Dumas

On sait qu'Alexandre Dumas, après le coup d'État de Napoléon III, s'exila davantage pour échapper à ses créanciers que par conviction politique. En 1864, il écrit à l'empereur : « Sire, il y avait en 1830 et il y a encore aujourd'hui trois hommes à la tête de la littérature française, ces trois hommes sont Victor Hugo, Lamartine et moi. » Autrement dit : les Trois Mousquetaires. Balzac est mort, silence sur Michelet, Flaubert n'est pas recommandable, Baudelaire encore moins. Ce qui m'étonne toujours, c'est la façon de traiter Dumas en auteur léger et voué au cinéma futur. Rien de plus faux.

C'est un grand écrivain rapide, subtil, tortueux, venimeux, plein de recoins et de pièges. Le cinéma simplifie tout : Dumas est compliqué, sadique, érotique, se délectant de massacres, de tortures, d'empoisonnements, d'exécutions, de complots, de dévoilements de corruption. Ses descriptions de la Saint-Barthélemy, dans La Reine Margot, sont effervescentes. Le baquet de Mesmer, dans Le Collier de la reine, la plus fine analyse des dessous de la future Révolution. Dans le même livre, voici Jeanne, transformée en Sapho, en pleine extase narcissique :

« Ce transport l'enivra : elle pencha la tête sur son épaule avec des frémissements inconnus, appuya ses lèvres sur sa chair palpitante, et comme elle n'avait pas cessé de plonger son regard, à elle, dans les yeux qui l'appelaient dans la glace, tout à coup ses yeux s'alanguirent, sa tête roula sur sa poitrine avec un soupir, et elle alla tomber, endormie, inanimée, sur le lit, dont les rideaux s'inclinèrent au-dessus d'elle. La bougie lança un dernier jet de flamme du sein d'une nappe de cire liquide, puis exhala son dernier parfum avec sa dernière clarté. »

Et voilà l'auteur malsain que l'on va panthéoniser ! Bel exemple pour la jeunesse !

28/07/2002