Mystère
Le journal de Françoise Giroud, Demain déjà61, est instructif. On voit qu'elle passait ses dernières années à beaucoup de remises de Légions d'honneur et de réceptions à l'Académie française. Et puis jurys, spectacles divers. Et puis soudain : « Sollers est un mystère pour moi. L'homme est brillant, tout à fait agréable, il lui arrive de faire de très bons livres, mais quelquefois, à l'entendre, on se demande s'il est paranoïaque ou s'il joue à se faire peur. Cette description terrorisante du monde où nous sommes, de la société où nous vivons et de ce qui va infailliblement suivre, les menaces qui pèsent sur nous, sur la liberté déjà perdue – il voit la censure partout –, c'est un discours que, personnellement, je supporte très mal, comme d'ailleurs toutes les anticipations catastrophiques. Et cette vénération pour le pape au milieu de son éloge du libertinage. […] Quand joue-t-il la comédie ? En tout cas, il la joue, et c'est dommage. S'il avait une once de simplicité, on pourrait l'aimer beaucoup. »
Je rêve un peu sur cette once. Une certaine façon de dire non ? Une nonce ? En somme, si je comprends bien, Françoise Giroud pensait que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Son ton, à mon égard, est faussement amical et condescendant. Il y avait le paternalisme, il faudra s'habituer au maternalisme. Mais sachez désormais que toute critique de l'envers de l'histoire contemporaine vous expose au diagnostic de « paranoïaque ». Cela pour votre bien, évidemment. « Ça se soigne », me disait ma grand-mère paternelle, quand je lui faisais part de ma certitude d'être un jour un grand écrivain. J'avais douze ans. Je les ai encore. Et je n'en finis pas de m'étonner que l'ironie soit si peu comprise. Encore une once d'ironie, je vous prie. Regardez, par exemple, comme cette pensée de Jean-François Kahn est profonde : « Les situations que créent les événements sont prévisibles, mais pas les événements que créent les situations. » Relisez-la plusieurs fois, elle en vaut la peine.
27/04/2003