Pologne
Du 1er août au 2 octobre 1944, il y a donc soixante ans, l'insurrection de Varsovie était écrasée par les nazis sous le regard passif de l'Armée rouge. Bilan : deux cent mille morts. Comme le dit un professeur d'histoire d'aujourd'hui à l'université de Varsovie : « La principale interrogation est pourquoi Staline a-t-il donné l'ordre à l'Armée rouge de s'arrêter sur la rive gauche de la Vistule (qui coupe la ville en deux) et d'interdire aux avions alliés d'intervenir ? Les autorités russes n'ont toujours rien dit à ce propos – pas un mot d'explication, ni bien sûr de regret –, pas plus d'ailleurs que la plupart des historiens russes de réputation internationale. Ce sera sans doute le dernier point qu'ils éclairciront dans la liste des contentieux historiques nous opposant à eux. »
Si on se souvient du pacte germano-soviétique et de la signature, par Staline lui-même, de la radiation de la Pologne de l'espace géographique (sans oublier le massacre de Katyn), la réponse à cette question ne doit pas être très difficile à trouver. Mais voilà, l'Histoire a ses trous noirs, ses silences de mort, ses arrangements falsificateurs, ses lapsus énormes. Dans l'ordre : le message de Poutine saluant « la victoire commune contre les nazis », le département d'État américain confondant l'insurrection de Varsovie avec celle du ghetto (écrasé un an avant), l'absence de tout responsable français important à la commémoration de cet événement. Gerhard Schröder s'est déplacé, lui. L'absence française, selon un diplomate, s'explique tout naturellement « pour cause de vacances gouvernementale et présidentielle ».
À propos de cet échec sanglant du soulèvement de l'armée clandestine abandonnée par les Russes, une historienne ne craint même pas de déclarer : « C'est comme d'imaginer l'armée de Leclerc s'arrêtant aux abords de Paris en laissant crever les Parisiens entre les mains de bourreaux professionnels. » Mais Leclerc aurait probablement eu un réflexe français par rapport à des Français, tandis que Staline était russe, et sa haine des Polonais reste à déchiffrer.
Pour la propagande communiste, donc, il n'y a eu qu'un soulèvement, celui des juifs du ghetto, histoire de gommer l'inaction russe et le patriotisme antisoviétique des insurgés, passant à l'action après le feu vert du gouvernement polonais en exil à Londres. Deux cent mille morts : détail de l'Histoire, pensent encore certains. À l'époque, le vieux Jean-Paul II d'aujourd'hui a vingt-quatre ans. Et le grand poète polonais Czeslaw Milosz, Prix Nobel 1980, et qui a vécu en exil aux États-Unis, en a trente-trois. Il vient de mourir, mais la poésie ne meurt pas.
22/08/2004