Mauriac
À propos de la croix gammée, qui a tendance à réapparaître dans des délires de cimetière, c'est Mauriac, autrefois, qui aura trouvé la formule définitive : « une araignée gorgée de sang ». Mauriac a de la chance, le temps travaille pour lui, comme le prouve surabondamment ce gros volume de chroniques anciennes du Figaro, D'un bloc-notes à l'autre (1952-1969)110.
Sur les partis politiques (en 1962) : « Encombrants, inutiles, ne pouvant plus servir à rien, les partis politiques traditionnels en France ressemblent à ces plantes d'appartement, dans leurs cache-pots énormes, qui ornaient les salons bourgeois de 1895, et que les dentistes de ce temps-là cravataient volontiers d'un ruban rose. Le Parti communiste français lui-même n'impressionne plus malgré sa taille. Ce n'est plus qu'une considérable plante grasse dont les piquants sont plus inoffensifs que les flèches empoisonnées de Tartarin. Hérissée de pointes dérisoires, elle dort debout à la lettre, au point de nous donner des idées sur le sommeil végétal. »
Pierre Dumayet lui demande, au moment du putsch des colonels d'Alger, s'il craint pour sa vie : « Je dois dire que je doute beaucoup de mon courage physique si je ne manque pas de courage moral ; mais j'ai toujours beaucoup compté sur mon orgueil, ce qui est essentiel car il faut toujours combattre un défaut par un autre défaut. J'ai soixante-quinze ans et, aussi optimiste qu'on soit, on sait qu'à cet âge on ne peut plus aller très loin, et qu'aucune porte de sortie n'est préférable à une autre, sans compter l'interminable défilé du gâtisme. Je pense donc que devant les mitraillettes je dirais : “Voilà une belle mort !” »
Dumayet insiste : « Vous avez pensé que vous seriez fusillé ? » Réponse : « Vous savez, c'est une chose qui nous a tous menacés sous l'Occupation et depuis… Un colonel avait dit, le 13 mai, à un de mes amis ministres, en se frottant les mains : “La première personne que je fusillerai, c'est Mauriac.” C'est tout de même beaucoup de fusiller quelqu'un parce qu'il n'est pas de votre avis. Enfin, ils sont comme cela, ces colonels. »
À la mort de Jean XXIII : « Sa récompense aura été d'être entendu et compris de l'humanité tout entière et même de ceux qui se sont séparés de la vieille Église mère, et même de ceux qui ont décrété la mort de Dieu. Et nous ses fils, nous aurons pris conscience grâce à lui qu'en dépit des structures vieillies l'eau vive des premiers jours continue de ruisseler. Nous en avons senti tout à coup sur nos faces l'éternelle fraîcheur. »
Cher Mauriac, qui m'invitait de temps en temps à dîner, lorsque j'étais étudiant, gravité, perspicacité, flèches assassines, drôlerie constante. Que dirait-il aujourd'hui de Jean-Paul II, « malade parmi les malades » à Lourdes ? De ce pape polonais dont il n'aurait même pas pu imaginer l'arrivée ?
22/08/2004