Stendhal
« Ainsi que Rousseau, Beyle se croyait beaucoup d'ennemis et se préservait trop habituellement de ce qu'ils pouvaient tenter pour lui nuire. Avec cette triste monomanie, et aussi d'après quelques passages de ses écrits, on aurait pu le supposer méchant, vindicatif : personne au monde ne l'a été moins que lui, il était incapable de haine. » Voilà ce qu'écrit le cousin de Stendhal, Romain Colomb, dans sa Notice sur la vie et les ouvrages de Henri Beyle86 (1845). Réédition opportune, pour mieux juger les obstacles que l'œuvre de Stendhal a dû franchir.
Son cousin l'aime, il a beaucoup fait pour lui après sa mort. Stendhal avait donc des ennemis ? Eh oui, comme tout écrivain libre. Des faux amis aussi, comme cet avocat, Paul-Émile Forgues, qui note, le 23 mars 1842 : « Ce pauvre Beyle est mort. Il m'aimait autant qu'un homme qui mange peut aimer. C'était un vieux garçon égoïste, petit, laid, ordurier, engourdi, à moitié aveugle, paradoxal, enthousiaste à froid, méchant par-derrière, doucereux par-devant ; mais un des romanciers les plus ingénieux et les plus vrais que nous ayons » (merci quand même). On préfère le cousin : « Beyle a toujours adoré l'imprévu, ne pouvant se plier à aucune gêne imposée par un devoir quelconque, et se trouvant en insurrection permanente contre toute obligation à l'accomplissement de laquelle n'était attaché aucun plaisir. »
Stendhal est tombé le 22 mars 1842, à sept heures du soir, à deux pas du boulevard, sur le trottoir de la rue Neuve-des-Capucins, à la porte même du ministère des Affaires étrangères de l'époque. Il est mort, après cette apoplexie, à deux heures du matin, le lendemain, sans reprendre connaissance ni prononcer un mot. Il était âgé de cinquante-neuf ans, un mois et vingt-huit jours. « Mon amour pour la musique a peut-être été ma passion la plus forte et la plus coûteuse : elle dure encore à cinquante-six ans, et plus vive que jamais. Combien de lieues ne ferais-je pas à pied, et à combien de jours de prison ne me soumettrais-je pas pour entendre Don Juan ou le Matrimonio segreto ; et je ne sais pour quelle autre chose je ferais cet effort. »
On connaît son épitaphe composée par lui-même en italien, en se définissant comme milanais : « Il vécut, écrivit, aima. » Milanais donc, pas français. Défi à la France de la Restauration et à la pruderie étouffante de son temps.
30/11/2003