Staline

Puisqu'on célèbre (si on peut dire) le cinquantième anniversaire de la mort de Staline, on lira avec profit le dernier livre d'Arkadi Vaksberg, Staline et les Juifs58. C'est une histoire folle, où le double jeu permanent et l'orchestration du mensonge donnent sa vraie dimension au crime d'État. Hitler ne mentait pas, il tuait en direct. Staline, lui, ment comme il respire, ou plutôt respire comme il ment. Vaksberg, au milieu d'une documentation très serrée et souvent récente, écrit par exemple :

« Au lieu des “riches” et des “pauvres”, on se mit à ne considérer que les “sionistes” et les “antisionistes”, indépendamment de la classe à laquelle appartenaient ceux-ci ou ceux-là. Le nazisme, défait sur les champs de bataille, renaissait triomphalement dans la sphère idéologique. La peur des idées de liberté que l'armée victorieuse ramenait de l'Ouest – comme ce fut le cas après la guerre contre Napoléon – incita Staline à mettre en branle la machine de propagande du nationalisme russe, lequel ne se conçoit pas sans sa composante antisémite. “Patriote” devint synonyme de “russe” – entendez ethniquement russe – tandis que l'occidentalisme s'identifiait à la judéité. »

Un des passages les plus pénibles à lire rapporte les discours d'Ehrenbourg et d'Aragon, en 1953, pour la remise du prix Staline au premier des deux. Ehrenbourg : « Les gouvernants de l'Amérique sont prêts à anéantir tout et tout le monde pour stopper la marche de l'Histoire… Aucune bassesse ne les rebute. Il n'est pas de crime devant lequel ils hésiteraient. Ils perdent la tête parce qu'ils ont perdu tout espoir. » Et Aragon : « Ce prix porte le nom du plus grand philosophe de tous les temps ; de celui qui éduque les hommes et transforme la nature ; de celui qui a proclamé que l'homme est la plus grande valeur sur terre ; de celui dont le nom est le plus beau, le plus proche, le plus étonnant dans tous les pays pour tous ceux qui luttent pour leur dignité, le nom du camarade Staline. »

Et aujourd'hui ? Vaksberg écrit : « La propagande antisémite, faute de susciter la moindre réaction du pouvoir, se poursuit allégrement et jouit d'une impunité qui ne peut qu'encourager de nouveaux débordements. Des journaux de tendance ouvertement judéophobe sont en vente libre dans les rues de Moscou, de Saint-Pétersbourg et de cent autres villes, qui contiennent des articles et des caricatures dignes de celles répandues par les bons soins de Julius Streicher. À cette différence près que Streicher a été pendu en vertu du verdict de Nuremberg, alors qu'aucun de ses émules russes n'a jamais encouru le moindre commencement de sanction. »

Exemple : « Le tribunal de Samara a acquitté un certain Oleg Kitter qui s'était proclamé “lutteur contre les rats et les youtres” et appelait à raser les synagogues “qui souillent le sol de la Russie”. Dans sa grande sagesse, le tribunal a estimé que, Kitter n'ayant pas rasé une seule synagogue, ses propos étaient d'ordre purement métaphorique et qu'il n'y avait donc pas matière à condamnation. »

30/03/2003