Sagan

Contrairement au mot célèbre de Mauriac (« un charmant petit monstre »), Françoise Sagan était charmante, mais pas du tout monstrueuse. Délicatesse, intelligence, instinct. Je l'ai rencontrée à ses débuts, elle avait vingt-trois ans, moi vingt-deux. J'arrivais de Bordeaux, je lui avais envoyé un mot, elle m'avait répondu, donc rendez-vous pour déjeuner chez Lipp. Et là, catastrophe. Je ne savais pas quoi dire, elle non plus. Pas du tout le même horizon. En plus, un vieux type, quarante ans au moins, est venu la chercher au café. C'est là que j'ai pu vérifier mon peu de goût à fréquenter des jeunes filles, même douées et célèbres. Je l'ai revue trois ou quatre fois par la suite, elle était dans son tourbillon, avec toujours la même gentillesse, la même réserve.

Mauriac, en 1956 : « Les équipes des prix de fin d'année, tous ces coureurs du Tour de France romanesque, la nuit, j'imagine, voient glisser dans leurs rêves la grosse auto de la petite Sagan. » Et en 1961 : « Hé oui ! la nouvelle vague est un mythe, mais le nouveau raz-de-marée, à l'époque des prix littéraires, n'en est pas un. Pour l'amour du Bloc-notes, il faudrait m'y plonger, me laisser rouler, me pencher sur le berceau des talents vagissants, jouer les bonnes fées, être la vieille sorcière qui dit : “Tu seras roi !” à quelque nouveau Sollers, à quelque autre merveille, bordelaise de préférence. »

Je n'ai jamais rêvé des autos de Sagan. Je n'aurais pour rien au monde voulu vivre comme elle. Mais enfin, elle savait faire des phrases, et c'est peu courant. Elle a surtout compris l'essentiel : rien n'est obligatoire. Comme quoi on peut dépenser sans compter, mais c'est très risqué.

31/10/2004