Rentrée
Les festivals de La Rochelle, Aix-en-Provence et Avignon ont été annulés, mais le plus beau n'a pas été touché par la grève, et c'est bien sûr Paris-Plage. Le meilleur acteur de l'été aura donc été, une fois de plus, le maire de Paris, socialiste au paradis. La palme de l'humour objectif me paraît quand même revenir à l'énergique archevêque de Hongkong luttant contre l'étranglement antidémocratique de sa ville. Il s'appelle le cardinal Zen. Ça ne s'invente pas.
Ophélie, ma libraire, n'est pas contente de moi. En disant, dès le mois de juin, mon admiration pour le livre de Beigbeder, Windows on the World, il paraît que je casse le jeu, que j'expédie aux oubliettes au moins six cents livres, que je désorganise l'édition et la librairie, que je pénalise tous les intermittents littéraires. Que faire ? Ce n'est pas ma faute si le livre de Beigbeder est très bon. Ophélie, elle, attend avec impatience que Kundera ait le prix Goncourt. Ce serait, en effet, une excellente nouvelle, un choix courageux, comme, jadis pour L'Amant, le chef-d'œuvre parachinois de Marguerite Duras. La francophonie doit être encouragée, le français se traîne.
Ah non, voici encore un très bon livre, retenez-le dès aujourd'hui : Mammifères, de Pierre Mérot75, né à Paris, il y a une quarantaine d'années. C'est assez proche de Houellebecq, que l'on reconnaît ici et là. Vous allez rire méchamment en suivant le fonctionnement des « éditions Ubu », où le narrateur a été employé. Et encore méchamment en assistant à l'organisation de la misère enseignante au lycée Walt Disney. Et de plus en plus méchamment en appréciant le diagnostic catastrophique de l'auteur sur l'état des mères. En réalité, ce qui compte, comme toujours, c'est le style :
« Pourtant, il vous arrive d'être heureux. Vous mourrez peut-être précocement d'une cirrhose, d'une overdose ou d'un abus quelconque, mais vous n'aurez pas ressemblé à une famille étroite et à tous ceux qui veulent vous empêcher de vivre. C'est un soir de juin, le ciel est bleu et rose. Vous descendez la rue, votre rue, avec votre liberté, même si elle est maigre et insatisfaisante. C'est vous qui l'avez conquise, et contre ceux qui vous paraissaient invincibles. Les enseignes lumineuses palpitent, les immeubles sont là, c'est toute la vie, et elle est entièrement disponible. Vous n'avez jamais contraint personne ni méprisé au nom de valeurs stupides et mortifères. Vous êtes vivant. Vous regardez les immeubles légèrement roses. Un jour, vous ne les verrez plus. Mais aujourd'hui c'est à vous, et à vous seul qu'il est accordé de voir ce trésor extravagant et provisoire, et personne ne peut prétendre être à votre place. »
27/07/2003