Villepin
C'est un raz-de-marée, un typhon, un cyclone. Huit cents pages, seulement, mais on sent bien qu'il pourrait y en avoir trois mille66. La diplomatie française ne pouvait pas se mêler du pétrole irakien, elle brûlait depuis longtemps d'un grand feu intérieur. Le voici, pléthorique, incantatoire, adolescent, fou, désordonné, empathique. Comme Ferry paraît étriqué à côté ! Comme Raffarin, et son éloge de la baguette de pain, semble un assis de toujours ! Comme Chirac se rêve abracadabrantesque !
Villepin chevauche Rimbaud, Artaud, Char, Saint-John Perse, Bonnefoy et mille autres, du plus petit au plus grand, du plus appliqué au plus génial. Il rafle tout le monde dans une vision grandiose et sans rivages. « Dans un tel mouvement, il n'est point de honte à la fuite, pourvu qu'elle soit source de résistances ou de reviviscences. L'élan et la peur élargissent le sillon, encouragent de nouvelles génuflexions, appellent d'autres crucifixions, celles d'élus, d'innocents ou coupables, portés en sacrifice. C'est tout notre paysage ancien qui bascule à la lecture de ce nouvel évangile. Un passage s'ouvre dans ce grand tremblement où campe le baroque, avant que le classicisme reprenne un temps ses droits. Un peuple nomade fixe ses racines toujours plus loin devant, un peuple sédentaire voyage dans sa tête, que hante une seule parole, enflée d'apprentissage et d'expériences partagées, cousue de rêves et d'angoisses, résonnant de ses tambours humains à grandes peaux tendues. »
Et ainsi de suite. Se doutait-on que régnait à l'Élysée, puis au Quai d'Orsay, un inspiré de cette nature ? Un révolutionnaire, un communard, un pur produit dévastateur de Mai 68 ? La tornade Villepin est en route, rien ne l'arrêtera. Voilà un complot réussi, dans lequel je m'inscris d'avance : romantique, dadaïste, surréaliste, situationniste, éminemment national et mondial. La République a couvé en secret ce phénix. Honte à vous, députés rancis, citoyens aigris, hommes d'affaires incultes, ministres pseudo-intègres ! Honte à vous, mondains épuisés ! Socialistes fourbus ! Intégristes bornés ! Américains dépassés ! On me dit que Colin Powell a demandé le livre à l'éditeur pour se le faire intégralement traduire. La CIA et le Mossad sont sur le coup. Sauront-ils déchiffrer tous ces messages codés ? J'en doute.
01/06/2003