Voltaire
La gauche, déchirée en bas, se reconstitue en haut, et a vite trouvé ses ministres de droite qui, à son avis, penchent vers elle. Villepin et son allure fougueuse, Aillagon et son charme sensuel, Ferry et son vaste horizon philosophique. Le ministre de l'Éducation nationale a eu, récemment, un mouvement d'agacement en distinguant, dans la foule, des individus semblant préférer Voltaire à Kant. Il a réagi aussitôt : « Voltaire est un merveilleux écrivain, un “intellectuel” profond et talentueux, mais sur le plan proprement philosophique, le comparer à Kant, c'est confondre la butte Montmartre avec l'Himalaya. » Et toc.
Pauvre Voltaire, il n'est pas prévu au programme Raffarin. Pas plus que Nietzsche, d'ailleurs, auteur dangereux (comme Heidegger), et qui osait traiter Kant d'« araignée funeste ». Raison de plus, donc, pour saluer le premier numéro des Cahiers Voltaire, revue annuelle de la Société Voltaire. On y trouvera une étude d'André Magnan sur Mme Denis, la nièce du philosophe, qui, avec le temps, apparaît sous un jour nouveau.
Elle n'est pas ce qu'on a fait d'elle, un petit personnage de femme sans cervelle, plus ou moins inapte aux choses de l'esprit, indigne au fond d'avoir partagé la vie du grand écrivain. Mais non, elle lit, elle touche admirablement le clavecin, elle est peut-être un peu réservée sur les engagements frénétiques de son oncle, même si elle le soutient en s'occupant de tout (et, avec Voltaire, tout c'est beaucoup). Finalement, il y a le grand secret de la vie de François et de Marie-Louise (ce sont leurs prénoms) : ils s'aiment.
Et ils s'aiment de façon particulièrement crue comme le prouve cette lettre de l'auteur de Candide, datée du 3 septembre 1753 : « Je voudrais être le seul qui eût le bonheur de vous foutre, et je voudrais à présent n'avoir eu que vos faveurs, et n'avoir déchargé qu'avec vous. Je bande en vous écrivant, et je baise mille fois vos beaux tétons et vos belles fesses. » Scandale évité à l'époque ? Scandale éternel : Voltaire était bien le Diable lui-même, un philosophe incestueux, un Himalaya de ruse, un libertin déguisé en humanitaire, un hideux pornographe. Heureusement, Kant nous protège. Un vrai philosophe ne saurait vivre conjugalement avec sa nièce devenue sa maîtresse.
Circonstance aggravante : Marie-Louise adorait La Pucelle, ce poème honteux portant atteinte à l'image sacrée de Jeanne d'Arc. Dans le même numéro de ces Cahiers, un autre texte nous rappelle que le XIXe siècle a souvent, dieu merci, jugé sévèrement le léger Voltaire : c'est Émile Faguet qui a été ici le plus insistant. Il faut relire Faguet, c'est très instructif.
25/08/2002