Technique
Le Pentagone a un grand projet qui aurait étonné George Orwell : quarante pages d'informations sur chacun des six milliards d'individus de la planète, le tout traité par hyperordinateur. Les bibliothèques américaines sont déjà priées de communiquer la liste des livres et des sites Internet consultés par leurs abonnés. Prenons, par exemple, le prochain livre de Marc Fumaroli, Chateaubriand, poésie et terreur76. Le mot « terreur » devrait déclencher une enquête. Chateaubriand n'est peut-être qu'une couverture pour des messages codés.
Je suis en train de lire ce livre magistral, mais si je note presque au hasard la phrase suivante – « Chaque homme renferme en soi un monde à part, étranger aux lois et aux destinées générales des siècles » –, ne suis-je pas déjà un terroriste, un « décréateur », un expérimentateur dangereux des limites ? Et ceci, fort suspect à mon avis : « Les corruptions de l'esprit, bien autrement destructives que celles des sens, sont acceptées comme des résultats nécessaires ; elles n'appartiennent pas à quelques individus pervers, elles sont tombées dans le domaine public. » Tout cela n'est pas clair, et d'ailleurs les grands écrivains sont la plupart du temps démoralisants.
Regardez Céline77 : « Je suis une femme du monde. Je baise avec qui je veux, quand je veux, comme je veux. » Ou bien : « L'âge moderne est le plus con de tous les âges. Il ne retient que les choses toutes cuites et bien frappantes. » Ou encore : « Les mots ne sont rien s'ils ne sont pas notes d'une musique du tronc. […] On peut écrire à la Sévigné une lettre à la petite cousine qui fasse pâmer des débardeurs. »
24/08/2003