Clonage
Freud, on s'en souvient peut-être, adjurait Jung (qui trouvait ça exagéré) de s'en tenir strictement à la théorie sexuelle. « Pourquoi ? » lui demandait Jung. Et Freud : « Pour éviter la marée noire de l'occultisme. » Il est curieux que Freud ait employé l'image d'une marée noire. Elle pourrait de plus en plus s'appliquer à l'extérieur comme à l'intérieur et viser, par exemple, l'extravagante prolifération des sectes. La plus experte en publicité s'adonne au clonage reproductif, sans qu'on sache exactement si ses déclarations sont vraies. Qu'importe, la chose est dans l'air, la galette d'immortalité nous attend dans les laboratoires. L'inénarrable Brigitte Boisselier s'exhibe et appelle Raël « Sa Sainteté ». On a le pape qu'on peut, celui-ci règne déjà sur les ovocytes. La nouvelle Ève est-elle vraiment née ? Peut-être. Mais on nous annonce déjà une autre naissance imminente conçue par un couple de lesbiennes des Pays-Bas. Proust avait beau être visionnaire, on se demande s'il aurait pu imaginer un tel destin pour Albertine ou Mlle Vinteuil. Le temps perdu, le temps retrouvé sont là dans un tournant essentiel, et un nouveau chapitre de Sodome et Gomorrhe reste à écrire.
Bien entendu, presque tout le monde proteste et parle de « crime », ce qui n'empêchera pas les affairistes plus ou moins véreux et les voyous génétiques de prospérer. Qui inventera l'œuf à double coque ? Et la plage réversible, transportable d'Arcachon à Paris ? Un ami scientifique m'a déjà dit : « On peut te cloner, tu seras le même, avec les mêmes manies et les mêmes goûts, mais tu ne seras sans doute pas écrivain. » Je réfléchis. Je pèse le pour et le contre. L'écrivain, on ne sait que trop, est une espèce en voie de disparition. La jolie petite fille d'Ophélie, ma libraire, ne veut pas, plus tard, être libraire. Ce mignon petit garçon, moi-même, pourrait peut-être lui plaire un jour. Que fera-t-il dans la vie ? Banquier.
26/01/2003