Françoise Giroud

Nous sommes en 1969. Lacan vient d'être chassé de l'École normale supérieure où il tenait son séminaire. On l'accuse, à juste titre, de corrompre la jeunesse et de susciter des passions gauchistes. C'est un marginal, un hurluberlu, un fou. L'Université doit être reprise en main, vidée de ses agitateurs malsains, de ses terroristes en puissance. Avec quelques amis, nous occupons le bureau du directeur de l'école. La police intervient, dispersion. Les jours suivants, j'accompagne Lacan dans sa curieuse solitude, tout le monde le lâche, impossible d'obtenir dans la presse un article en sa faveur. J'assiste à l'humiliation du vieux Lacan, téléphonant ici et là sans obtenir de réponses. À un moment, il dit : « On va aller voir Giroud. »

Françoise Giroud, L'Express, cela ne me disait rien qui vaille, encore une lubie de Lacan. Mais non : nous nous retrouvons à déjeuner avec une femme douce, réservée, charmante, montrant pour Lacan une vive affection, et, surtout, une sorte de respect amusé. Chemisier de soie blanche un peu déboutonné, yeux noirs attentifs. J'ignorais, évidemment, qu'elle avait été en analyse avec lui au moment de ses plus grandes difficultés psychiques et sentimentales. Lacan ne dit pas grand-chose, il soupire beaucoup, s'amuse à parler de Mao, comme ça, pour rendre la conversation impossible. Françoise Giroud a cinquante-trois ans, Lacan soixante-huit, moi trente-trois. On mange rapidement, Lacan ne demande rien, on s'en va. La semaine suivante, il a son article très positif. Conclusion : c'était mon hommage à Françoise Giroud qui, pourtant, m'a vivement attaqué lorsque j'ai publié mon livre sur Casanova. Il est vrai qu'elle convoitait le sujet, et que je n'ai jamais été en psychanalyse.

26/01/2003