Spectacle
Blair à Pékin ; David Kelly, le poignet tranché, dans son petit bois ; Chirac en Polynésie ; des cadavres de marines dans les rues de Bagdad ; Bush en Afrique ; des massacres au Liberia ; et, en France, des incendies criminels et les intermittents du spectacle : la mondialisation est là. José Bové, à peine gracié, regarde la télévision dans sa cellule, Yvan Colonna aussi, et tant d'autres dans des prisons surchargées, canicule, pas assez de douches. Rien n'est dans rien, et réciproquement. D'où parlez-vous ? De partout et de nulle part.
Le plus curieux, dans cette cacophonie permanente qui accompagne la feuille de route, c'est que tout le monde s'est mis à prononcer le nom de Debord sans l'avoir lu. Premières lignes de La Société du spectacle : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s'annonce comme une immense accumulation de spectacles. Tout ce qui était directement vécu s'est éloigné dans une représentation73. »
Rien d'extraordinaire, simple constat. Juste pour vous prévenir, en somme, que vous ne vivez plus « directement », mais, de plus en plus, dans une téléréalité et des jeux de rôles. Êtes-vous vous-même ou, déjà, une simple image ? Votre clone ? Votre sosie ? Votre discours vous appartient-il ? Avez-vous une vraie vie ? Misère du spectacle, spectacle de la misère ; misère de la culture, culture misérable.
Mais, au fait, qui a créé les intermittents, ce nouveau prolétariat dérangeant, cassant, comme les ouvriers du textile, il y a longtemps, leur instrument de travail ? On peut se plaindre d'eux, regretter les festivals, s'inquiéter du « gauchisme » qu'ils représentent, ils sont là, ils interrompent, ils échappent à leurs vedettes, à leurs contremaîtres, à leurs employeurs peu scrupuleux. Vous avez transformé la société en spectacle, et vous vous plaignez des désordres des sous-payés ? Vous êtes un spectateur frustré ? Un nanti bousculé par la valetaille ? Mais que diable alliez-vous faire dans ces galères au lieu de rester chez vous ? Pourquoi ne pas reconnaître que vous êtes un intermittent de vous-même qui se presse au collectif par peur de ne plus exister ? Éloignez donc la télévision, et prenez un bon livre. Oui, je sais, c'est difficile, il faut faire attention.
27/07/2003