Rimbaud, Céline
Mme Antoinette Fouque, figure légendaire du féminisme, nous confie, dans Libération, qu'elle a fait graver sur la tombe de ses parents la formule suivante : « L'Éternité. C'est la mer allée avec le soleil. » Elle donne le nom de l'auteur : Valéry, dit-elle. Hélas, il s'agit d'un poème très célèbre de Rimbaud, que ce dernier a d'ailleurs repris dans Une saison en enfer en le corrigeant : « C'est la mer mêlée au soleil. » Pourquoi ce lapsus ? À cause du lourd Cimetière marin de Valéry ? Désir d'effacer Rimbaud ? Allez savoir. Quoi qu'il en soit, voilà une dalle funéraire à changer d'urgence.
Rimbaud, on s'en souvient, s'est immensément ennuyé au Harar. Pour les mélancoliques d'aujourd'hui, rappelons ce qu'il écrit à sa famille le 6 janvier 1886 : « Ceux qui répètent à chaque instant que la vie est dure devraient venir passer quelque temps par ici, pour apprendre la philosophie. » Une nouvelle collection, En verve96, rassemble au même moment des citations de Rimbaud et de Céline. Justesse et beauté des phrases.
Céline, donc : « Le mauvais goût conduit au crime, prétendait Stendhal. » Ou bien : « Le gratuit seul est divin. » Ou bien : « Tous les assassins voient l'avenir en rose, ça fait partie du métier. » Ou bien : « Quand on se mêle de réformer la création et l'ordre infernal des instincts, on n'a pas fini d'en baver. » Ou bien : « Je me refuse à croire que la télévision est instructive. Voltaire disait : “Celui qui lit sans crayon à la main dort.” » Ou bien : « Je considère le temps comme une matière plus précieuse que le diamant. » Ou bien : « Je ne peux plus écouter la radio. Ils découvrent un “génie” par semaine, des Balzac tous les quinze jours, des George Sand chaque matin. Je n'ai pas le temps de suivre. Moi, je travaille. »
Ou bien : « Il m'a fallu servir pendant des années de fils, de serf, de paillasson, de héros, de fonctionnaire, de bouffon, de vendu, d'âme, d'écureuil à tant de légions de fous divers que je pourrais peupler tout un asile rien qu'avec mes souvenirs. J'ai nourri d'idées, d'effort, d'enthousiasme plus de crétins insatiables, de paranoïaques débiles, d'anthropoïdes compliqués qu'il n'en faut pour amener n'importe quel singe moyen au suicide. » Ou encore : « Parmi tant de haines dont je suis l'objet, je dois encore compter sur celle de presque tous les littérateurs français, jeunes et vieux, race diaboliquement envieuse s'il en fut, et qui ne m'ont jamais pardonné mon entrée si soudaine, si éclatante, dans la littérature française. » Et enfin : « Autant je suis régulier à mort avec les réguliers, autant je suis aspic avec les doubleurs. »
28/03/2004