Nietzsche

Et puis, toujours pour vous désembourber, partez avec Nietzsche. Peu importe le volume, tout est génial. Ecce Homo71 : « Est-il, en cette fin du XIXe siècle, quelqu'un qui ait une idée nette de ce que les poètes des époques fortes appelaient inspiration ? La notion de révélation, si l'on entend par là que tout à coup, avec une sûreté et une finesse indicibles, quelque chose devient visible, audible, quelque chose qui vous ébranle au plus intime de vous-même, vous bouleverse, cette notion décrit tout simplement un état de fait. On entend, on ne cherche pas ; on prend sans demander qui donne ; une pensée vous illumine comme un éclair, avec une force contraignante, sans hésitation dans la forme – je n'ai jamais eu à choisir. Un ravissement dont l'énorme tension se résorbe parfois par un torrent de larmes, où les pas, inconsciemment, tantôt se précipitent, tantôt ralentissent ; un emportement “hors de soi” où l'on garde la conscience la plus nette d'une multitude de frissons ténus irriguant jusqu'aux orteils ; une profondeur de bonheur où le comble de la douleur et de l'obscurité ne fait pas contraste, mais semble voulu, provoqué, semble être couleur nécessaire au sein de ce débordement de lumière ; un instinct de rapports rythmiques qui recouvre d'immenses étendues de formes… Telle est mon expérience de l'inspiration ; je ne doute pas qu'il faille remonter à des milliers d'années pour trouver quelqu'un qui soit en droit de me dire : “C'est aussi la mienne.” »

Le biographe de Nietzsche, Curt Paul Janz, trouve ce propos exagéré (Nietzsche n'est-il pas déjà fou ?), mais se sent obligé de rappeler le cas extraordinaire de Mozart. Wagner, lui, on le sait, composait difficilement. On se moque, en général, de l'inspiration et de la rapidité d'exécution. Jalousie compréhensible. « Je n'ai jamais eu à choisir » paraît une formule insensée. C'est donné, c'est gratuit, donc ce n'est pas crédible. Il y a eu pourtant des corps pour faire ce type d'expérience. Et comme le dit l'historien chinois Sima Qian (145-90 avant J.-C.) à propos de Zhuangzi : « Son langage déborde de toute part, il ne suit que sa propre inspiration, de sorte que les puissants n'ont jamais pu faire de lui leur instrument72. »

29/06/2003