Terreur

Il faut lire absolument, dans l'excellente revue Le Lecteur95, le témoignage de la poétesse Zinaïda Hippius sur les premiers temps de la révolution russe : Journal sous la Terreur. Comment, la Terreur dès 1918 ? Avant Staline ? Mais oui, et cela reste le plus souvent ignoré. Dès la fin de 1917 : « Nous sommes dans les pattes d'un gorille dont le maître est un gredin. » En mars 1918 : « On a tué mille deux cents officiers et coupé les jambes des cadavres pour leur prendre leurs bottes. […] La Russie n'a pas eu d'histoire. Ce qui se passe en ce moment n'est pas de l'histoire. Cela s'oubliera comme les atrocités inconnues de tribus ignorées sur une île non répertoriée. S'abîmera dans le néant. » En mai : « En deux mots : on écrase, on étouffe, on roue de coups, on fusille, on pille, la campagne est derrière une clôture, les ouvriers pris dans un étau de fer. Chaque jour, des étudiants, des commis, jeunes et vieux, tombent dans la rue par dizaines et y meurent [je l'ai vu de mes yeux]. La presse est étouffée, ici comme à Moscou. Et tout cela se fait cyniquement, s'accompagne de railleries, de grimaces simiesques et de gros rires obscènes. » En septembre : « Je ne constate qu'une seule chose : les bolcheviques sont établis physiquement sur la terreur physique, et solidement établis. L'autocratie se maintenait de la même façon. Mais, ne possédant ni traditions ni habitudes, les bolcheviques, pour atteindre la solidité de l'autocratie, doivent accroître la terreur jusqu'à des dimensions homériques. C'est ainsi qu'ils agissent. Cela est en conformité avec les “particularités” nationales du peuple russe, incompréhensibles à un Européen. Plus le pouvoir est sauvage et plus il se permet de choses, plus on lui en permet. » En décembre : « Voici la principale découverte que j'ai faite : il y a bien longtemps que toute espèce de révolution est terminée. Quand cela s'est-il produit ? Je l'ignore. Mais c'était il y a longtemps. Notre “aujourd'hui”, ce n'est pas la révolution, à aucun point de vue. Mais il y a pire. C'est un cimetière, le cimetière le plus ordinaire qui soit. Pas un cimetière respectable, non. Un cimetière où les morts, à moitié découverts, pourrissent à la vue de tous, quoique dans un silence assourdissant. Le bocal d'araignées qui s'entre-dévorent, c'est bien fini ! À sa place, il y a la tombe, la tombe. »

29/02/2004