Clearstream
Suivez les morts, suivez l'argent, vous serez bientôt perdu dans une forêt inextricable. Quel beau nom, pourtant, que « Clearstream » ! Sur les bords de cette onde claire, on peut apercevoir des frégates, quelques cadavres, la Chine, au loin, des embrouilles de services secrets, des comptes numérotés, le Luxembourg, la Suisse, des numéros sans numéro, des ombres, du menu fretin, des baleines. Et tiens, voilà un corbeau. On aurait identifié un informateur anonyme du juge chargé de l'affaire, « un cadre dirigeant d'un grand groupe industriel, ancien haut fonctionnaire passé par le Quai d'Orsay, soupçonné d'avoir agi en vertu de mobiles inconnus, mais qui pourraient trouver leur source dans des conflits internes au monde de l'armement ».
Mais voici plus intéressant : « La DST a surtout établi que cet homme avait recruté, il y a quelques mois, un informaticien de haut niveau, condamné par le passé dans une affaire de piratage de fichiers confidentiels. Le rapprochement a aussitôt été effectué avec l'accès aux archives luxembourgeoises de Clearstream, d'où proviennent d'évidence les listings reçus par le juge, même s'ils semblent avoir ensuite été falsifiés. »
Vous avez compris ? Moi non plus. C'est le moment de rouvrir Commentaires sur la société du spectacle, le chef-d'œuvre de Guy Debord (1988), sans se préoccuper de la désinformation ambiante au sujet de son auteur : « Au moment où tous les aspects de la vie politique internationale, et un nombre grandissant de ceux qui comptent dans la politique intérieure, sont conduits et montrés dans le style des services secrets, avec leurres, désinformation, double explication – celle qui peut en cacher une autre, ou seulement en avoir l'air – le spectacle se borne à faire connaître le monde fatigant de l'incompréhensible obligatoire, une ennuyeuse série de romans policiers privés de vie et où toujours manque la conclusion. C'est là que la mise en scène réaliste d'un combat de nègres, la nuit, dans un tunnel, doit passer pour un ressort dramatique suffisant123. »
Dans la perspective de notre rendez-vous vénitien, j'envoie un exemplaire du livre, par special delivery à Condi. Je suis impatient d'avoir son avis.
28/11/2004