Voile
J'ai désormais le choix entre être visible, ostensible, ostentatoire ou tout simplement discret. Inutile de dire que je suis résolument laïque et républicain, je ne voudrais pas qu'il y ait le moindre malentendu sur ce point. Cependant, j'ai des souvenirs contrastés de mon passage ancien à travers l'École. J'étais rêveur, je regardais beaucoup les fenêtres, je me faisais mettre régulièrement à la porte à cause d'une expression du visage que je ne contrôlais pas. Un air d'insolence, paraît-il. Un sourire bizarre. Il n'y avait pas encore de filles voilées dans les lycées, pas la moindre kippa à l'horizon, aucun crucifix dans les salles. Le professeur de français, à Bordeaux, insistait beaucoup sur Montaigne. Celui-là m'avait à la bonne. Il m'intéressait.
J'ouvre aujourd'hui la radio, et j'entends une enseignante de haut rang répéter sans arrêt « le corps enseignant, le corps enseignant, le corps enseignant ». D'où vient que cette formule me semble déboucher soudain sur « le Coran saignant » ? Une hallucination auditive, sans doute. C'est vrai que toutes ces histoires de barbes et de voiles finissent par inquiéter. À la limite, ça rase. Et voilà des manifestantes en train de crier : « Ni frères, ni pères, ni maris, le foulard on l'a choisi. » Ou encore : « Ni dupes ni soumises, seulement soumises à Dieu. »
Mon dieu, le revoilà, Dieu. Il est temps de me répéter une des courtes sourates du Coran (les plus courtes, vers la fin, sont de loin les meilleures). La 113, donc : « Je cherche la protection du Seigneur de l'aube contre le mal qu'il a créé ; contre le mal de l'obscurité lorsqu'elle s'étend ; contre le mal de celles qui soufflent sur les nœuds ; contre le mal de l'envieux lorsqu'il porte envie. » L'envieux, on connaît, mais celles qui soufflent sur les nœuds ? De quoi s'agit-il ? Tout cela n'est pas net, il est temps d'enseigner mieux le fait religieux, ses recoins, ses subtilités, ses messages codés, sa sombre magie poétique. Les rapports d'une dévote avec Dieu sont du plus grand intérêt. Demandez à Casanova, si vous ne voulez pas me croire.
28/12/2003