Bagdad

Le mot clé, en politique, à répéter le plus souvent possible, est « avenir ». Regardons vers l'avenir, tournons-nous vers l'avenir, tournons la page. Quelques cris en Nouvelle-Calédonie contre le chef de l'État ? Des partisans du passé, des commémorateurs de grottes, des intermittents de la mémoire, des nostalgiques d'un vieux spectacle.

En Irak, l'avenir est bien entendu à la démocratie, et il n'y a aucune raison d'en douter, même si elle se fait attendre. Saddam Hussein n'avait peut-être pas d'armes de destruction massive (et alors ?), mais ses partisans n'ont pas l'air de manquer d'armes de destruction individuelle. La guerre est finie mais la guérilla s'étend. Deux fils du dictateur tués ? Pas mal (trente millions de dollars), mais Saddam court encore, sans parler de ses sosies et d'ailleurs ses fils étaient peut-être des sosies d'eux-mêmes. Beaucoup de morts, donc, mais le cadavre principal vient soudain d'Angleterre.

Qui a tué David Kelly ? Au propre et au figuré ? Voilà un homme respectable, spécialiste en produits chimiques, qui sort de chez lui, va dans un bois, avale des antalgiques, et s'ouvre le poignet gauche. Suicide à l'antique, hémorragie, grand style de l'Empire romain finissant. Tony Blair est au Japon, un journaliste lui demande s'il n'a pas du sang sur les mains. Il fait comme si la question n'avait jamais été posée, un ange, ou plutôt un missile, passe. C'est là qu'on doit admirer le flegme britannique.

Qui a tué David Kelly ? Le gouvernement et ses mensonges d'État, ou la BBC qui a gonflé un peu les déclarations de sa gorge profonde ? Saddam faisait-il venir de l'uranium du Niger ? Était-on à deux doigts d'une apocalypse ? Mais est-ce vraiment important ? Ne fallait-il pas d'abord se débarrasser d'un tyran ? Un roman reste à écrire : les dernières heures de David Kelly, sa migraine, les images noires qui tournent dans sa tête, son désespoir, la mort conçue comme délivrance, un dernier regard sur les arbres, sommeil.

27/07/2003