieusement, mais personne ne le remarque, car ici tout le monde regarde ; regarder est à la mode : un regard de curiosité, un regard de surprise, et cela vous amuserait beaucoup de voir quels objets insignifiants incitent tous ces regards. » Finalement, elle reste indulgente : « Le Français marche gaiement et semble se réjouir de ce qu'il voit ; ne peut-il dès lors être estimé plus heureux que beaucoup de nos graves penseurs, dont les sourcils sont creusés par une profonde réflexion et dont la sagesse est si souvent enveloppée d'un manteau brumeux de spleen et de vapeurs45 ? » Un Écossais, du nom de Smollett, lui est plus acide : « Si un Français est admis au sein de votre famille, sa première réponse à vos amabilités est de faire la cour à votre femme si elle est jolie ; si elle ne l'est pas, à votre sœur, votre fille ou votre nièce. Si votre femme le repousse ou s'il tente en vain de débaucher votre sœur, votre fille ou votre nièce, il fera des avances à votre grand-mère. […] Votre ami français s'impose chez vous à toutes les heures ; il vous étourdit par sa loquacité ; il vous agace par des questions impertinentes sur vos affaires domestiques et privées ; il essaie de se mêler de tous vos intérêts et vous impose son avis avec l'importunité la plus inlassable ; il demande le prix de tout ce que vous portez, et aussitôt que vous le lui avez dit, en rabat la valeur sans hésiter46 », etc. Ici, nous sommes en 1763, la Révolution se prépare. C'est d'ailleurs le moment, aujourd'hui même, de relire, pour leur fraîcheur, Diderot ou Voltaire. Diderot, lettre à Sophie Volland : « Ô ma Sophie, il me resterait donc un espoir de vous toucher, de vous sentir, de vous aimer, de vous chercher, de m'unir, de me confondre avec vous, quand nous ne serons plus. S'il y avait dans nos principes une loi d'affinité, s'il nous était réservé de composer un être commun ; si je devais dans la suite des siècles refaire un tout avec vous ; si les molécules de votre amant dissous venaient à s'agiter, à se mouvoir et à rechercher les vôtres éparses dans la nature ! Laissez-moi cette chimère. Elle m'est douce. Elle m'assurerait l'éternité en vous et avec vous47… »

Voilà un amant sérieux, ou plutôt subtil. On a eu raison de parler du « matérialisme enchanté » de Diderot. Il nous manque.

30/06/2002